Prendre soin d'une mère ou d'un père vieillissant est tout naturel pour quantité de gens. Ce devoir peut toutefois peser lourd sur ceux qui doivent aussi s'occuper de leurs enfants. On les appelle la « génération sandwich ». Plus la population vieillit, plus le groupe de proches aidants semble rajeunir.

Prendre soin d'un parent ou d'un conjoint vieillissant n'a rien d'exceptionnel. Environ un Canadien sur trois donne des soins non rémunérés à une personne de son entourage. Or, ces gens, que le système appelle les « proches aidants », vivent souvent des sentiments inavouables. « C'est dur, mais on ne veut pas le dire, confirme Manon. Ce ne sont pas de belles choses qu'on a à raconter. »

Soigner un proche constitue un devoir pour plusieurs. Se plaindre des conséquences est tabou. Manon, la quarantaine énergique, n'a accepté de faire part de son expérience qu'à condition de ne pas être identifiée par son vrai nom. Une autre femme a fini par avouer que son couple est sous pression en raison des soins qu'elle prodigue à sa mère lorsque La Presse lui a demandé ce qu'elle ajouterait à son témoignage s'il était anonyme.

Avouer sa fatigue, son exaspération ou le poids qu'exerce un parent vieillissant parfois malcommode sur sa propre cellule familiale n'est pas facile. La majorité des proches aidants (60 %) ont des enfants à charge. Les 45-64 ans dominent encore le portrait, mais la génération des 25-44 ans arrive juste après, et ils sont plus susceptibles d'être pris en sandwich entre des parents mal en point et des enfants encore jeunes, voire aux couches...

« C'est un phénomène émergent, estime Francine Ducharme, doyenne de la faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal. Je n'ai pas de statistiques à ce sujet, mais ce sera de plus en plus fréquent dans l'avenir, c'est clair, parce que les gens ont des enfants plus tard, ce qui fait que quand ils font des petits, leurs parents sont plus âgés. »

Débordés

Ces « jeunes » proches aidants sont des personnes comme Isabelle, 39 ans, mère de deux enfants de 3 et 6 ans. Avant d'avoir des petits - et longtemps avant que son père soit placé en CHSLD -, elle passait déjà ses dimanches à cuisiner pour ses parents. Au cours des six derniers mois, elle a consacré beaucoup de temps à son père atteint de sclérose en plaques, même si son conjoint travaille le soir et les fins de semaine.

Isabelle trouve néanmoins « normal » que les plus vieux et les plus jeunes s'appuient sur les gens de 40 ans. Elle a l'énergie, la santé et la stabilité pour fournir cet effort et se sent utile. « Il est déjà difficile de concilier travail et famille. En rajoutant les parents dans l'équation, ça déborde, admet-elle toutefois.

« On a le sentiment de ne jamais en faire assez au travail. Mon père trouve que je ne vais pas le voir assez souvent et quand je pense aux devoirs des enfants, je me demande si j'en fais assez », expose-t-elle.

Simone a aussi eu du mal à trouver un équilibre. « Je me disais que j'étais jeune, raconte-t-elle, que j'étais capable. » Le ménage, les repas, les devoirs, le boulot (elle dirige sa propre entreprise), le déchirement entre sa mère (qui vit sous son toit) et ses enfants, elle n'y arrivait plus. « J'ai dû lâcher prise, dit-elle, je délègue plus. » Pas question de s'offrir ne serait-ce qu'une nuit de répit à l'extérieur de la maison.

Être responsable d'un parent vulnérable implique souvent d'être moins présent auprès de ses enfants. Ou accepter d'être « monoparental » à temps partiel. « Ça force la division des familles », résume Lucie Gagnon, directrice de L'Appui pour les proches aidants d'aînés de Montréal, qui évoque aussi les impacts sur le partage des tâches ménagères et le temps de loisir. « Quand on a de jeunes enfants, on peut moins jumeler les activités, expose-t-elle. Tu ne veux pas mettre un enfant en contact avec un grand-père alzheimer qui devient agressif... »

S'organiser

Le sens de l'organisation de certains couples les aide à garder la tête hors de l'eau.

