Dans un article publié cette semaine, élogieux  (au sens le plus nunuche du terme), limite dithyrambique, le Madame Figaro proclame notre premier ministre  le plus «hot» de la planète politique, ce «gendre idéal»  et «good boy assumé», à qui l'on doit en prime un  nouvel acronyme: PILF (lire: Politician I'd Like to Fuck). Le magazine français ne se prive pas pour vanter sa «paire  de fesses dans un pantalon ajusté», photos à l'appui. D'où la question: faut-il en rire ou en pleurer? Deux experts nous aident à y voir clair.

L'avis d'Arnaud Granata

Éditeur d'Infopresse et chroniqueur pub, marketing et médias à Radio-Canada

À froid, que pensez-vous d'un article pareil?

Selon l'observateur média, l'article en dit «vraiment long» sur l'image de Justin Trudeau à l'international. «On le voit depuis les élections: il est devenu un sex-symbol politique. Dans le climat actuel, aux États-Unis, en Europe, il arrive un peu comme un sauveur», croit-il.

Est-ce l'ultime démonstration de l'importance de l'apparence en politique?

Pas exactement, nuance Arnaud Granata. «Il y a quand même des médias qui le traitent avec plus de sérieux.» Mais dans le monde des médias dits «légers», «c'est sûr que oui, c'est l'apparence par-dessus tout». Pire que l'apparence: «Je dirais presque que c'est un objet sexuel, dit-il. Un PILF, je n'avais jamais entendu parler de ça, c'est le comble de l'objet sexuel.» À noter: tout comme Barack Obama avant lui, Justin Trudeau «travaille» très fort son image publique, signale-t-il, notamment avec une stratégie de communications très 2017: «le plus ouvert possible», «le plus accessible possible», par le truchement des réseaux sociaux, il va sans dire.

N'est-ce pas un peu prendre les lectrices pour des cruches que de ne parler que de son «body», et nulle part de sa politique?

«Complètement. Absolument. C'est vraiment l'emballage. Depuis qu'il a été élu, la plupart des articles qui passent parlent de son image.» Ironiquement, cela vient redorer «l'image plan-plan du Canada», souligne Le Figaro Magazine, qui cite Ryan Gosling et Xavier Dolan à titre de nouvelles personnalités sexy d'ici. «Il y a un hype autour du Canada», dit en riant Arnaud Granata.

Et si ça avait été une femme, aurait-on osé en parler ainsi?

«Non, je ne pense pas. Là, on trouve ça amusant, quoique... Je trouve que ça va un peu loin dans le côté homme-objet. Si ça avait été une femme, ça aurait été impensable. D'ailleurs, on parle très peu de sa femme à lui en ces termes», signale-t-il.

Est-ce à dire que pour les femmes, ce n'est pas un atout d'être sexy en politique?

«Même pour les hommes, je ne sais pas si c'est un avantage tant que ça. On ne parle pas de sa politique. Ce n'est pas un avantage, je dirais que c'est plutôt extrêmement réducteur.»

L'avis de Martine Delvaux

Auteure féministe, elle a publié «Justin, nouveau "sex-symbol"» dans Le Devoir, au lendemain des élections fédérales.

À froid, que pensez-vous d'un article pareil?

«Je trouve ça un peu banal, ça se lit comme on lit n'importe quel truc de vedettes, dit-elle. Dans son cas, ça nous dit que puisqu'il est jeune et beau, on lui accorde plus d'attention.» Le Madame Figaro le compare carrément à JFK, ce qui n'est pas anodin. «On ne parle pas de la même manière d'Angela Merkel. Mais est-ce qu'il mérite toute cette attention? Est-ce qu'on la mérite jamais?»

Est-ce l'ultime démonstration de l'importance de l'apparence en politique?

«Oui. L'importance de l'apparence fait que les personnalités politiques sont des personnalités tout court. Au même titre que les vedettes. Dans les derniers mois de Barack Obama, c'était un peu devenu ça aussi...», fait valoir Martine Delvaux.

N'est-ce pas un peu prendre les lectrices pour des cruches?

«Eh oui, on nous prend pour des dindes, c'est sûr. Ça me heurte parce qu'ensuite, on ne parle que des femmes par ailleurs fortes qui deviennent autour de lui des potiches», dit-elle, citant l'actrice Emma Watson, féministe affirmée, entre autres fans de notre premier ministre.

Et si ça avait été une femme, aurait-on osé en parler ainsi?

«Le double standard est là, s'insurge la féministe. Lui, ça le valorise. Une femme, on ne réagirait jamais comme ça. Si on mettait l'accent sur la beauté d'une femme, est-ce que ça viendrait asseoir sa puissance? Je ne pense pas. On la rabaisserait au statut de femme-objet.» N'empêche qu'on traite ici Justin Trudeau en homme-objet, non? «Bien sûr», répond-elle. «Pour un homme, c'est valorisant. Il est intelligent, puissant, et en plus il a du sex-appeal. Il est parfait!»

Est-ce à dire que pour les femmes, ce n'est pas un atout d'être sexy en politique?

Oui, dit-elle, «ça me semble possible de poser les choses comme ça». Mais nuance, dit-elle, parce que ce n'est tout simplement jamais arrivé! «Est-ce qu'on a un exemple d'une première ministre jeune et belle? Il n'y en a pas. Ce qui en dit beaucoup. Est-ce qu'une femme, une mère, jeune et jolie, serait élue? Je ne pense pas. Hillary Clinton n'a pas été élue, alors...» Morale? «On a du chemin à faire», conclut Martine Delvaux.

Photo Chad Hipolito, Archives La Presse Canadienne