Ils vivent bien en solo, s'organisent seuls et gèrent leur quotidien en toute liberté. Qui sont ces gens qui vivent de façon autonome? Cinq portraits.

L'homme séparé

Guillaume* a 40 ans, une belle carrière, beaucoup d'amis. Une blonde parfois, parfois pas. Surtout, il vit seul. Mieux :  il protège « jalousement » son intimité. Pourquoi ? Parce qu'il a donné : il s'est déjà marié, mais ça n'a pas marché.

Et cet échec, visiblement, l'a drôlement marqué...

« J'ai été échaudé et déçu par l'échec de cet engagement », résume le ténébreux quadragénaire, qui nous a donné rendez-vous dans son « bureau », un salon de thé à deux pas de son chic appartement de la Petite Italie, pour nous raconter sa vie.

« On m'avait toujours reproché mon manque d'engagement. Là, je me suis engagé, et ça n'a pas marché. Oui, j'ai été échaudé et déçu », répète-t-il, alors que résonnent les paroles de Jean Leloup à la radio. « L'amour est sans pitié ». Ça ne s'invente pas.

C'était il y a cinq ans. Il n'est pas « officiellement » divorcé, mais c'est tout comme. Depuis, il a certes eu quelques femmes dans sa vie, mais jamais elles n'ont laissé leur brosse à dents chez lui. « Je pense que c'est peut-être mieux que j'aie mon lieu à moi, et que ma blonde ait son lieu à elle », laisse-t-il tomber. C'est qu'il a de toute évidence besoin d'espace et que la vie à deux, et surtout la « domesticité », ça n'est pas son truc.

Ce qui ne veut pas dire qu'il soit sauvage. Au contraire. Archi sociable, entouré d'un vaste réseau d'amis, qui fait office de famille élargie, Guillaume aime beaucoup recevoir. Recevoir ses amis, sa femme du moment. Mais pas n'importe quand. Ni surtout n'importe comment. 

« J'ai de la difficulté à ouvrir la porte aux compromis nécessaires à la vie à deux. » 

- Guillaume, 40 ans

Oui, il peut se le permettre. « Je paye mon indépendance chèrement », admet-il. Et s'il ne le pouvait pas ? Bonne question. Il réfléchit. Mais n'hésite pas vraiment. Doucement, il avoue que s'il avait moins de moyens, « je vivrais dans plus petit ». Pas question, en gros, de sacrifier sa sacro-sainte autonomie. Pourquoi ? « La réponse politiquement correcte, c'est parce que je veux préserver mon autonomie, mon indépendance, gérer ma maison comme je veux. Mais la réponse plus douloureuse, c'est que j'ai du mal à me brancher dans la vie... »

Torturé, et aussi éternellement adolescent. « C'est sûr. J'ai pas de comptes à rendre. Je peux me ramasser si j'ai le goût. Cela dit, c'est super propre chez nous ! »

Oui, son mode de vie est égoïste. Il ne se le cache pas. « Définitivement. Assumer sa liberté totale, c'est forcément être égoïste », admet-il.

Mais pas fier de l'être. « Oui. On me l'a souvent reproché. Et ce n'est pas une fierté. J'haïs ça, me faire dire ça... »

*Pour se confier en toute liberté, Guillaume a préféré préserver son anonymat.

La jeune professionnelle

Gabrielle fêtera ses 32 ans dans quelques semaines. Jeune professionnelle, elle vit seule depuis un an et demi dans son condo qu'elle a acheté dans la Petite Italie. Juste avant, elle a partagé un appartement, un an, avec une amie, et sa vingtaine, elle l'a vécue avec son amoureux avec qui elle a habité pendant six ans. 

« J'adore vivre seule. Cela dit, j'aime beaucoup habiter avec la personne que j'aime, mais je dois dire que j'apprécie cette liberté. Habiter seule n'est pas une source d'angoisse ou de solitude, absolument pas. Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui ont peur de vivre seuls, ce n'est pas mon cas », dit-elle. Elle apprécie le fait de pouvoir gérer son espace de vie, pouvoir décorer à sa façon son appartement dans lequel elle se sent bien et de le ranger comme elle l'entend. Elle ne rend de comptes à personne, sauf à elle-même. Elle reçoit très souvent chez elle et est très entourée par de nombreux amis.

« Je fais ce que je veux ! C'est agréable ! Quand j'ai envie de me retrouver seule, j'ai simplement à rentrer à la maison. »

- Gabrielle, 31 ans, urbaniste

Elle évoque le fait que chez les jeunes femmes qui réussissent et qui ont de l'ambition, quand elles sont célibataires, on sent chez les gens une certaine pitié. « Comment se fait-il que tu sois seule ? Tu n'as pas encore trouvé de petit ami ? On s'en occupe ! C'est ce que j'entends souvent. Comme si pour que ma vie soit complète et réussie, il faudrait que j'aie un amoureux dans ma vie », s'exclame Gabrielle, qui précise qu'à partir d'un certain âge (30 ans), il faut, aux yeux de la société, avoir franchi certaines étapes, comme celle d'être en couple et d'avoir eu un enfant.

