L'orage qui venait de s'abattre sur La Havane laissait présager le pir: il serait impossible de rouler sur un skateboard dans les rues détrempées de la capitale cubaine sans endommager les planches. Puis le ciel s'est dégagé, la pluie a cessé et la ville a revêtu sa plus belle lumière.

Nous avions rendez-vous avec un planchiste bien connu de La Havane, Yojany Pérez. «C'est le meilleur», dit son ami Hector Jorge Aguila, une allégation que réfute vigoureusement le principal intéressé. «Nous avons tous notre propre style, il n'y a pas de meilleur.»

À défaut de s'avouer le meilleur planchiste de la capitale cubaine, il est certainement l'un de ceux qui contribuent à l'essor du sport à La Havane. Car faire du skateboard à Cuba est une profession de foi. Impossible pour les planchistes de trouver l'équipement nécessaire, les seules planches vendues dans les magasins proviennent de Chine et ne résistent jamais très longtemps aux multiples chocs qu'elles encaissent.

Seulement à La Havane, il y aurait pourtant une centaine de planchistes. Il y a un peu du Québec là-dedans, puisque c'est par l'entremise de Betty Esperanza, une Montréalaise qui a créé l'organisme Skateboards for Hope, qu'une partie de l'équipement se rend dans la capitale. C'est aussi Betty - une planchiste de longue date - qui a donné son premier skateboard à Yojany, il y a une quinzaine d'années, alors qu'il n'était qu'un jeune garçon. Un hasard qui a fait du chemin.

«J'ai laissé le skateboard là, je n'ai jamais pensé que ça irait jusque-là. Ce n'était pas planifié, c'était un cadeau du coeur.»

Betty Esperanza estime qu'en une dizaine d'années, son organisme a envoyé environ 300 planches à Cuba. «Je ne fais pas d'inventaire, ça ne sert à rien. Tout le monde fait ça, envoyer des choses à Cuba...»

Chaque fois qu'elle en a l'occasion, Betty Esperanza envoie du matériel dans l'île, ou l'apporte elle-même. «Les nouvelles planches sont distribuées aux meilleurs skateurs, et eux donnent leurs planches usées à des plus jeunes qui commencent. C'est une forme de recyclage qu'on a établi.»

Dans les rues de La Havane, Yojany Pérez fait de la formation continue. En route vers un parc, des jeunes l'interpellent, veulent monter sur sa planche. Il se prête au jeu avec grâce, enseigne à deux garçons la technique pour qu'ils réussissent leur premier ollie. Qu'importe si l'un d'entre eux est chaussé de gougounes...

Le gouvernement cubain tolère la pratique du skateboard. Un parc a même été construit à La Havane par les autorités cubaines, mais au dire d'Hector Jorge Aguila, qui en rigole encore, il était tout sauf adapté aux besoins des planchistes. Ceux-ci ont donc entrepris la construction de leur propre parc dans un boisé et délaissé le parc «officiel».

La capitale cubaine est un formidable lieu d'exploration pour ceux qui le font sur quatre roues. Avec ses surfaces polies, le Paseo del Prado figure au nombre des lieux de rendez-vous des planchistes («Mais pas ce soir, Raúl Castro est en ville»), tout comme le parc Antonio Maceo, où une dizaine d'entre eux s'exercent sous le regard mi-curieux, mi-blasé d'un policier. Les planchistes s'exécutent aussi sous l'oeil bienveillant des garçons de 11 ans qui les ont suivis jusqu'au parc et les regardent, admiratifs. La relève cubaine semble assurée.