On recherche chaque année plus de 5000 jeunes au Québec seulement. Pourquoi ? Et, surtout, quoi faire pour éviter le pire ? Voici quelques pistes à explorer.

Cultiver le meilleur

Non, ça n'arrive pas qu'aux autres. Oui, un ado, ça ment, ça fait des niaiseries et, parfois, ça disparaît. S'ils ne le savaient pas déjà, tous les parents en ont eu la douloureuse confirmation, pas plus tard que la semaine dernière, avec la disparition de la jeune Jade M., 16 ans. Si elle a finalement été retrouvée, la question demeure : comment éviter le pire, bref, cultiver le meilleur, avec nos ados ? Réponse en cinq temps, avec la psychologue de l'adolescence Florence Marcil-Denault.



Recherche identitaire


L'adolescence est une étape de « bouleversements ». Et oui, souvent, cela passe par une « mise à l'écart des parents ». « Cela fait partie du développement typique d'un adolescent, souligne la psychologue. En quittant l'enfance, on quitte l'idéation des parents. » Bien sûr, on souhaite que l'enfant continue de communiquer avec nous, mais souvent, les petites confidences vont se faire plus facilement avec le coach de basket, le prof de musique ou la marraine cool, « rarement le parent », qu'on se le dise.

La clé : s'intéresser

N'empêche, cet enfant demeure le vôtre. Et c'est vous qui le connaissez le mieux, qui savez le mieux le lire et le comprendre. Le truc pour garder la communication avec lui, malgré sa « recherche identitaire » ? « S'intéresser à lui ! », répond la psychologue. Mais pas n'importe comment. Non, pas du haut de votre statut de parent qui en a vu d'autres. Oubliez ici le jugement. Et écoutez-le sincèrement. Quelle musique aime-t-il, quelles sont ses émissions préférées ? C'est la clé : « Restez ouverts et intéressez-vous au monde des ados. »

Mensonge ou vérité

Un enfant qui boit ou fume en cachette, ce n'est pas l'idéal, mais ce n'est pas non plus anormal. « Ce n'est jamais correct de mentir, mais c'est normal », nuance la psychologue. Si vous vous en rendez compte, il est temps d'avoir une discussion. Le but ? Comprendre le pourquoi du mensonge, exprimer vos craintes et écouter le point de vue de l'ado. Objectif ? Trouver un terrain d'entente (limiter la consommation aux fins de semaine, lors de soirées, etc.). « Parce qu'équiper notre enfant pour qu'il devienne un adulte responsable, c'est ça qu'on veut ! »

Les amis

Peu importe si vous les aimez ou pas, mieux vaut toujours connaître les amis de votre enfant. Et même si vous ne les aimez pas, mieux vaut ne pas les interdire (sauf exception). « On risque de provoquer

une rébellion. » Solution ? Aider l'enfant à évaluer lui-même la qualité de ses amitiés : intérêts communs, fiabilité, respect, écoute, plaisir ? « Il faut travailler son intuition. Sinon, comment va-t-il développer son jugement ? »

Signes à surveiller

Quoi qu'il arrive, observez toujours votre enfant, conclut la psychologue. « Tout changement drastique majeur et durable doit vous alerter et mérite une intervention », dit-elle. Si les notes de votre enfant chutent considérablement, s'il s'isole, change de lookcomplètement ou ne fréquente plus du tout ses amis habituels, posez-vous des questions. « Il ne faut pas attendre qu'il arrive des catastrophes pour aller chercher de l'aide. »

Trois choses à retenir

La retenue

Quel que soit le scénario (un enfant qui a menti, triché, volé), on ne veut pas réagir dans l'excès. Non, le but n'est pas ici de faire peur. Au contraire. Faites preuve de retenue. Pourquoi ? « On ne veut pas que l'enfant se referme comme une huître, insiste Florence Marcil-Denault. Ce qu'on veut, c'est engager le dialogue. »

La modération

Cela étant dit, on a le droit d'exprimer nos inquiétudes, mais toujours dans la modération. Objectif : vivre un rapprochement avec son enfant. Un moment de type : j'ai eu si peur pour toi, voici pourquoi. Loin du jugement, de l'humiliation, et toujours dans le respect et l'amour.

Le compromis

C'est la clé : notre enfant a dépassé les limites. Il faut qu'il soit puni. « Demandez-lui de trouver une conséquence. Les ados sont très bons là-dedans », suggère d'ailleurs Florence Marcil-Denault. Mais peut-être faut-il aussi revoir certaines règles. Et ce, toujours dans le compromis. Exemple : Tu veux sortir ? D'accord. Mais comprends mes inquiétudes. Trouvons un terrain d'entente. « C'est le meilleur de tous les mondes », fait valoir la psychologue.