Est-ce qu'on associe les célibataires à la solitude et à la tristesse ? « Oui, le fait d'être physiquement seule n'a aucun lien avec le fait de se sentir seule, surtout quand on sait que les personnes les plus entourées peuvent ressentir la plus grande des solitudes. Ça vient nous chercher profondément dans notre ADN social, la peur qu'ont beaucoup de gens d'être seuls », pense-t-elle.

Comme les gens qui vivent seuls sont de plus en plus nombreux, elle se dit qu'on ne devrait plus se surprendre de ce choix de vie. « On va intégrer cette option comme quelque chose de naturel. »

Gabrielle a un amoureux depuis quatre mois, elle en est ravie. Il habite seul, de son côté, et est lui aussi propriétaire de son condo. « Il n'y a pas une situation qui est meilleure que l'autre, est-ce qu'on peut juste laisser les gens faire ce qu'ils veulent ? Si tu souhaites habiter seule, très bien, si tu veux emménager avec la personne que tu aimes, c'est très bien aussi... » C'est peut-être ce qu'elle fera. À suivre.

La retraitée

Réjeanne*, 77 ans, s'est séparée de son mari dans les années 70, ce qui était encore rare, précise-t-elle, à cette époque. Elle a eu la garde de sa fille, voyait son fils la fin de semaine. Professeure, elle a enseigné le français au secondaire, puis dans les centres de jeunesse. Elle vit seule depuis que ses enfants ont quitté la maison, il y a 30 ans. Elle s'est acheté un condo dans un joli quartier de Montréal et apprécie cette vie en solitaire où elle fait ce dont elle a envie tous les jours. 

« J'ai eu une vie professionnelle remplie et je suis toujours très active socialement. Je suis en santé, je vois des amis, je vais écouter des conférences, j'ai fait aussi pas mal de voyages en groupe en France, Italie, Portugal, Colombie-Britannique et je me suis même impliquée politiquement (bénévolement) aussi pendant un certain temps », confie-t-elle.

Elle aurait aimé se donner une autre chance et vivre en couple, mais ça n'a pas fonctionné. « J'aime les hommes, mais être obligée de vivre avec leurs mauvaises humeurs, de toujours devoir s'occuper d'eux et de leurs problèmes, surtout qu'il faut toujours leur donner raison, ce n'était pas pour moi », poursuit-elle. Elle convient qu'il est difficile de trouver un bon compagnon :  « On dit souvent qu'il vaut mieux être seule que mal accompagnée, je le crois pour l'avoir vécu. Je n'ai jamais manqué d'amour, mais la vie de couple 24h sur 24, disons que je n'ai pas été favorisée. »

Pour vivre seule, il faut être à l'aise financièrement. 

« Ç'a toujours été d'une importance capitale à mes yeux d'être autonome émotionnellement et financièrement. J'ai fini ma maîtrise à 45 ans et j'en étais fière. » 

- Réjeanne, 77 ans

Elle s'est beaucoup occupée de ses parents jusqu'à leur mort il y a quelques années (sa mère est morte à 94 ans et son père, à 98 ans) et si elle avait eu un mari à la maison, elle n'aurait pas eu le temps de s'occuper de lui aussi, poursuit-elle.

Elle a un amoureux depuis quelque temps, qu'elle voit plusieurs fois par semaine, mais il n'est pas question d'habiter avec lui. « On a une très belle complicité et ça nous convient très bien de cette façon. »

Le fait de ne pas avoir d'ordinateur l'isole et elle se sent un peu en décalage parfois, mise à l'écart. « Les gens ne comprennent pas qu'on ne soit pas sur internet ! »

Il y a des moments où elle se sent seule, des soirées un peu longues où elle aimerait bien avoir quelqu'un à ses côtés, surtout qu'elle commence à avoir quelques petits soucis de santé, rien de grave, mais de petits problèmes liés à la vieillesse. « Il faut être philosophe et se dire qu'on ne peut pas tout avoir dans la vie. Dans la vie à deux, il y a de grands bonheurs et de grandes difficultés, dans la vie en solitaire aussi ! C'est ce que je me dis les soirs de solitude. On idéalise la vie à deux, surtout quand on vit seule. » Les jours plus difficiles, elle se dit toujours qu'elle a le choix : « Soit je reste chez moi et je rumine ou je sors et je vais manger avec une amie, il faut être proactive ! »

*Pour se confier en toute liberté, Réjeanne a préféré préserver son anonymat.

Le solitaire

Depuis plus ou moins 15 ans, après avoir eu quelques colocataires, vécu un an avec une copine, Nicolas*, 43 ans, vit seul. Solitaire de nature, il croit aussi que c'est ce qui lui permet d'être un meilleur ami, un meilleur amoureux, bref, une meilleure personne, plus heureuse en prime. Qui dit mieux ?

