Marie, Jeanne, Clara, Margot, Victorine : Héloïse Thibodeau est mère de cinq filles de 3 à 15 ans. Comme si ce n'était pas assez, la maman de 44 ans est doublée d'une femme d'affaires redoutable, à la tête d'un bureau d'architectes qui porte son nom. Résumé d'un parcours qui se conjugue au féminin.

Une histoire de famille

En ce lundi après-midi ensoleillé, Héloïse Thibodeau nous reçoit dans ses locaux, sis dans une ancienne boulangerie de l'avenue Beaumont. Avec les fleurs rouges qui ornent ses fenêtres, le coquet bâtiment au style années 50 semble dégager une touche féminine, à l'image de sa propriétaire.

Quand Héloïse Thibodeau a démarré son propre bureau il y a 13 ans, elle est partie de zéro. La jeune architecte s'est d'abord installée au sous-sol de la maison familiale, boulevard Gouin. « Je venais d'accoucher de ma deuxième fille et c'était sécurisant d'avoir ma mère tout près qui pouvait garder mon bébé », dit-elle, assise dans le grand bureau lumineux qu'elle occupe aujourd'hui.

Quant à sa fibre entrepreneuriale, c'est du côté paternel qu'elle en a hérité. « Mon père avait un bureau d'ingénieurs et il est parti à son compte à l'âge de 40 ans, raconte-t-elle. Mais il m'avait dit que si c'était à refaire, il l'aurait fait 10 ans plus tôt. »

Héloïse Thibodeau a donc suivi les conseils de son père à la lettre... ou presque. Après des études en architecture à l'Université de Montréal, elle a travaillé dans trois bureaux différents. Puis, à l'âge de 32 ans - « un peu en retard sur les conseils de mon père ! », glisse-t-elle - , elle a décidé de faire le saut. « Les associés dans le bureau où je travaillais n'étaient pas très âgés et ils ne pensaient pas associer d'autres gens avant 10 ans, explique-t-elle. Je n'ai pas eu la patience de rester aussi longtemps pour avoir ma place. »

Elle a rencontré le père de ses enfants, Philippe Cazanave, à l'université. Architecte également, c'est lui qui a assuré la sécurité financière de la famille pendant qu'elle démarrait son entreprise. Après quelques années, quand elle a eu les reins assez solides, il est venu la rejoindre. « Philippe est l'administrateur de l'entreprise, souligne-t-elle. Quand il est arrivé, il m'a enlevé tout le souci de gérer le "day-to-day". »

Et vit-il bien avec le fait que le bureau porte le nom de sa conjointe seulement ? « Ça en a l'air ! », lance Héloïse dans un sourire. « C'est sûr que tout est à mon nom, mais Philippe est comme mon associé, précise-t-elle. Étant mariés, ayant cinq enfants, pour nous ce n'était pas nécessaire. On est tellement en symbiose que c'est un détail. »

Une de leurs filles a d'ailleurs bien résumé la situation : le bureau porte le nom de maman, et les enfants, celui de papa. Tout le monde y trouve son compte !

Allaiter sur les chantiers

Héloïse Thibodeau a accouché de ses filles et les a élevées en même temps que son bureau grossissait. « Une fois l'entreprise démarrée, il n'était plus question de prendre des congés de maternité. Au jour le jour, on essayait de passer au travers », se souvient-elle.

Elle traînait les enfants au bureau, où tout le monde les connaissait, ainsi qu'un peu partout où ses obligations de patronne la menaient. « J'allais en réunion avec les bébés, tous mes clients m'ont vue enceinte, j'ai allaité sur des chantiers... »

Le tout sans jamais causer de frictions, selon elle. « Au contraire, les gens étaient contents de voir un bébé qui arrivait en réunion. On faisait notre travail quand même. Et ça n'a jamais été un problème. »

Pour s'en sortir, ils ont pu compter sur leurs familles respectives. « Ce n'était pas un problème pour moi d'avoir des enfants, parce qu'il y avait toujours quelqu'un de ma famille qui m'aidait dans mes tâches de maman », affirme Héloïse. La mère de Philippe leur cuisine d'ailleurs trois repas par semaine, ce qui donne un petit répit aux parents.

De la boucherie à la boulangerie

Après quelques années dans la maison familiale, Héloïse Thibodeau a dû trouver un autre bureau pour ses activités. « On était rendus une dizaine d'employés et ça n'avait plus de bon sens pour mes parents... Il y avait trop d'action dans la maison ! » Ils ont alors acquis une ancienne boucherie dans Ahuntsic, un bâtiment déglingué qu'ils ont retapé. La mère de Philippe a pris un des logements à l'étage pour pouvoir s'occuper des enfants.

Mais quelques années plus tard, ils se trouvaient de nouveau à l'étroit dans leurs locaux. C'est à ce moment-là qu'ils sont tombés sur leur bâtiment actuel, près du quartier Parc-Extension. « Ça s'est fait rapidement, se souvient Héloïse. Le timing n'était pas bon - j'étais enceinte de ma dernière -, mais on aimait le bâtiment et il n'était pas cher. Donc on s'est embarqués dans cette nouvelle aventure ! »

Aujourd'hui, l'entreprise compte une quarantaine d'employés, un nombre qui devrait rester stable, estime sa fondatrice. Elle souhaite maintenant reprendre son souffle et consolider ses acquis. « On n'a pas arrêté de gérer l'expansion, et je commence tout juste à avoir du temps pour nous rendre meilleurs, soutient-elle. Au nombre où nous sommes, on doit vraiment avoir une bonne organisation pour rentabiliser l'entreprise. On ne gère pas aussi serré quand ça va trop vite, parce qu'on éteint des feux tout le temps. »

Elle-même ne sait pas exactement comment les circonstances de la vie l'ont menée jusque-là. « J'ai vite fait confiance à mon personnel et j'ai mis beaucoup d'efforts dans le développement des affaires, avance-t-elle. Ça, ça vient aussi de mon père, parce que c'était sa spécialité. »

Philippe et elle forment également une équipe inébranlable. Si on dit que derrière tout grand homme se cache une femme, l'inverse est aussi vrai. « On ne serait pas rendus là si je n'avais pas eu un mari qui en faisait beaucoup. Et s'occuper de six filles, ça prend énormément de patience ! », conclut-elle dans un grand éclat de rire.