Seize disparitions...par jour

Les disparitions médiatisées ne représentent que la toute petite pointe de l'iceberg. Au Québec seulement, les autorités ont ouvert 5756 dossiers de jeunes disparus en 2014. Portrait d'une situation très complexe.



Des milliers de cas


En 2014, au Canada, plus de 41 000 disparitions de mineurs ont été rapportées aux autorités. À ce chapitre, le Québec se situe au quatrième rang au pays, avec 5756 jeunes déclarés manquants cette année-là. Il s'agit, dans une très grande majorité, d'adolescents originaires de Montréal. « Comme il y a beaucoup de fugues, ça varie avec les saisons. L'été et pendant les vacances, les chiffres sont plus élevés », explique le sergent Laurent Gingras, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Signalement immédiat

Un mythe veut que les policiers attendent 24 h avant de considérer qu'un jeune a bel et bien disparu. Pas du tout, assure le SPVM. Toutefois, dès qu'ils craignent une disparition, les parents « ont des vérifications à effectuer. D'abord, il faut contacter l'école, les meilleurs amis et la famille élargie pour connaître le dernier endroit où le jeune se trouvait ainsi que ses déplacements, explique Laurent Gingras. On peut aussi inspecter sa chambre et la maison afin d'identifier ce qu'il pourrait avoir apporté avec lui. Si, après ces vérifications, on n'a pas de réponse satisfaisante, on compose le 911 ». 

Des fugues, surtout

Pina Arcamone, directrice générale d'Enfant-Retour Québec, le rappelle : 85 % des dossiers de disparition concernent des fugues. Et, dans une même année, de nombreux jeunes fuiront leur domicile ou un centre jeunesse à plusieurs reprises. « Beaucoup de jeunes vivent des émotions tellement intenses qu'ils ont l'impression que personne autour ne peut les comprendre. On vit dans une époque très complexe, et ce, dans tous les milieux socioéconomiques », nuance Mme Arcamone.

Rare médiatisation

La disparition de Jade M. a attiré l'attention des médias, mais ce n'est pas le cas pour la majorité des jeunes qui manquent à l'appel. Pourquoi ? « Si on médiatisait tous les cas, on aurait une saturation très rapide. On ne ferait que ça... Ce que l'on veut faire, c'est garder l'intérêt des médias pour les cas où l'enquêteur considère qu'il y a vraiment un danger pour le jeune », explique Laurent Gingras, en précisant toutefois que, médiatisation ou pas, les recherches se poursuivent du côté des policiers. 

Revenir... ou pas

Heureusement pour les parents fous d'inquiétude, Enfant-Retour rapporte que 64 % des jeunes portés disparus sont retrouvés ou reviennent d'eux-mêmes dans les heures qui suivent le signalement. « Souvent, c'est ce qu'on appelle des "fugues spontanées". L'enfant claque la porte, mais lorsque la nuit tombe, il va rentrer à la maison », explique Pina Arcamone. Au total, 87 % des jeunes sont retrouvés en moins d'une semaine. C'est pour les autres que ça se complique. « Ces jeunes risquent de se faire entraîner dans une vie d'exploitation, car ils sont sans ressources et vulnérables », ajoute Mme Arcamone. 

Et après ?

Une fois le jeune retrouvé, l'histoire ne s'arrête pas là. Une aide supplémentaire s'impose, selon ce qu'il a vécu. S'il s'agit d'une fugue, le « vrai travail commence une fois que l'enfant est retrouvé », rappelle Pina Arcamone. « Notre expérience nous dit que si un enfant fugue plus d'une fois, il va partir toujours plus loin, et plus longtemps. Si on ne règle pas le problème, l'enfant s'expose à de plus grands dangers. Il faut comprendre ce que l'enfant manifeste par la fugue. » 

Personne n'est à l'abri

Parfois, un jeune disparaît, enlevé ou entraîné par un groupe criminel. Souvent, toutefois, il va fuguer, convaincu qu'il trouvera ailleurs ce qu'il cherche. Attention toutefois aux clichés : aucune famille n'est à l'abri, répète à plusieurs reprises Pina Arcamone. « Il y a plus de 40 000 signalements par année, au Canada ! Ça peut arriver à tout le monde et il n'y a aucune honte à demander de l'aide », soutient-elle. « Gardons la communication ouverte, ajoute le sergent Gingras. Ça n'empêchera pas tous les cas de fugue, mais ça peut certainement aider à contrecarrer ce phénomène. »

Des ressources

Des inquiétudes ? Des questions au sujet d'un jeune qui semble prendre un chemin dangereux ? Voici quelques ressources.