« Pour être une meilleure personne sociale, j'ai besoin d'avoir plus de temps tout seul », résume-t-il.

Le solitaire quadragénaire nous reçoit dans son coquet appartement de Rosemont pour un café. Décoré avec goût, son logement compte, à vue de nez, presque autant de guitares que de vélos. Sa chambre d'amis (son « débarras ») abrite pas moins de trois bicyclettes à elle seule.

« J'aime ça, vivre seul. Ça me permet de faire plein d'affaires : lire, jouer de la musique, faire du sport, réfléchir... Avec plein de monde, t'as pas le temps de réfléchir sur ta vie. » 

- Nicolas, 43 ans

Ce besoin de solitude ne date pas d'hier. « J'ai toujours été comme ça, se souvient-il. Petit, je me cachais pour regarder les gens. »

Il est aussi très conscient qu'il perdrait cette liberté en partageant son toit avec quelqu'un. « Je perdrais le contrôle sur les moments de solitude dont j'ai besoin. Il faudrait plus de logistique », croit-il.

« Comme j'ai besoin de moments de solitude, je trouve mon équilibre. Quand je vois quelqu'un, c'est parce que j'ai vraiment le goût de le voir. Ce n'est pas imposé. »

« De par ma personnalité, cela fait de moi une meilleure personne au niveau social. » 

- Nicolas

Ce « solitaire sociable », comme il se définit lui-même, a de toute évidence trouvé son bonheur dans son mode de vie. Sa copine vit également seule, et tous deux ont conclu que vivre ensemble pourrait aussi avoir « un impact négatif » sur leur relation. « Tous les deux, on a besoin de ces moments de solitude. »

« Moi, je suis bien. J'aime les gens qui questionnent l'ordre établi. Qui confrontent la conformité pour essayer de voir comment être heureux. Pour moi, c'est important, conclut-il. Et moi, je m'arrange pour être heureux. »

*Pour se confier en toute liberté, Nicolas a préféré préserver son anonymat.

La divorcée

Emma*, 52 ans, est divorcée depuis quatre ans. Pleine d'énergie, cette célibataire mène une vie trépidante entre son travail, ses amis, ses nombreux voyages et activités. Même si elle ne s'ennuie jamais et que le temps passe à toute allure, dans l'absolu, elle aimerait rencontrer quelqu'un avec qui partager sa vie.

« J'ai un idéal de vie : c'est celui d'être en couple et de partager mon quotidien avec un amoureux. C'est extraordinaire et enrichissant, mais c'est certain que c'est exigeant aussi et le danger, c'est que plus le temps passe, plus je me demande si je ne vais pas être trop difficile », confie Emma. Car elle est très heureuse dans sa vie actuelle, très remplie. Entourée d'un incroyable réseau social et d'amis intéressants, elle jouit d'une grande liberté.

Elle estime d'ailleurs que c'est un luxe de faire ce qu'elle veut en tout temps et de ne pas faire de compromis. « Je suis bien dans ma vie, autonome, j'ai une carrière passionnante alors parfois, je crains qu'avec l'âge, trouver quelqu'un avec qui nos choix de vie s'arriment devienne compliqué. Surtout que les chances de rencontres sont plus faibles, qu'il y a moins d'hommes disponibles et que la réalité, c'est que, souvent, les hommes cherchent des femmes plus jeunes... »

Emma, qui n'a pas d'enfant, confie qu'il y a des préjugés face aux personnes qui vivent seules. 

« On nous voit comme des gens incapables d'être en couple, trop carriéristes, égoïstes ou qui doivent avoir trop de problèmes ! Ce n'est pas vrai ! » 

- Emma, 52 ans

Elle est inspirée par des modèles de couples qui l'entourent. « J'ai beaucoup d'amis qui forment des couples solides, qui sont ensemble depuis longtemps et j'aspire à cela. C'est une belle expérience de vie, le fait d'avoir de nombreux souvenirs partagés à travers les années avec un amoureux, d'avoir des références d'un passé commun, c'est beau de voir ça. »

En même temps, il y a différentes façons de vivre. « Je connais des gens qui sont en couple et qui habitent dans deux villes différentes. Ils se voient tous les week-ends, se parlent tous les jours et gardent un espace pour eux. Pourquoi pas ? pense Emma. Il n'y a pas qu'une seule façon de faire. »

En attendant, la grande question qui se pose est comment rencontrer quelqu'un, car c'est un défi ! « J'ai un emploi du temps assez chargé, les sites de rencontres, ça ne me donne pas envie, les blind dates, j'en ai eu pas mal, c'est artificiel. J'ai fait des rencontres un peu par hasard dans ma vie et j'ai eu le temps de découvrir des gens, mais tout le monde est tellement pressé aujourd'hui. Donnons-nous la chance de nous ouvrir et de faire de vraies rencontres ! »

* Pour se confier en toute liberté, Emma a préféré préserver son anonymat.