Même en 2017, les fillettes de 6 ou 7 ans croient secrètement que les garçons sont plus brillants qu'elles. Et se montrent beaucoup moins confiantes lorsqu'on leur propose de jouer à un jeu destiné aux enfants « vraiment, vraiment intelligents ». Ce récent constat de chercheurs américains reflète-t-il la réalité québécoise ?

« Les filles sont plus intelligentes. On dit que leurs cerveaux sont mieux que ceux des garçons, parce que les filles savent plus de choses. C'est fait comme ça, la vie ! »

Isaac Fontaine, 7 ans, est un original. Peut-être même un féministe qui s'ignore ! Car en première année, les deux tiers des écoliers - garçons ou filles - associent plutôt l'intelligence exceptionnelle aux hommes.

Pour les filles, ce réflexe est dévastateur. Car il leur enlève tout net l'envie de participer à un jeu « destiné aux enfants vraiment, vraiment intelligents ». Même si elles sont convaincues que ce sont les femmes qui décrochent les meilleurs résultats scolaires.

Cette réalité surprenante vient d'être exposée dans le prestigieux journal Science. « Entendre les filles dire : "Ça, ce n'est pas un jeu pour moi" était déprimant », affirme l'auteure principale de l'étude, Lin Bian, chercheuse en psychologie à l'Université de l'Illinois.

« Il y a clairement une influence sociale. Six ou sept ans, c'est l'âge où on devient plus conscient de l'image que les autres ont de nous. Quelque chose pousse les filles à ne pas accorder de poids à leurs bonnes notes. »

Dès le début de leur parcours, la majorité d'entre elles commence donc à se priver de certaines expériences, ce qui finit par faire boule de neige et les désavantager.

Selon une étude antérieure, publiée elle aussi dans Science, le fossé est rendu immense au stade universitaire. La présence des femmes dans les diverses disciplines est alors inversement proportionnelle à la croyance qu'y réussir exige une « aptitude spéciale qui ne s'apprend pas », plutôt que des efforts et de bonnes notes.

AU QUÉBEC

Au Québec, exactement comme aux États-Unis, les domaines de grande abstraction et d'érudition comme la physique ou la philosophie accueillent généralement eux aussi moins de femmes.

• 23 % : Proportion des étudiants aux études supérieures de physique à Montréal qui sont des femmes

• 32 % : Proportion des étudiants aux études supérieures de philosophie à Montréal qui sont des femmes

• 60 % : Proportion des étudiants en médecine à Montréal qui sont des femmes

Sources : Université McGill, Université de Montréal, Maclean's

Mais de vieux stéréotypes s'estompent chez les élèves québécois. « D'après mes recherches, au primaire et au secondaire, les filles perçoivent majoritairement les mathématiques comme une discipline féminine, et les garçons, comme une discipline neutre. C'est un beau progrès », expose Isabelle Plante, professeure au département d'éducation et formation spécialisées de l'UQAM.

Ce revirement ne signifie pas que les filles québécoises se croient désormais aussi douées que les garçons, nuance-t-elle. « Ce que mesure l'étude de Science - les perceptions relatives à l'intelligence globale, à la brillance -, c'est très nouveau. »

En classe, les enseignants observent encore des attitudes tenaces. « Les filles sont sûres de leurs connaissances, alors elles sont à l'aise dans tout ce qui est académique. Mais quand il faut un peu plus oser, s'exprimer sur un sujet, les garçons sont plus campés dans leurs idées et les enterrent un peu », constate Sarah Valiquette, qui enseigne en troisième année dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal.

« Dans ma classe, on discute tous les matins pour que les murs tombent, que les élèves s'habituent et voient que ce n'est pas grave de se tromper. »

PLUS DE SURDOUÉS ?

De nos jours encore, les études sur l'« intelligence perçue » révèlent un net biais en faveur des garçons, indique la psychologue britannique Josephine Storek, spécialiste du sujet à University College London, avec son ancien professeur Adrian Furnham.

Presque partout dans le monde, les participants attribuent une plus grande intelligence à leur père qu'à leur mère. Les parents trouvent leurs fils plus intelligents que leurs filles. Et les hommes invités à estimer leur propre intelligence se prêtent un quotient intellectuel nettement plus élevé que les femmes ne le font.

« Dans certains cas, ils s'attribuaient en moyenne 20 points de plus que les femmes, alors qu'il est établi que l'écart réel est négligeable », souligne la Dre Storek.

