Dans les années 80, les enfants pouvaient acheter des jujubes - en forme de framboise ou d'ourson - à 1 ¢ chacun, dans les dépanneurs du Québec. Aujourd'hui, le sou noir a disparu. Et les prix ont augmenté. Est-il encore possible de dépenser la monnaie offerte par la fée des dents ou les grands-parents? La Presse est partie à la recherche de gâteries vendues 2 $, 1 $, 25 ¢, 10 ¢ et même... 5 ¢.

Rosalie Poulin-Côté, 9 ans, va parfois dépenser 1 $ ou 2 $ au dépanneur près de chez elle, à Charlemagne. «Elle revient avec moitié moins de trucs pour son argent que moi, à son âge», constate sa mère, Marie-Ève Côté, 34 ans.

Il y a 25 ans, Mme Côté fréquentait le même dépanneur. «Pour 25 ¢, j'avais un Mr. Freeze, se souvient-elle. Là, ça coûte 50 ¢, plus les taxes.» Soit 58 ¢, ou plus exactement 60 ¢, une fois la somme arrondie au multiple de cinq le plus proche, ce que les commerçants doivent faire depuis le retrait de la pièce de 1 ¢ en 2013. Plus question d'y acheter des jujubes à l'unité. «Ils sont vendus en sacs à 50 ¢ ou 1 $», précise Rosalie.

En cette fin d'été, plusieurs enfants ont de la monnaie gagnée en arrosant les fleurs des voisins ou reçue de grands-parents en visite. Est-il encore possible de dépenser 25 ¢, 10 ¢, voire... 5 ¢ ? En compagnie de Rosalie, La Presse s'est lancée dans une enquête plus ludique que scientifique (!) pour répondre à la question.

Caramel à 10 ¢

Premier arrêt: l'épicerie San Pietro de la rue Villeray, à Montréal. En plus de jujubes en vrac, vendus 1,39 $ pour 100 g - ce qui fait vite grimper la facture -, ce dépanneur rétro propose quelques bonbons emballés à l'unité. Comme dans le temps de l'enfance des parents et grands-parents de Rosalie. Les moins chers (caramels, bonbons surs, pailles) sont 10 ¢. Les fruits en plastique contenant de la poudre sucrée sont 25 ¢.

Pour assurer leur salubrité, est-il interdit de vendre des bonbons à l'unité, surtout s'ils ne sont pas emballés? «La Loi sur les produits alimentaires et le Règlement sur les aliments ne renferment aucune norme spécifique sur les bonbons en vrac», répond Yohan Dallaire-Boily, relationniste au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ). Le Ministère conseille toutefois de «bonnes pratiques à suivre», soit garder les bonbons dans des contenants fermés, indiquer le nom des produits et la liste de leurs ingrédients.

Plus d'un dollar chez Dollarama

Deuxième arrêt: Dollarama. Surprise: aucun jouet n'est affiché à moins de 1,25 $. L'autoproclamée «plus grande chaîne de magasins à un dollar au pays», fondée en 1992, a introduit des articles plus chers il y a sept ans. Aujourd'hui, Dollarama n'offre plus grand-chose pour un huard. Ce qui ne freine pas son succès: la chaîne comptait plus de 1000 magasins en juillet contre 585 en septembre 2009. Chez Dollarama, Rosalie a craqué pour un jouet gonflable pour piscine, à 1,25 $. Avec les taxes, son achat a coûté 1,45 $.

Troisième arrêt: Jean Coutu. «Il y a trois ans, on a lancé la ligne de produits PJC, à 1 $, 2 $ et 3 $», indique Hélène Bisson, vice-présidente responsable des communications au Groupe Jean Coutu. Rosalie a choisi un chouchou pour cheveux, à 1 $. Coût total, avec taxes: 1,15 $.

Quatrième arrêt: McDonald's. Le cornet de glace à la vanille y est vendu 1,60 $ avec les taxes, un très honnête rapport quantité/prix. Avec 80 ¢, Rosalie a aussi pu commander un biscuit aux brisures de chocolat.

Cinquième arrêt: la boutique Carta Magica de la Plaza St-Hubert. Pour 2 $, taxes incluses, Rosalie a obtenu un paquet de 10 cartes Pokémon, à partager avec ses quatre frères et soeurs. Carta Magica vend aussi des cartes Pokémon à 25 ¢ chacune, mais n'espérez pas une rareté à ce petit prix...