« Le contrat qu'on a, mon chum et moi, c'est : tu vas au front et je te soutiens, explique Manon. Je ne me voyais pas dire à mon beau-père quoi faire, m'immiscer dans son intimité. Mon chum a dû dire à son père de se laver plus souvent. Je ne pouvais pas faire ça, moi... »

Sa situation n'est pas forcément plus simple que celle d'Isabelle. L'aide que son conjoint et elle peuvent ou veulent offrir ne correspond pas toujours à ce qui est attendu d'eux. Dire non n'est pas facile. « On a décidé de ne pas prendre en charge la nourriture », dit-elle, par exemple. Elle ne ressent aucune culpabilité, par contre. « Je ne peux pas me sentir coupable d'offrir de l'aide », tranche-t-elle.

La frustration est parfois grande. Personne ne veut infantiliser son aîné. Or, Manon avoue avoir dû faire la leçon à son beau-père pour l'inciter à respecter une entente conclue entre son fils et lui, le faire « rentrer dans l'équipe », comme elle dit. L'aide aux proches est une affaire de collaboration. Avec les personnes concernées, quand c'est possible.

« On réussit plus facilement à avoir de l'aide pour nos enfants que pour nos parents, constate cependant Isabelle. Il est difficile de frapper à la bonne porte. Les différentes instances se renvoient la balle. » Lucie Gagnon est d'accord. « On a accepté socialement que tout le monde a une responsabilité envers ses enfants, observe-t-elle, en évoquant la conciliation travail-famille. Avec les parents, par contre, c'est plus difficile. »

Il y a quand même un peu de lumière dans tout ça. Manon trouve que son rôle de proche aidant transforme aussi positivement son conjoint. « Je trouve que c'est un bon fils. Il fait bien ça, estime-t-elle. Ça lui permet d'être un bon papa, un bon employé, un bon chum et un bon ami. »

Isabelle, elle, arrive à profiter du temps qu'elle passe avec son père. « On parle beaucoup, on a de beaux moments ensemble. Je trouve mon compte dans cette relation qui est en train de se développer, assure-t-elle. Il y a quelque chose de plaisant là-dedans. »

S'aider soi-même

Prendre soin d'une personne vulnérable n'est pas une mince affaire. Voici quelques recommandations pour mettre toutes les chances de son côté.

Se reconnaître

S'occuper de nos parents vieillissants, c'est dans l'ordre naturel des choses pour bien des gens, c'est leur redonner un peu des soins et de l'affection qu'ils nous ont prodigués. Or, ce geste d'amour va tellement de soi que plusieurs personnes ne se perçoivent pas comme des proches aidants. « Ça explique en partie la difficulté qu'on a à rejoindre les proches aidants, dit Lucie Gagnon, directrice de L'Appui pour les proches aidants d'aînés de Montréal. Ce n'est pas toujours le manque d'information qui est en cause. Ramona Mincic, elle-même directrice du Centre Évasion, qui offre des services de répit aux proches aidants, a mis du temps à se rendre compte qu'elle en était devenu une, elle aussi.

Prendre soin des siens est une valeur répandue. Alors, on commence par rendre de petits services et, petit à petit, on prend sur ses épaules une partie de la vie administrative ou du quotidien d'un proche. « Les gens s'engagent dans le rôle de proche aidant sans s'en rendre compte », dit encore Lucie Gagnon.

Quand on s'en inquiète de manière quasi quotidienne, qu'on l'aide à gérer ses affaires saisonnières ou courantes, on se trouve sans doute déjà dans une situation de proche aidance.