Ses études expérimentales montrent que ce ne sont pas les femmes qui sous-estiment leur QI par excès de modestie, mais plutôt les hommes qui surestiment le leur, ce qui leur procure un net avantage (plus de détails à l'onglet 4).

En 2005, le président de l'Université Harvard, Lawrence Summers, a plutôt avancé que la rareté des femmes en sciences pourrait s'expliquer par une plus forte proportion d'hommes parmi les gens surdoués. Car ceux-ci sont trois fois plus nombreux que les filles à décrocher des résultats exceptionnels en mathématiques (dans le premier dix millièmes) lors des examens standardisés d'entrée à l'université (SAT).

Ce discours a provoqué sa démission, mais sa vision est assez partagée. « Plusieurs enseignants affirment qu'on trouve vraiment beaucoup de garçons dans le tiers inférieur de la classe, mais que le petit surdoué des mathématiques est généralement un garçon », rapporte Isabelle Plante.

« INTELLIGENT COMME PAPA »

Depuis la conférence controversée de Summers, la proportion de filles qui excellent aux SAT de mathématiques a légèrement augmenté (elle avait déjà quintuplé entre 1980 et 1990). Et les chercheurs ayant relevé ce progrès l'attribuent aux nouveaux efforts pour changer les préjugés des enseignants.

Alors, quels rôles jouent précisément la biologie et l'environnement ? « C'est très délicat de se prononcer, car la plupart des discours sur cette question ne sont pas neutres, voire sont très idéologiques », répond Serge Larivée, professeur de psychoéducation et chercheur sur l'intelligence à l'Université de Montréal.

On sait à tout le moins qu'en situation d'examen, la crainte de confirmer des préjugés relatifs à son groupe nuit. « On appelle ça la menace du stéréotype. Ça crée un sentiment d'anxiété qui te fait perde tes moyens », explique Isabelle Plante.

Des dizaines d'études ont montré qu'on pouvait activer ou désactiver cet état d'esprit - et ainsi influencer la performance des sujets - simplement en donnant des directives qui renforcent ou nient les idées reçues.

Au quotidien, toutefois, les clichés priment encore. Des pyjamas pour bébé affichent « intelligent comme papa » et « belle comme maman ». Au Royaume-Uni, GAP a coiffé des mots « petit savant » la photo d'un garçon portant un t-shirt d'Albert Einstein, et des mots « petite sociable » la photo d'une fillette.

« Toute la production culturelle réitère que les grands scientifiques, les grands intellectuels et les grands commentateurs de l'actualité sont des hommes. C'est la répétition constante du même modèle », dénonce Hélène Charron, chercheuse au Conseil du statut de la femme.

Brandir des modèles de femmes qui s'illustrent pourrait reprogrammer les fillettes, en les vaccinant contre le discours ambiant, suggère Josephine Storek. « Il faut commencer très tôt à leur montrer les réussites de femmes et à les célébrer. Aujourd'hui, avec les médias sociaux, les choses peuvent vraiment commencer à changer. »

Deviner les enfants grâce aux histoires

Pour découvrir ce que pensent les enfants - sans toujours le dire -, les auteurs de l'étude publiée dans Science ont raconté de courtes histoires à 240 petits cobayes. L'une mettait en scène « une personne vraiment, vraiment intelligente », qui comprend et répond « beaucoup plus vite que n'importe qui d'autre ». Les écoliers devaient deviner si ce héros était un homme ou une femme.

À 5 ans, environ 65 % des filles et des garçons présumaient que le personnage surdoué était du même sexe qu'eux. Les deux groupes affichaient par ailleurs la même envie d'essayer un jeu fictif, qu'on leur disait « destiné aux enfants vraiment, vraiment intelligents ».

Mais à 6 ou 7 ans, les filles étaient aussi portées que leurs camarades masculins à associer la brillance aux garçons (à 60 % contre 64 %). Elles se détournaient ainsi du jeu nécessitant d'en faire preuve, alors qu'elles demeuraient tout aussi intéressées que les garçons par un autre jeu fictif, qu'on leur disait « destiné aux enfants qui travaillent vraiment, vraiment fort ».

Les pourcentages rapportés ici ne figurent pas dans Science ; ils nous ont été fournis par l'auteure de l'étude.

Photo Marco Campanozzi, Archives La Presse

Dès le début de leur parcours, la majorité des filles commence à se priver de certaines expériences, ce qui finit par faire boule de neige et les désavantager, révèle l'étude.

PAREILS, PAS PAREILS ?

