Dix ans après sa sortie, le best-seller d'Elizabeth Gilbert Mange, prie, aime continue de faire des adeptes. Mais le livre ne fait pas que changer des vies. Il a aussi changé Bali. Portrait et analyse.

Le livre qui a changé des vies

C'est l'un des plus grands succès littéraires des 50 dernières années. Vendu à des millions d'exemplaires, traduit dans plus de 30 langues, même 10 ans après son arrivée en librairie,Mange, prie, aime suscite un engouement qui ne semble pas près de s'essouffler. Pourquoi ? Parce que oui, il y a des livres comme ça qui changent des vies. Témoignages. Analyse. Et critique.

Annie Gauvreau ne se fait pas prier pour témoigner. En direct de Bali, elle confirme : « Ce livre a vraiment changé ma vie ! » 

Elle s'en souvient comme si c'était hier. «  J'ai lu le livre et je me suis dit : "Oh mon Dieu, mais c'est ma vie !" » Tout comme l'auteure à succès Elizabeth Gilbert, la jeune mère se sentait à l'époque coincée dans un mariage malheureux. Elle ne voyait pas d'issue. « Ce n'est pas ça que je veux... » Et sa lecture a été une révélation. « Ça m'a inspirée. Ça m'a poussée à changer ma vie. Et à venir vivre à Bali, dit-elle. Ça m'a donné la force de suivre ma voie intérieure. C'est vraiment tombé à un bon moment. »

Voilà cinq ans que la Québécoise a tout plaqué : elle a quitté son mari, sa maison, sa vie, et elle est partie ici, en Indonésie, avec ses deux filles, des jumelles de 11 ans. Comme des milliers d'autres avant elle, elle est littéralement venue sur les traces de l'auteure : elle a rencontré le fameux sorcier Ketut (« Je n'arrivais plus à dormir, il fallait que je trouve le monsieur ! »), sans oublier Wayan, la guérisseuse. « Je cherchais à ce qu'on me sauve », laisse-t-elle tomber, à la fois lucide et pleine de foi.

PHOTO FOURNIE PAR ANNIE GAUVREAU

Le récit d'Elizabeth Gilbert a littéralement changé la vie d'Annie Gauvreau, qui est allée à la rencontre du sorcier Ketut Liyer, tout comme l'auteure.

Aujourd'hui, elle voit bien que le phénomène a pris un virage archicommercial et s'en amuse. « Celles-là, elles sont dans leur trip Eat, Pray, Love », dit-elle avec humour, en parlant de toutes ces filles (« Des âmes perdues ») qui débarquent ici avec leur sac à dos, tapis de yoga et calepin en main, pour trouver un sens à leur vie.

Suivre son coeur

N'empêche. Outre tous ces autocars de touristes en mal de spiritualité, Elizabeth Gilbert a surtout donné un coup de pied dans le derrière à bien des femmes, croit Annie Gauvreau. « Si tu es malheureuse, fais quelque chose, suis ton coeur, résume-t-elle. Je pense que ce discours a changé la vie de bien des femmes, parce que quelque part, ça prend du culot pour tout laisser tomber, faire le tour du monde et penser à ce qu'on veut, nous », dit-elle, en vantant la force d'un message aussi « simple, mais tellement puissant ».

La chanteuse Ima est du même avis. En vacances à Bali lors de notre entretien, elle explique comment la lecture d'Elizabeth Gilbert l'a forcée à se poser beaucoup de questions.

Elle ne s'en cache pas : cette lecture l'a inspirée « énormément », dit-elle. « Ça m'a appelée, l'idée des voyages, ça m'a beaucoup parlé. Oui, ça m'a motivée à aller à Bali. » 

Et depuis, elle n'est plus tout à fait la même. « Ce qui a changé ? L'idée de se faire confiance, de laisser aller la course folle, le stress et, à un moment donné, suivre son coeur. Apprendre à dire non et à me donner du temps. La lecture m'a beaucoup inspirée à faire ça  », conclut celle qui passe désormais plusieurs semaines chaque année à Bali.

PHOTO FOURNIE PAR IMA

La chanteuse Ima confie avoir été «énormément» inspirée par la lecture d'Eat, Pray, Love.

Le succès littéraire décortiqué

Martine Delvaux est professeure de littérature à l'Université du Québec à Montréal, essayiste et féministe. À notre demande, elle s'est plongée dans le roman pour tenter d'expliquer son retentissant succès.

La recette

Le verdict de la professeure ? « C'est mieux écrit que je le pensais », laisse entendre Martine Delvaux. Mais c'est dans la « recette » du best-seller qu'il faut aller chercher la clé. « La brièveté des chapitres, l'accessibilité de la langue, le ton de la confidence (on a l'impression que c'est notre meilleure amie qui nous parle, nous raconte sa vie et nous donne des conseils) », énumère-t-elle.

Le récit d'émancipation

Autre point accrocheur : le récit d'émancipation. « La femme est un modèle à la fois d'échec et de réussite, de survie et d'empowerment », analyse Martine Delvaux. C'est d'ailleurs la morale finale du livre  : « I was not rescued by a prince ; I was the administrator of my own rescue » (Je n'ai pas été sauvée par un prince, mais j'ai orchestré moi-même ma délivrance). C'est un modèle inspirant pour les femmes. Et quand Oprah Winfrey en fait la promotion en plus, disons que ça ne nuit pas.

L'identification

Enfin, le roman est ainsi écrit que tout le monde peut s'identifier. « L'auteure présente une vraie quête de soi, elle a tout essayé, elle s'est trompée. On peut tous se reconnaître là-dedans. En fait, on s'identifie, qui qu'on soit. C'est là, la force de son roman. Sans compter qu'elle n'est absolument pas cynique et que tout ça transpire l'optimisme, la paix, la foi, la joie... », conclut Martine Delvaux. Et faut-il le rajouter ? Les histoires qui finissent bien, en général, le public aime ça !

L'humour

Il ne suffit pas d'inspirer, encore faut-il accrocher les lectrices. Et l'humour est toujours ici très utile. Martine Delvaux compare l'héroïne à Bridget Jones, « par son côté autodérisionnel. Elle dit souvent tout et son contraire, analyse-t-elle. Le livre est un mélange de confession, self-help, guide touristique, ouvrage mystique, chick-lit humoristique ». Bref, il y en a pour tous les goûts.

PHOTO TOMA ICZKOVITS, FOURNIE PAR MARTINE DELVAUX

Martine Delvaux, auteure et féministe.

Un recueil de témoignages

Dix ans après le très inspirant Eat, Pray, Love, voici Eat Pray Love Made Me Do It, un recueil de témoignages de lecteurs qui racontent comment le livre les a motivés à bousculer leur vie.

Voyages, maternité, réconciliations : le livre propose une cinquantaine de récits qui promettent de nous faire verser une larme, s'il faut en croire la préface, signée Elizabeth Gilbert. 

En librairie en avril.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D'ÉDITION

Eat, Pray, Love Made Me Do It