Depuis 2013, Lili-Anna Pereša est la présidente et directrice générale de Centraide du Grand Montréal. L'organisation recueille des fonds (54,3 millions en 2015) et les remet à plus de 350 organismes locaux afin de lutter contre la pauvreté. Une mission très utile puisque 24,6 % des personnes vivent sous le seuil de la pauvreté dans l'île de Montréal. « C'est trop », estime-t-elle.

Mme Pereša nous reçoit dans les bureaux de Centraide, rue Sherbrooke à Montréal. Lili-Anna Pereša, 51 ans, est née à Montréal d'une mère québécoise et d'un père croate. Ingénieure diplômée en génie électrique de Polytechnique Montréal, elle se rappelle qu'elle était la seule femme dans sa classe parmi une soixantaine de jeunes hommes. Le génie électrique est une spécialité où les femmes sont encore rares aujourd'hui.

Dès sa sortie de l'école, elle est engagée chez Bell Canada, où elle travaille sur les premiers projets de fibre optique. Le 6 décembre 1989, la tuerie de Polytechnique est un véritable choc pour celle qui a obtenu son diplôme l'année précédente. Un « wake-up call », dit-elle.

«On a tous des rêves dans la vie, on s'endort parfois dans le confort et l'événement tragique de Polytechnique m'a fait réaliser à quel point la vie était précieuse et pouvait être courte. J'ai décidé d'aller en Afrique», mentionne Lili-Anna Pereša.

À 25 ans, elle part au Malawi où elle enseigne la chimie, la physique et les maths dans une école mixte rurale. Elle veut aider, être utile, faire la différence. Après le Malawi, ce sera le Burkina Faso, où elle sera conseillère en gestion pour Burkina Secours, une organisation non gouvernementale. Elle s'occupe notamment d'évacuer des femmes enceintes des villages vers le centre médical le plus proche.

Elle met en place avec Alain Saignol, fondateur de Burkina Secours, les mobylettes-ambulances. « À la saison des pluies, les ambulances ou même les 4x4 ne peuvent pas se rendre dans les petits villages, où les routes sont impraticables ; les mobylettes-ambulances étaient la solution. Elles secouraient les accidentés de la route, mais surtout les femmes qui étaient sur le point d'accoucher. » Puis, elle quitte l'Afrique pour la Croatie et la Bosnie-Herzégovine en pleine guerre, où elle est chef de mission. Elle reviendra à Montréal au début de la trentaine pour pouvoir mener une vie plus stable et avoir ses deux enfants.

Depuis son retour, elle a dirigé différents organismes communautaires et humanitaires : Les petits frères, le Y des femmes, Amnesty International à Paris et ONE DROP, avant de prendre les commandes de Centraide. Elle poursuit toujours le même but : réduire les inégalités et protéger les plus vulnérables, dont certaines femmes font partie.

Ce qu'elle retient de son expérience humanitaire ? « Que les populations locales ont beaucoup de potentiel, mais il faut leur donner l'opportunité de le développer. Il faut consulter les communautés, tout comme on le fait ici à Montréal, voir sur quoi elles veulent travailler, une école, un puits, et faire en sorte que ces projets restent dans la durée. J'ai une grande admiration pour ces pays et ces communautés qui vivent avec tellement peu, avec tellement de générosité, de partage et d'entraide. Ce sont des valeurs très fortes », confie-t-elle.

La générosité est un enjeu au Québec. « On le voit d'année en année, le nombre de personnes qui font un don dans la grande région de Montréal a diminué de 4 % dans les quatre dernières années, mais les dons moyens augmentent, dit-elle. J'ai le privilège d'être en contact avec les organismes et les bénévoles qui travaillent sur le terrain et je peux relayer les belles histoires aux donateurs. » Et de belles histoires, il y en a beaucoup, c'est ce qui la tient animée au quotidien. « On peut tous être des bienfaiteurs à différents moments de la vie, auprès de différentes personnes, un simple geste peut changer tellement de choses. »

Les sujets qui lui tiennent à coeur

L'éducation

« Tout passe par les femmes, que ce soit en Afrique ou même ici, au Québec, d'où l'importance de l'éducation des jeunes filles. Vous savez, quand un bébé naît en santé, ses chances de vie et de développement sont encore plus grandes si une maman est bien éduquée et bien alimentée. Toute l'économie informelle repose sur les femmes. Quand j'étais au Burkina Faso, l'excision n'était pas faite par la pression des hommes, mais par celle des femmes, des grands-mères, donc l'éducation des jeunes filles fait en sorte qu'il y a un bond de géant dans le développement de certains pays, comme en Afrique. »

Le tabou du viol

« La guerre de Bosnie a été le premier théâtre de l'utilisation du viol collectif et du viol individuel comme une arme de guerre, cela été reconnu dans tous les rapports internationaux. On s'est demandé comment on pouvait accompagner ces femmes, qui étaient musulmanes en grande partie, et pour lesquelles c'était un tabou. On a développé une clinique mobile gynécologique, qui est devenue aussi pédiatrique, pour qu'elles puissent, en plus d'être soignées, dans un cadre sécuritaire, se confier à nous. C'est un projet qui a très bien fonctionné et c'est un modèle qui a été utilisé au Kosovo, et aujourd'hui dans certains pays d'Afrique. »

La pauvreté

« Plus de 24 % de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans l'île de Montréal. C'est trop. Montréal est la grande ville la plus pauvre du Canada. On doit se donner comme Montréalais un objectif clair. Réduire la pauvreté de 4 % ou 5 %. L'objectif zéro est trop optimiste pour moi, l'ingénieure cartésienne. Donnons-nous un objectif atteignable. Toute la question de la persévérance scolaire le démontre, le taux de diplomation de l'île de Montréal est passé de 68 % en 2009 à 76 % en 2014. Notre objectif d'ici 2020 est d'atteindre 80 %. Quand on travaille de façon collaborative, on peut s'améliorer. »

L'inégalité des chances

« Il y a des communautés ici qui sont excessivement vulnérables, il y a trop d'iniquités et d'injustices. Il y a 11 ans d'écart de l'espérance de vie selon qu'on naît à Westmount ou dans Hochelaga-Maisonneuve. J'ai vécu cette injustice à 11 ans lorsque je suis allée voir ma famille en Yougoslavie dans un village où il n'y avait pas d'eau courante ni de téléphone ni d'électricité permanente. Je ne comprenais pas pourquoi des membres de ma famille n'avaient pas accès aux mêmes choses que moi. Comme société, on a la responsabilité de protéger les plus vulnérables et de s'assurer que tout le monde ait un départ équitable. »