Qui aurait pensé devoir magasiner son embaumeur ? Comme dans tous les domaines, certains sont plus talentueux, d'autres, moins minutieux... Mais la famille a le droit d'être satisfaite du résultat.

Malaise au salon

« Quand ils ont apporté la dépouille dans notre salle réservée au salon funéraire, j'ai dit spontanément : " Vous vous êtes trompés de salle, ce n'est pas ma mère. " »

Gaby était une femme coquette et bien mise. Elle avait déjà choisi la robe dans laquelle elle souhaitait que ses proches lui fassent un dernier adieu. Mais ses derniers moments ne se sont pas passés selon ses dernières volontés, qu'elle avait décrites à sa famille avant sa mort, en septembre dernier.

Déjà anéantie par la perte de sa mère, la fille de Gaby a été bouleversée en constatant que celle-ci était méconnaissable.

« J'ai été traumatisée par cette dernière image de ma mère. Ça m'a hantée longtemps. La dépouille ressemblait à une comédienne très connue qui n'avait rien à voir avec ma mère. J'ai eu de la difficulté à faire mon deuil. »

- Stéphanie*, la fille de Gaby

« Ils n'ont pas respecté la photo. Ils l'ont coiffée comme les dames très âgées avec des boucles. Ma mère portait les cheveux droits et plats. Je suis allée voir la propriétaire en pleurant, complètement désemparée. Je lui en ai parlé et personne ne m'a offert de l'arranger. »

Le mari de la défunte et sa fille affirment qu'un malaise régnait dans ce salon funéraire de la Montérégie. Les invités tournaient le dos au cercueil ou n'osaient pas s'y attarder.

« On était sous le choc de la mort, confie le mari de Gaby. On ne savait pas ce qu'on pouvait demander ou non. Ce qu'on pouvait faire. On n'en avait pas la force. Le personnel du centre d'hébergement où ma femme a terminé ses jours est allé se plaindre. »

« Quand il n'y a qu'un salon dans la ville et qu'on veut des funérailles près de chez soi, on se sent un peu coincé », ajoute la fille de Gaby.

De son côté, Sébastien* n'a pas reconnu sa mère, il y a trois ans, lorsqu'elle a été exposée dans une autre petite ville de la province. Cependant, jamais il ne lui est venu à l'esprit qu'il pouvait demander des retouches.

« Ma mère avait trop de maquillage, son visage n'était pas le même. Les gens du salon funéraire ont même oublié de lui mettre un morceau de vêtement qui complétait sa tenue. On leur avait pourtant bien spécifié de le mettre. Je n'ai pas senti qu'ils prenaient ça à coeur. Ils auraient dû corriger la situation pour le deuxième jour d'exposition. »

La Presse a contacté le propriétaire du complexe funéraire où Gaby a été exposée. D'entrée de jeu, il a affirmé qu'il était le meilleur du coin. Puis, après avoir consulté son dossier, il a reconnu ses torts.

« J'ai eu un pressentiment quand j'ai eu terminé l'embaumement. Je savais que la famille n'allait pas être contente, avoue le propriétaire. Ça nous arrive parfois, ce genre de situation, une ou deux fois par année. Je sais que c'est plate, parce que c'est la dernière image, le dernier souvenir qu'on garde. »

« Je sais qu'il est trop tard, mais j'aurais peut-être dû gonfler plus les joues de cette dame. L'engraisser plus. J'aurais dû l'améliorer. Elle ne se ressemblait pas. »

- Le propriétaire du complexe funéraire où Gaby a été exposée

Le propriétaire de ce complexe funéraire a constaté aussi que la coiffure de la défunte n'était pas celle qu'elle avait l'habitude de porter. 