Mission accomplie

Dernier arrêt: la biscuiterie Oscar, aussi sur Saint-Hubert. Hourra! derrière l'impressionnant étalage de bonbons vendus au poids, on trouve un article à 5 ¢ (un seul!), une paille fluo contenant de la poudre sucrée. Les populaires bâtonnets de sucre d'orge coûtent 25 ¢, les petites boîtes de Nerds et les cigarettes Popeye, 35 ¢, les gros Lollypops, 69 ¢.

«On fait de gros efforts pour garder ce qu'on appelle notre rayon dépanneur, explique Émilie Prévost, caissière chez Oscar. On le fait pour les enfants du quartier, qui viennent quand leurs parents sont dans les magasins proches du nôtre. Ils leur donnent 3 $ ou 4 $ à dépenser, et les enfants doivent calculer ce qu'ils peuvent acheter. Avec les taxes, ce n'est pas toujours évident.»

La paille à 5 ¢ coûte le même prix à la caisse, le montant des taxes étant arrondi à la baisse. Mais dès qu'un enfant choisit pour 20 ¢ de bonbons, il doit payer 25 ¢... Dure leçon d'économie.

Épargner et dépenser, des apprentissages importants

Professeur au département de marketing de HEC Montréal, Jacques Nantel possède encore une tirelire, dans laquelle il vide ses poches chaque soir. La Presse l'a contacté pour parler de l'épargne et des dépenses des enfants.

Les enfants ont longtemps pu acheter des bonbons pour quelques cents dans les dépanneurs. Pourquoi n'est-ce plus le cas?

Il y a deux raisons pour lesquelles le produit unitaire à petit prix a pratiquement disparu, sauf exception. La première, c'est que le nombre de transactions que ça prendrait pour que ce soit profitable est tel que vous ne couvrirez jamais vos frais variables, notamment les frais de caissier, de gestion et de remplacement des inventaires.

La deuxième, c'est que le sou n'existe plus. Si votre bonbon est à 3 ¢, vous allez le vendre 5 ¢. Si votre bonbon est à 2 ¢, vous allez être obligé de le donner ! Vous ne pouvez pas rentrer là-dedans.

C'est simplement l'inflation qui fait qu'il y a moins d'articles à très bas prix?

Dans une perspective historique, c'est sûr que l'inflation des années 80 a beaucoup changé la donne. À cette époque, vous aviez une inflation moyenne d'à peu près 12 % par an. C'était énorme. Un bonbon à 3 ¢, avec 12 % d'inflation par an, ça fait en sorte que son prix a pratiquement doublé au bout de 10 ans.

C'est important, pour les enfants, d'amasser de la monnaie?

Je ne sais pas si la notion de monnaie est réelle chez les enfants, autant que lorsqu'on était enfants. Il y a de plus en plus d'enfants, maintenant, qui ont des cartes de débit prépayées.

C'est pourtant important. La notion d'épargne, c'est loin d'être inné. Une étude a été faite par [Walter] Mischel, un psychologue américain que j'ai connu quand j'ai fait mon doctorat. C'est un classique. L'idée est la suivante: vous prenez des enfants, vous les mettez dans une pièce et vous placez une guimauve devant eux. Vous leur dites: «Je vais quitter la pièce. Tu peux manger la guimauve, si tu veux. Mais si tu attends que je revienne sans la manger, je t'en donne une deuxième.» Les enfants sont filmés à leur insu. C'est amusant à voir, la majorité des enfants ne résistent pas. Ils mangent la guimauve.

Ç'a été refait dans des contextes différents, avec des adultes, et les résultats sont toujours les mêmes. La propension à consommer rapidement est plus élevée que la propension à épargner, sauf si évidemment il y a un processus d'éducation derrière.

Il faut aussi pouvoir acheter des choses avec sa monnaie, pour comprendre la valeur de l'argent?

Oui. C'est extrêmement important, avec des 5 ¢, des 10 ¢, des 25 ¢, d'apprendre l'épargne et d'avoir la capacité à dépenser par la suite. Si tu épargnes des 5 ¢ et que la seule chose que tu peux acheter est à 5 $, tu vas te décourager très rapidement.

C'est la théorie du conditionnement opérant de Watson. On apprend mieux si on a un renforcement qui varie de niveau. C'est exactement comme ça que l'épargne s'apprend, avec la capacité d'avoir des renforcements à 5 ¢, 25 ¢, 1 $, 5 $.

Vous souvenez-vous d'un achat que vous avez fait, enfant?