S'informer

Tous les intervenants soulignent l'importance de s'informer au sujet des ressources disponibles. Mieux, il faut apprendre à prévoir ce qui deviendra nécessaire. Puisque ce sont les parents de son conjoint qui ont besoin de soutien, Manon s'est justement occupée de prendre des informations. Quand une question devenait plus urgente ou une situation, plus concrète, elle n'avait qu'à présenter les solutions possibles. « Rester à distance me permettait de poser un regard extérieur sur la situation, ajoute-t-elle. On s'est rendu compte que c'était pratique que ce soit comme ça. » Les associations qui se consacrent à certaines maladies dégénératives, la Société Alzheimer, par exemple, sont de bonnes sources d'information.

S'entourer

« Il y a toujours un proche aidant principal dans une famille, a observé Francine Ducharme. Le danger, c'est de rester le proche aidant principal pendant 10 ou 12 ans et de se brûler. » La chercheuse, aujourd'hui doyenne de la Faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal, estime capital, dès le début, de répartir les rôles dans la famille et aussi de se bâtir un réseau formel (services officiels) et informel (amis, voisins, parents). « Tout faire comme proche aidant est vraiment une situation à risque pour la santé mentale », souligne-t-elle, ajoutant que la détresse psychologique qui touche les proches aidants est très bien documentée.

Solution miracle

Y a-t-il une solution miracle pour les proches aidants ? « Tous les cas sont différents. Comme je le dis souvent : le "one size fits all", ça ne marche pas dans le cas des proches aidants », explique Francine Ducharme. Au fil des ans, elle a constaté que tout était une question de perception, d'organisation et de ressources. « Il y a des gens qui sont extrêmement bien organisés ou qui ont un réseau de soutien fort. C'est le réseau de soutien qui permet de s'en sortir. »

Coffre à outils

Il est essentiel de bien s'outiller pour mieux aider. Coup d'oeil sur des solutions concrètes à des défis qui le sont tout autant.

Bracelets «MedicAlert»

Les bracelets d'identification de type MedicAlert ont bien évolué depuis leur implantation, il y a quelques décennies. Des versions plus stylées rendent ce précieux outil de renseignement aussi pratique qu'esthétique.

Bracelets/Pendentifs d'urgence

Plusieurs entreprises (Lifeline, Direct Alert, etc.) offrent des pendentifs ou des bracelets qui peuvent s'actionner automatiquement (en cas de chute, par exemple) et communiquer avec des services d'urgence. Bib Bip Panique offre aussi ce genre de système, mais sans frais mensuels.

Pharmacien

Les pharmacies ont mis en place plusieurs stratégies d'aide pour les aînés : préparation de piluliers hebdomadaires, livraison à domicile, appel au patient pour superviser la prise de médicaments, etc. Un bon point d'appui.

Ligne info-aidant

Service téléphonique gratuit et confidentiel. Les conseillers de ce réseau offrent écoute, information et références aux proches aidants. Se faire guider est souvent essentiel lorsqu'on est à la recherche de solutions pour soutenir un proche.

Aide aux devoirs

Intégrer les devoirs dans la routine est un casse-tête pour bien des familles. Quand l'un des deux parents doit s'absenter pour s'occuper de papi ou mamie, c'est juste pire. « Je demandais à mon fils s'il avait fait ses devoirs, mais je ne vérifiais jamais », avoue Simone, qui s'occupe beaucoup de sa maman. Elle a fini par jeter du lest et a engagé une étudiante pour superviser les devoirs. « Je me sentais coupable de mettre ça en place, mais ça m'a sauvé la vie ! » Une bonne recherche sur l'internet permet de découvrir des ressources, communautaires et privées.

Popote roulante

Se faire à manger lorsqu'on vit seul, ce n'est pas motivant. Avec des problèmes cognitifs ou de motricité, ce n'est parfois plus possible. Des organismes privés ou communautaires (dont la Popote roulante) livrent des plats chauds à domicile. Le portail Santé Montréal en présente une liste.