Le thanatopracteur d'expérience suggère aux clients dont le proche est mort des suites d'une longue maladie d'exiger de voir le corps la veille de l'exposition. « On ne le fait pas automatiquement dans mes complexes funéraires, mais les gens peuvent le demander, explique-t-il. Quand une personne a beaucoup maigri et a changé, ça permet de faire des retouches et de l'ajuster selon les goûts de la famille. C'est ce que j'aurais dû faire dans ce cas. »

« C'est important que nos morts soient beaux, sinon tout le monde va vouloir se faire incinérer sans se faire embaumer. »

* Les intervenants ont demandé l'anonymat puisqu'il n'y a aucun autre salon funéraire dans leur région.

LES AVIS DU MILIEU

« Il y a des gens qui sont plus investis dans leur métier. C'est sûr que les passionnés vont saisir les occasions de se former et vont être meilleurs. On n'a pas assez d'heures de formation pour les amener à un niveau d'excellence. Ça prend du développement professionnel après. »

- Sophie Benoit, enseignante et responsable de la coordination du programme Techniques de thanatologie au collège de Rosemont

« Ça va dépendre de la cause du décès, du délai entre le décès et le début du traitement et des compétences de la maison funéraire. Certaines personnes pensent qu'elles ne pourront pas voir le défunt à cause des conditions dans lesquelles il est mort. Ils disent : " Je l'ai vu à l'hôpital et vous lui rendez un visage humain. " »

- Patrice Chavegros, vice-président ventes et service à la clientèle chez Magnus Poirier

« Il y a des normes de certification de qualité au niveau de la Corporation des thanatologues. Il y a une norme qui détermine les étapes à faire au niveau de la thanatopraxie. Le défunt doit être traité de façon digne et respectueuse et doit refléter le plus possible son apparence physique. » 

- Annie St-Pierre, directrice générale de la Corporation des thanatologues

RECOURS ET SOLUTIONS

Comment éviter d'ajouter la déception à sa peine ? Voici des pistes pour être satisfait de l'embaumement.

VÉRIFIER LE RÉSULTAT AVANT L'EXPOSITION

Beaucoup d'entreprises funéraires vont demander aux proches d'arriver au moins une heure à l'avance pour s'assurer qu'ils sont satisfaits. Si ce n'est pas le cas, exigez-le. Vous pourrez ainsi vérifier le visage, la coiffure, le maquillage, les vêtements et la position du défunt. Si le défunt a perdu beaucoup de poids, demandez à le voir la veille.« C'est important pour vous et pour nous. S'il y a des corrections à faire, le thanatologue va être sur place pour les faire. On incite les familles à venir, en leur disant : "Écoutez, c'est un moment important, on veut s'assurer que votre maman, vous allez la trouver belle, vous allez la trouver le plus naturelle possible." »

- Danny Gallant, directeur général, Centre funéraire Côte-des-Neiges

FAIRE UNE DEMANDE SPÉCIALE

Vous avez vu une personne embaumée dans un autre salon ou à la télévision et vous recherchez le même résultat ? Dans certaines maisons funéraires, comme Magnus Poirier, qui a pris soin du cardinal Jean-Claude Turcotte et de Jacques Parizeau, vous pouvez demander le même thanatopracteur.

« Vous auriez le droit. Et ça ne coûte pas plus cher. Tout se peut. On enseigne aux employés à ne jamais dire non si une famille demande quelque chose. On dit : "Je me renseigne et je vous reviens après."  » 

- Patrice Chavegros, vice-président ventes & service à la clientèle, Magnus Poirier

« Je pense que les gens peuvent se fier aux expériences qui ont été vécues par les gens qu'ils connaissent. Si la personne décédée qui leur a été présentée était ressemblante, était de qualité, ça va se dire par le bouche à oreille. » 

- Sophie Benoit, enseignante et responsable de la coordination du programme Techniques de thanatologie au collège de Rosemont

PLAINTE AU SALON FUNÉRAIRE

Accablés par la mort de leur proche, les endeuillés n'ont souvent pas la force de se battre pour obtenir un service pour lequel ils ont payé. Mais ils ont pourtant le droit d'exiger que le résultat soit à la hauteur de leurs attentes. Selon la Corporation des thanatologues du Québec, une heure suffit pour que le thanatopracteur, le coiffeur et le maquilleur puissent faire des retouches.