Y a-t-il des différences d'intelligence entre les hommes et les femmes ? Voici cinq thèses élaborées pour répondre à cette délicate question.

LE SEXE FORT

Après avoir été écartée dans les années 60, l'idée voulant que les hommes soient intellectuellement supérieurs a été ressuscitée dans les années 90. Le controversé professeur de psychologie Richard Lynn a alors déclaré que les hommes obtiennent, en moyenne, cinq points de plus aux tests de quotient intellectuel, un avantage qu'il attribue à la taille de leur cerveau - plus grand, proportionnellement à leur corps, que celui des femmes.

Plusieurs chercheurs ont toutefois attaqué la méthodologie de Lynn, aussi considéré comme raciste et eugéniste. L'écart qu'il a identifié est inexistant ou négligeable, disent-ils. Ou n'a, du moins, rien à voir avec la taille du cerveau, celui des femmes étant tout aussi performant grâce à un cortex plus épais.

PLUS D'HOMMES AUX EXTRÊMES



Toujours selon Richard Lynn, et selon d'autres chercheurs, l'intelligence des hommes serait par ailleurs beaucoup plus variable que celle des femmes. Même si l'écart moyen entre les deux sexes est minime, les hommes se retrouveraient ainsi plus nombreux parmi les cancres et parmi les surdoués. Lynn affirme que les hommes sont huit fois plus susceptibles que les femmes de détenir un quotient intellectuel de 145, frisant le génie - ce qui expliquerait la très faible proportion de femmes dans certaines disciplines.

C'est cette thèse qui a provoqué la démission de l'ancien président de Harvard, Lawrence Summer.

CHACUN SA SPÉCIALITÉ



Bien que les hommes et les femmes aient la même intelligence générale, ils seraient chacun favorisés dans des domaines distincts. Lors des tests, les hommes démontrent, en moyenne, de meilleures aptitudes spatiales et les femmes, de meilleures aptitudes verbales. Pour plusieurs chercheurs, cela s'explique par l'évolution, les hommes et les femmes ayant développé des aptitudes différentes en fonction de leurs rôles initiaux.

Certains écarts sont toutefois en train de disparaître. Ces dernières années, les femmes ont même dépassé très légèrement les hommes lors d'un test d'induction très utilisé, consistant à identifier le symbole manquant d'une suite logique. Ce progrès a été découvert par James Flynn, célèbre pour avoir démontré que le QI croît sans cesse depuis un siècle, parce que le monde se complexifie.

AUCUNE DIFFÉRENCE



Pour d'autres chercheurs, s'acharner à chercher des différences de capacités intellectuelles est sexiste et nocif, puisque les stéréotypes créent de l'anxiété et rendent moins performant. Cela finirait par désavantager les femmes lors des tests et par créer un écart artificiel et trompeur. Pour James Flynn, c'est la différence d'état d'esprit entre les femmes - anxieuses - et les hommes - confiants - qui favoriserait ces derniers lors des tests.

« Quand on y regarde de près, la théorie sur les différences innées entre les sexes n'est pas supportée par la recherche », estime la professeure de psychologie Louise Cossette, coauteure du livre Cerveau, hormones et sexes et membre de l'Institut de recherches et d'études féministes à l'UQAM.

UNE QUESTION D'HORMONES

Richard Lynn déclare aussi que les hommes sont plus susceptibles de réussir grâce à leur taux élevé de testostérone, qui les rendrait plus compétitifs et acharnés. « Ils peuvent surtout compter sur d'autres pour prendre soin de leurs enfants, alors que les femmes assument deux rôles », estime la chercheuse et psychologue Josephine Storek.Quoi qu'il en soit, les deux tiers des Européens des deux sexes ont déclaré en 2015 que les femmes n'avaient pas ce qu'il fallait pour devenir des « scientifiques de haut niveau ». Très peu d'entre eux (7 %) ont dit que les femmes n'avaient pas de capacités scientifiques. Mais 25 % des sondés croyaient qu'il manquait aux femmes la confiance en soi, le réseau professionnel (21 %), l'esprit de compétition (19 %) ou l'ambition (15 %).

QUAND LES HOMMES SE SURESTIMENT

Pourquoi les hommes s'attribuent-ils un quotient intellectuel (QI) nettement supérieur à celui des femmes qui font le même exercice ? Parce qu'ils surestiment leurs aptitudes réelles, ont conclu plusieurs chercheurs après les avoir mis à l'épreuve. Voici quelques exemples.