Ligne Parents

Documents sur la prévention des enlèvements et des fugues d'Enfant-Retour

Information du SPVM au sujet des gangs de rue

L'attrait de «l'autre côté»

En quoi un univers rebelle peut-il être attirant pour une adolescente ? Voici le point de vue de deux femmes qui ont vécu l'extrême : celui de Mélanie Carpentier, ex-esclave sexuelle pour des gangs de rue, et de Sophia*, mère d'une jeune fille entraînée dans la criminalité et la consommation.

Une culture «valorisée»

À 12 ans, Mélanie Carpentier a été victime d'un accident grave. Traumatisme crânien, mâchoire fracturée, réadaptation... Victime d'intimidation à l'école, elle cherchait un port d'attache. Elle en a trouvé un auprès d'un groupe de jeunes eux aussi exclus, parce qu'issus de minorités ethniques. Un groupe qui s'est avéré affilié aux gangs de rue.

Ç'a été, pour Mélanie, la porte d'entrée d'un monde dont elle s'est sortie à l'âge de 26 ans seulement, après huit ans à danser et à se prostituer pour le compte de criminels.

Mélanie Carpentier se souvient qu'à l'aube de l'adolescence, elle accordait une valeur à la criminalité qui prévalait dans ce genre de milieu. Son père, qui travaillait dans un centre jeunesse, parlait souvent de ces comportements.

Une caution dans la musique

La culture hip-hop dans laquelle elle baignait, adolescente, venait en quelque sorte cautionner le rôle qui lui a été attribué.

« Le hip-hop ne conduit pas une fille à la prostitution, pas plus qu'il conduit un gars aux gangs de rue, mais c'est quelque chose qui est valorisé dans les vidéos hip-hop, souligne Mélanie Carpentier. Si la jeune femme mange une claque par un gars de gang, elle se dit : "C'est normal, c'est comme la fille dans la vidéo." »

Encore aujourd'hui, ce rôle demeure malheureusement valorisé dans la culture populaire, constate Mélanie Carpentier, bachelière de l'Université de Montréal en voie de devenir criminologue. On n'a qu'à penser aux contes de fées, où la femme dépend toujours de l'homme. Ou même au film Twilight.

« Pour moi, c'est un film typique de gang de rue ! dit-elle. Il y a les Bloods d'un bord, il y a les Crips d'un bord, le loup-garou et le vampire, et au milieu, il y a la petite fille innocente en amour avec deux gars de gang différents, qui rase de se faire tuer à chaque film et qui reste là. »

* Mélanie Carpentier a fondé l'organisme La Maison de Mélanie pour venir en aide aux victimes de la traite humaine à des fins d'exploitation sexuelle.

«Ils promettent une belle vie»

La fille de Sophia était une adolescente difficile, qui n'aimait pas l'autorité, qui voulait faire ses propres choix. Avec elle, ses parents « marchaient sur des oeufs ». N'empêche, jamais Sophia ne se serait doutée de la tangente que sa fille prendrait à l'aube de l'âge adulte.

Vers 15 ou 16 ans, l'adolescente s'est mise à fréquenter un garçon (une connaissance de connaissance), qui lui a montré comment faire de « l'argent facile » grâce à la sollicitation (party ou autre).

« Tout s'est mis en place graduellement », raconte Sophia, professionnelle du monde de la santé. Sa fille s'est mise à fréquenter un membre de gang de rue, à vendre de la drogue. À en consommer.

Selon Sophia, sa fille souffrait de l'absence de son père. Peut-être cherchait-elle, quelque part, l'attention des hommes.

« Ce sont des gens très attentifs, qui promettent plein de belles choses, dit Sophia à propos des membres de gangs de rue. On ne sait pas tout, mais on sait qu'il y a eu beaucoup de partys très dispendieux, où elle n'avait rien à payer. Ils leur promettent la belle vie. Elles deviennent comme des princesses. »

Un peu de lumière

Une série d'événements a conduit sa fille, au début de l'âge adulte, à suivre une thérapie pour ses problèmes de consommation. C'est au terme de cette thérapie que Sophia a appris l'ampleur de ce que sa fille avait vécu (elle avait toujours nié auparavant). « Elle a subi plusieurs viols collectifs. »

Aujourd'hui, sa fille se porte bien et se tient loin de son ancien milieu. À la connaissance de Sophia, elle ne consomme plus.

Que peut-on faire pour aider son enfant quand on le sent glisser ?

« Rester présent et disponible pour lui, répond Sophia, qui fréquente le groupe d'entraide Al-Anon. Parler au « je », exprimer ses inquiétudes, sans les écraser davantage. Parce qu'une fois qu'ils ont franchi la porte de la maison, ils ont beau dire qu'ils vont voir un ami, on n'a aucun contrôle. »

* Sophia est un nom fictif.