PLAINTE À LA CORPORATION DES THANATOLOGUES

La Corporation des thanatologues du Québec reçoit les plaintes des clients à propos des services funéraires. Pour l'instant, aucune plainte n'a été déposée pour un embaumement raté. La Corporation admet toutefois que son comité de déontologie aurait de la difficulté à rendre une décision.« Ce serait difficile de trancher au niveau de l'apparence physique, parce que tout dépend des délais d'embaumement, de l'état dans lequel la personne était, de la façon dont elle a été transportée et traitée. Ce serait difficile de trancher là-dessus à partir d'une photo d'une personne que personne ne connaît. Trancher : est-ce qu'elle se ressemble ou pas ? », dit Annie St-Pierre, directrice générale de la Corporation des thanatologues du Québec.

PLAINTE AU MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX

Les Québécois peuvent déposer une plainte en vertu de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (RLRQ, chapitre L-0.2). Selon le ministère de la Santé, la seule plainte adressée et traitée à ce jour n'avait pas trait aux techniques d'embaumement utilisées, mais plutôt au non-respect du délai maximal de conservation du cadavre sans l'avoir embaumé ou placé dans un espace réfrigéré.

HOMMES D'ÉTAT ET PERSONNAGES PUBLICS

Les images des dépouilles de René Angélil et du cardinal Jean-Claude Turcotte ont beaucoup circulé dans les médias. Ces personnalités publiques semblaient sereines et reposées. Lors de funérailles d'État ou civiques, les complexes funéraires déploient leurs meilleures équipes afin de s'assurer que tout soit parfait.

« C'est notre chef de laboratoire Luc Drouin qui a fait la ressemblance de René Angélil. C'est lui qui a tout le mérite, soutient Danny Gallant, directeur général du Centre funéraire Côte-des-Neiges, à Montréal. Sur place, à la basilique Notre-Dame, on s'est assurés de la qualité de l'éclairage. Il fallait vérifier : est-ce que l'éclairage est trop fort, est trop faible, est trop au-dessus. On s'est assurés aussi d'avoir un thanatologue sur place en permanence, disponible pour toutes les retouches qu'il pouvait y avoir. Par exemple, si quelqu'un touchait la dépouille. »

« On a fait les funérailles de M. Parizeau et du cardinal Turcotte, explique Patrice Chavegros, vice-président ventes et service à la clientèle chez Magnus Poirier. Quand ce sont des funérailles d'État ou civiques, on va prendre nos éléments avec le plus d'expérience. Et tout est contrôlé. Tant que ce n'est pas conforme à nos procédures et à nos standards, le défunt ne sortira pas de nos laboratoires. Ça veut dire que vous avez un thanatopracteur, un chef d'équipe, un directeur de laboratoire et un directeur du complexe qui va contrôler. »

Un tel déploiement d'effectifs ne dure souvent qu'une seule journée au Québec. Rares sont ceux qui rêvent d'un traitement royal à la Lénine, embaumé depuis 93 ans. Ou qui veulent s'assurer de traverser les époques bien conservés dans un tombeau vitré, comme Mao Tsé-toung et Kim Jong-Il.

La recette d'embaumement de Lénine, mort en 1924, est gardée secrète par la Russie. Or la Corporation des thanatologues du Québec a une petite idée des ingrédients de cette réussite de conservation.

« Ce qu'on comprend avec Lénine, c'est qu'il est réembaumé tous les trois mois, explique la directrice générale, Annie St-Pierre. La cage de verre est remplie d'une solution de conservation qui s'apparenterait à du formol. La réglementation en Chine et en Russie est différente d'ici. Il y a aussi une personne qui est attitrée pour prendre soin de la dépouille. »

LE CINÉMA À LA RESCOUSSE

Les techniques d'embaumement pour préserver les corps n'ont pas évolué depuis 50 ans. Même si des produits écologiques tentent de se tailler une place, c'est encore le formaldéhyde qui donne les meilleurs résultats. Par contre, les techniques de finition se modernisent.