HUMILITÉ OU ARROGANCE ?



Médusée de voir à quel point les hommes et les femmes estiment différemment leurs aptitudes intellectuelles, la psychologue britannique Josephine Storek a pris l'initiative de comparer leurs autoévaluations à leurs résultats réels, lors de tests d'intelligence.

Résultat ? « Les estimations des femmes sont beaucoup plus près de la réalité, alors que les hommes se croient meilleurs qu'ils ne le sont », résume la chercheuse honoraire de University College London.

Lors d'une expérience, les participants masculins ayant le moins bien réussi s'attribuaient un QI plus élevé que celui que s'accordaient les femmes ayant le mieux performé. « C'est presque un cas d'ignorance béate ! C'est un avantage pour les hommes, puisqu'être naturellement confiant permet de se réaliser et de décrocher de meilleurs emplois. C'est payant de se vanter », souligne la psychologue.

ERREUR DE CALCUL



Après un examen de mathématiques, les étudiants d'un collège américain ont été invités à prédire leur note. Les garçons ont alors largement surestimé leur performance, ce que les filles n'ont pas fait - sauf celles ayant vécu auparavant un maximum de bonnes expériences en mathématiques. Une étude complémentaire a montré qu'un intérêt accru à l'égard des cours et des carrières en mathématiques s'explique justement par ce genre de confiance démesurée.

« L'écart entre les sexes en science, en technologie, en génie et en mathématiques ne résulte pas nécessairement du fait que les femmes sous-estiment leurs capacités, mais plutôt du fait que les hommes surestiment les leurs », concluent les auteurs, chercheurs à l'Université d'État de Washington. Renforcer de « telles illusions positives pourrait protéger l'estime de soi des femmes en cas de sous-performance, ce qui les amènerait [à persévérer] et, ultimement, à améliorer leurs habilités ».

Source : Gender Gaps in Overestimation of Math Performance, 2015



NOTORIÉTÉ INÉGALE



À la demande de chercheurs de l'Université de Washington, 1700 étudiants en biologie ont nommé les camarades de classe qu'ils jugeaient « forts dans leur compréhension de la matière enseignée ». Les femmes se sont montrées équitables dans leurs nominations, qui concordaient avec la performance réelle de leurs pairs. Mais les hommes ont massivement nommé d'autres hommes, en dépit du fait que plusieurs femmes de leur classe excellaient tout autant aux examens et participaient tout autant en classe.

Plus l'année scolaire avançait, plus le biais pro-garçons s'accentuait. En fin de compte, il suffisait grosso modo aux étudiants de décrocher des B pour obtenir la même réputation que les étudiantes qui décrochaient des A. « Être mâle semble être un prérequis pour devenir une célébrité dans ces classes », ont conclut les auteurs de l'étude, en déplorant que le milieu de la science représente « un environnement glacial pour les femmes ».

Source : Males Under-Estimate Academic Performance of Their Female Peers in Undergraduate Biology Classrooms, 2016



PROFESSEURS PARTIAUX



Des professeurs de biologie, de chimie et de physique ont été invités à évaluer l'offre de services d'un candidat fictif pour un poste de laboratoire. Un prénom masculin chapeautait la moitié des copies et un prénom féminin, l'autre moitié, par ailleurs identique. Lorsque l'offre de services était surmontée d'un prénom masculin, le candidat était jugé notablement plus compétent et digne d'embauche, et on lui offrait un meilleur salaire et plus de mentorat.

Autant que les hommes, les professeures ont favorisé le candidat masculin par rapport à une candidate identique. « Cela soulève la possibilité que les femmes abandonnent les carrières universitaires en science, en partie parce qu'on les juge de façon moins favorable et qu'on leur offre moins d'encouragements et de mentorat », concluent les auteurs, chercheurs à l'Université Yale.

Une étudiante de physique a justement raconté au New York Times Magazine qu'un professeur de Yale l'avait découragée d'aller faire sa maîtrise à Princeton parce que les gars y « sont tellement brillants et compétitifs qu'ils allaient détruire sa confiance en elle ».

Dans certaines disciplines dures comme celle-là, la réputation d'être brillant s'acquiert lors de joutes oratoires entre étudiants et entre professeurs, a constaté la chercheuse Lin Bian. « Un peu comme dans les débats parlementaires, il s'agit de marquer des points avec la rhétorique autant que de débattre des idées. »

Source : Science Faculty's Subtle Gender Biases Favor Male Students, 2012