Le mois dernier à Toronto, des YouTubers de partout sur la planète ont quitté leur écran d'ordinateur le temps d'un festival. Parmi ces grandes vedettes du web se trouvaient, presque incognito, deux Québécois millionnaires de clics : PL Cloutier et Lysandre Nadeau. Sophie Ouimet les a rencontrés dans la Ville Reine.

À L'ÉCOLE YOUTUBE

PL Cloutier et Lysandre Nadeau se sont connus par YouTube, et sont devenus amis grâce à YouTube. C'est donc tout naturellement que nous les avons rencontrés ensemble, dans un hôtel chic de Toronto. Conversation à bâtons rompus sur un métier assez récent : YouTuber.

DEUX JEUNES CRÉATEURS

Pierre-Luc Cloutier (dit PL Cloutier)

Âge : 24 ans pour le reste de ses jours ( c'est ce qu'il dit ! )

Sur YouTube depuis : juin 2014

Nombre d'abonnés : plus de 113 000

Concept de la chaîne : on y parle de tout et de rien, autour d'«un bon verre de vin».

Lysandre Nadeau

Âge : 20 ans

Sur YouTube depuis : janvier 2010

Nombre d'abonnés : plus de 99 000

Concept de la chaîne : toute jeune, elle y racontait sa vie ; aujourd'hui, elle préfère se donner des défis. Ces temps-ci, elle apprend le pole dancing.

COMMENT ÊTES-VOUS DEVENU YOUTUBER ?



PL Cloutier : « J'étais chroniqueur à l'émission Cap sur l'été, à Radio-Canada, et je devais revenir pour la deuxième saison, mais il y a eu un gros rebrassage dans l'équipe et ils ne m'ont pas gardé. Puisque j'avais manqué la tournée des auditions pour tous les autres plateaux d'été, je me tournais les pouces, et j'ai commencé une chaîne YouTube pour m'occuper. J'ai découvert Lysandre en cherchant qui étaient les Québécois sur YouTube ! »



Lysandre Nadeau : « En fait, je n'ai aucune idée de comment ça a commencé. Je ne me suis jamais dit : "Ok, je vais faire des vidéos." C'est juste qu'à un moment donné, j'en ai fait une, puis une autre... Finalement, cinq ans plus tard, j'en ai tourné 300 ! C'est juste arrivé, comme ça. »



DES HISTOIRES DE COMING OUT

Vous avez été placés dans la catégorie LGBT du festival. Qu'est-ce que cela signifie pour vous?



PL Cloutier : « C'est drôle parce qu'au Québec, on n'aime pas faire des catégories ; les gais, on veut les inclure avec les autres. Tandis que chez les Anglais, il y a quelque chose de beau à militer pour les droits des différences, et j'étais content d'avoir l'occasion de le faire, car je n'ai jamais vu ça au Québec. D'ailleurs, en France, c'est extrêmement rare que des youtubeurs soient ouvertement gais ou ouvertement lesbiennes. »

Lysandre Nadeau : « Je suis une ex-lesbienne, une "hasbienne" ! J'ai été avec des filles toute ma vie, et c'est seulement cette année que j'ai commencé à m'intéresser aux gars. J'ai eu ma première blonde vers l'âge de 14 ans, et mon premier chum cette année. La catégorie LGBT, c'est surtout parce que c'est ainsi que ma chaîne a été connue. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Pierre-Luc Cloutier

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lysandre Nadeau

DES VEDETTES À TORONTO

« Louiiiiiis ! Louiiiiiis ! » Les fans sont en délire sur le tapis rouge du Buffer Festival à Toronto, exactement comme à l'anti.gala Karv chez nous. La petite foule grelottante, massée malgré le froid devant le Roy Thomson Hall, s'agite actuellement pour le Britannique Louis Cole, dit « Fun For Louis », un blogueur de voyages extrêmement populaire.

Le grand gaillard aux cheveux coiffés en dreads se prête gentiment au jeu, en serrant ses fans une par une dans ses bras en leur disant : « Nice to meet you. »

Le tapis rouge représente le moment culminant du festival pour les fans venus rencontrer leurs YouTubers préférés, qu'ils côtoient habituellement uniquement à travers l'écran de leur téléphone. Des YouTubers en herbe s'y trouvaient aussi, comme Cara et Jackie, deux grandes blondes originaires d'Hamilton, en Ontario, qui participaient à des ateliers pour bonifier leurs propres chaînes YouTube.

Cette troisième mouture du Buffer Festival - créé par le Canadien Corey Vidal, lui-même une vedette de YouTube - est manifestement la plus ambitieuse jusqu'à maintenant. L'événement regroupait toutefois presque uniquement des anglophones, excluant toute la francophonie, qui compte pourtant de prolifiques YouTubers.

Le week-end dernier, ils étaient plus de 75 YouTubers réunis à Toronto. En voici trois qui ont fait tourner les têtes.

Louis Cole, dit Fun for Louis

Le blogueur vidéo au charmant accent britannique publie quotidiennement des capsules qui relatent sa vie et ses aventures autour du globe.

Charlie McDonnell, dit Charlieissocoollike

Britannique lui aussi, il a grandi devant la caméra (pendant que Lysandre Nadeau, à Matane, grandissait en l'écoutant).