La thanatopractrice Marianick Jean est à l'affût des nouvelles tendances. Passionnée par son métier, elle suit toutes les formations offertes. « Il y en a qui utilisent toujours les mêmes outils. Moi, j'ai envie de m'améliorer et d'en avoir le plus possible », explique celle qui est aussi directrice adjointe du Complexe funéraire Carl Savard, à Chicoutimi.

« L'important, c'est que la personne se ressemble et que la famille soit satisfaite, ajoute-t-elle. Quand la famille nous dit : "Tu m'as redonné ma mère, mon père, mon enfant", tu ne peux pas avoir mieux. Il y a des gens qui ont été malades et qui ont changé physiquement. La famille les a vus changer, la bouche ouverte, pas de dents, pas arrangés, en jaquette d'hôpital. Juste de voir leur maman, leur papa bien arrangé, ça fait toute la différence. Ça leur redonne leur dignité. Même si moi, je trouve que le défunt se ressemble, si la famille ne trouve pas qu'il se ressemble, ce n'est pas un embaumement réussi. »

DES TECHNIQUES DE CINÉMA

« Je travaille avec les mêmes techniques et les mêmes produits qu'on utilise pour faire des effets spéciaux au cinéma, comme le latex. Quand on doit refaire une oreille ou un nez, par exemple, parce que la personne a eu un accident. Récemment, j'ai eu à refaire un menton, parce que la personne s'était déboîté la mâchoire, et j'ai utilisé ces produits-là. Je les utilise aussi quand quelqu'un a une cicatrice ou qu'il a eu une opération au niveau de la tête. On appelle ça de la reconstruction. »

DES INJECTIONS COMME EN CLINIQUE D'ESTHÉTIQUE

« On utilise les injections si la personne a beaucoup maigri. On le remarque au niveau des tempes, des yeux, des pommettes. Le but, c'est de lui redonner ses joues d'avant la maladie. Évidemment, si la personne avait déjà les tempes creuses, on les lui laisse. J'injecte ce qu'on appelle un fluide régénérateur de tissus sous la peau à l'aide d'une seringue. Au contact de l'humidité de la peau, le produit devient gélatineux et je peux faire de belles formes. »

DU MAQUILLAGE DE TÉLÉVISION

« Le maquillage air brush [à l'aérographe] est de plus en plus utilisé. On vaporise le fond de teint au lieu d'utiliser un pinceau. C'est une maquilleuse de TVA qui m'a donné la formation. Je peux choisir ma coloration, il y a plusieurs couleurs et c'est moins opaque. Le résultat est beaucoup plus naturel, parce que ça laisse les taches de vieillesse, les taches brunes et les taches de naissance. Pour les hommes, c'est l'idéal, parce qu'ils ne portent pas de fond de teint. Quelqu'un qui se met plein de fond de teint, vivant ou pas, ce n'est pas beau. »

LA FORMATION

Pour exercer le métier, il faut avoir un diplôme d'études en Techniques de thanatologie, une formation donnée par le collège de Rosemont depuis 1980.

« La plupart des élèves arrive avec un grand intérêt pour la thanatopraxie, mais on réussit à les intéresser aussi aux services funéraires. Durant la formation, les élèves apprennent comment traiter une personne pour qu'elle se conserve plusieurs semaines, comment faire la préservation artérielle, comment préserver les organes internes et les soins de présentation de la dépouille. Le collège de Rosemont est le seul endroit qui offre la thanatopraxie. »

- Sophie Benoit, enseignante et responsable de la coordination du programme Techniques de thanatologie, collège de Rosemont