Mon achat le plus important était vers 8 ans. C'était un disque de Tintin. Les albums étaient endisqués, c'était comme une pièce de théâtre. Ça coûtait 1,45 $. J'avais épargné, épargné, puis j'étais allé chez Woolworth. J'avais 1,48 $, la vendeuse avait voulu me redonner 3 ¢. J'étais tellement content d'avoir mon disque que je lui ai dit qu'elle pouvait les garder!

Chez nous, on était six enfants, dans une famille urbaine. Très, très rapidement, on avait tous de petites tâches, pas juste à la maison, mais dans le quartier. On déneigeait, on vendait des bouteilles vides, on tondait le gazon, on allait promener les chiens. On faisait n'importe quoi pour aller se chercher des 5 ¢ ici et là.

Note: les réponses de M. Nantel ont été éditées.

Photo Stéphane Lessard, archives La Presse

Jacques Nantel

Souvenirs de petites dépenses

MICHEL CUCCIOLETTA

Vendre des boîtes d'oeufs vides pour acheter des bonbons

À 1 ¢ l'unité, il y avait les boules noires, les «négresses» et les gommes à mâcher. Pipes en réglisse, outils en chocolat et cornets sucrés étaient à 3 ¢. Barres chocolatées, grosses réglisses et cigarettes en bonbon, à 5 ¢. Quand c'était l'abondance, il y avait aussi les Cracker Jack et le Coke, à 10 ¢...

Né en 1945, Michel Cuccioletta se souvient bien des friandises dont il se délectait, petit. Il les achetait à la tabagie située à l'angle de Viau et Sainte-Catherine, à Montréal. «Il y avait aussi les biscuiteries Oscar, qui offraient des biscuits cassés ou imparfaits pour une chanson», se rappelle-t-il.

Pour pouvoir se sucrer le bec, «on vendait des bouteilles vides et des contenants d'oeufs en carton aux habitants du marché Maisonneuve», précise M. Cuccioletta. Les petites bouteilles valaient 2 ¢, les grosses, 5 ¢. «Les boîtes d'oeufs se négociaient sur place, ça jouait entre 3 ¢ et 6 ¢, explique-t-il. Ça dépendait de la demande: plus les producteurs vendaient d'oeufs, plus ils avaient besoin de boîtes.»

«Nous, nos parents n'étaient pas riches, souligne M. Cuccioletta. Nous n'avions pas d'argent de poche pour dépenser, alors il fallait trouver du financement...»

Photo fournie par Michel Cuccioletta

Michel Cuccioletta

DIANE MASSICOTTE

Retomber en enfance avec de la petite monnaie

Encore aujourd'hui, Diane Massicotte aime la petite monnaie. En voyage en France cet été, son mari - qui ne supporte pas d'avoir des pièces dans ses poches - les lui remettait. «Et j'avais à nouveau 5 ans», souligne-t-elle.

Née en 1953 à Trois-Rivières, Mme Massicotte achetait des bonbons à 1 ¢ au magasin près de chez elle, quand elle était enfant. «Il y avait aussi les popsicles orange, rouge ou turquoise, les Fudge et les cornets de crème glacée, incluant les Roll-O, pour un gros 5 ¢», se souvient-elle. À l'usine de chips Yum Yum, de petits sacs de papier brun étaient vendus 1 ¢, ajoute-t-elle. Leur contenu? Des miettes de chips!

À l'occasion, la mère de Mme Massicotte l'emmenait manger un sundae à 5 ¢ chez Woolworth. «Ou chez Kresge, assises sur des tabourets, devant un long et grand miroir», décrit-elle.

TRAVAILLER POUR SE PAYER DES BAS NYLON

Dès l'adolescence, Mme Massicotte a travaillé dans une boutique pour acheter ses premiers bas nylon. À 16 ans, elle était déjà barmaid (!) pour payer ses études, qui lui ont permis de travailler dans les médias et la culture depuis 40 ans.

«Je ne veux surtout pas paraître passéiste, mais je suis très heureuse d'avoir connu cette époque, dit Mme Massicotte. D'avoir appris à me débrouiller et à connaître la valeur de l'argent. Je n'ai eu un vélo qu'à 13 ans. Aujourd'hui, je vois des enfants commander des plats au resto en compagnie de leurs parents, sans regarder les prix. Je ne les envie pas et je leur souhaite une Porsche pour leurs 18 ans!»

HAUSSE DU PRIX DE LA PINTE DE LAIT AU CANADA

1935  0,10 $ la pinte

1960  0,24 $ la pinte

1985  0,98 $ le litre

2008  1,99 $ le litre

Source: Les prix au fil des décennies, Statistique Canada.

Photo fournie par Diane Massicotte