Ben Brown, dit Mr Ben Brown

Britannique lui aussi, c'est un blogueur vidéo qui possède mille facettes :  athlète accompli - deux fois champion du monde en kayak -, il est aussi féru de voyages, de design et de photographie. Les observateurs aguerris reconnaîtront Fun For Louis dans la vidéo...

LES QUÉBÉCOIS S'ORGANISENT

Depuis quelques mois, la communauté québécoise de YouTube s'organise. « Moi, je suis arrivé un peu tardivement sur YouTube, et il y avait déjà une communauté qui existait », dit PL Cloutier, dont la chaîne existe depuis un an et quelques mois. « On avait une communauté, mais c'est seulement cette année qu'elle s'est clarifiée », enchaîne Lysandre Nadeau, qui est sur YouTube depuis cinq ans.

Maintenant, les morceaux se mettent en place un à un pour les YouTubers québécois. Ils se connaissent, se côtoient, organisent même des « meet up » - où ils donnent rendez-vous à leurs fans dans un espace public pour aller à leur rencontre.

Et les choses risquent de s'emboîter encore mieux avec l'arrivée de Slingshot, une division d'Attraction Images qui vient d'être mise sur pied. « Le Slingshot, c'est un studio de création de contenus et de représentation de YouTubers », résume Micho Marquis-Rose, directeur de la stratégie, du développement et de la production numérique chez Attraction Images.

Selon M. Marquis-Rose, Slingshot représente l'aboutissement d'une réflexion de plusieurs mois sur la façon d'approcher YouTube en tant que producteur de contenus. La boîte représente actuellement une dizaine de YouTubers québécois ; certains visages connus comme Lysandre Nadeau et Cynthia Dulude, d'autres qui gagnent rapidement en popularité comme Élie Pilon, qui fait davantage dans l'humour. « Slingshot rejoint les 12 à 35 ans, donc les milléniaux et la génération qui suit », poursuit M. Marquis-Rose.

Selon lui, le dernier tapis rouge de l'anti.gala Karv a vraiment démontré l'engouement du jeune public envers leurs idoles du web.

« Quand ils marchaient sur le tapis rouge, les YouTubers avaient autant de reconnaissance que Marie-Mai ou des comédiens très connus. Ces deux réalités peuvent donc coexister. » - Micho Marquis-Rose

Selon lui, le lien de confiance et de promiscuité est très fort entre le public et les YouTubers. « Leurs fans, dit-il, ont vraiment l'impression de très bien les connaître. » Le support, aussi, est plus intime que la télévision. « Souvent, les jeunes vont regarder les vidéos sur leur téléphone cellulaire, donc au creux de leur main, dans leur lit ou dans l'autobus. C'est très chaleureux comme contact. Et quand les jeunes aiment, ils adorent. »

PAYER SON LOYER GRÂCE À YOUTUBE ?

Oui, il est possible de vivre de sa chaîne, notamment par les contrats périphériques que les YouTubers peuvent décrocher. Grâce à ses vidéos, Lysandre Nadeau est devenue blogueuse pour Narcity (la version française de MTL Blog). PL Cloutier, quant à lui, produit aussi des vidéos pour la chaîne ontarienne Flip TFO.

Pour réduire la distance entre elle et les occasions d'affaires, Lysandre a déménagé à Montréal. « Lorsque j'habitais à Matane, chaque fois que j'avais une opportunité, il fallait que je fasse sept heures de route avec papa et maman », lance-t-elle.

PL Cloutier et Lysandre reçoivent également un cachet de YouTube, par dépôt direct, le 22 de chaque mois. La somme est déterminée en fonction du nombre de clics. Car sur YouTube, deux statistiques cohabitent : le nombre d'abonnés et le nombre de clics. Ce sont ces derniers qui comptent le plus en matière de revenus, explique PL Cloutier.

« Le nombre d'abonnés, ça ne change rien, c'est juste que ça paraît bien. Mais il faut énormément de vues pour en vivre », dit PL Cloutier.

D'ailleurs, les YouTubers québécois sont suivis, en grande partie, par des fans disséminés dans la francophonie. Le Québec représente seulement 30 % des visionnements de PL Cloutier ; le reste provient de la France, la Belgique et la Suisse. Quant à Lysandre, ses fans sont divisés à 50 % entre le Québec et le reste de la francophonie.

Avec l'explosion récente de YouTube chez nous, les Québécois suivent les traces des Européens et des Américains, dont les modèles d'affaires dans le domaine ont prouvé qu'ils fonctionnaient. « Quand on regarde ailleurs, cette réalité-là a déjà fait ses preuves et elle ne s'essouffle pas », affirme Micho Marquis-Rose, qui prédit un bel avenir à cette industrie. « Moi, je me dis qu'il y a plein de belles choses à faire avec eux. On est au début de quelque chose de bien avec cette nouvelle génération de créateurs. »

TROIS YOUTUBERS QUÉBÉCOIS : 

Cynthia Dulude : Sa réputation n'est plus à faire. La chaîne de maquillage et de coiffure de Cynthia Dulude est parmi les plus connues au Québec. Elle vient de signer avec l'équipe Slingshot.

Thomas Gauthier : Il est drôle, charmant et fait craquer les jeunes filles. Il a aussi une émission à Vrak.tv.

Emma Verde : La toute jeune femme fait partager ses trucs mode, beauté et style de vie sur sa chaîne. C'est aussi une recrue de Slingshot.