En 25 ans, Photoshop a révolutionné le monde de l'image, remodelant les silhouettes, floutant les imperfections et nettoyant les traces du temps sur son passage. Serait-il le grand coupable de notre obsession de la jeunesse?

Avant que Photoshop ne révolutionne les pratiques, faire une retouche était une opération longue et onéreuse que seuls les plus habiles maîtrisaient. Le logiciel a nettement simplifié les choses pour les professionnels, si bien que même l'oeil aiguisé peine parfois à distinguer le vrai du faux.

«Ce logiciel a changé ma vie, estime Marc Montplaisir, dont la carrière de photographe a démarré en 1988, au moment où la pellicule était encore utilisée. L'avantage, c'est que je n'ai pas besoin de faire d'efforts supplémentaires au niveau de l'éclairage. Je passe maintenant la moitié de mon temps à retoucher mes images. Le métier a évolué.»

Transformer une image est maintenant simple. Si simple, en fait, que de nombreuses applications reprenant certaines fonctions de Photoshop sont aujourd'hui accessibles à même les téléphones intelligents, offrant ainsi l'occasion à tous de présenter une image de soi lavée de ses «imperfections». L'outil aurait-il trouvé sa cible en chatouillant notre fibre narcissique?

Créer l'illusion 

«Je retouche avec Photoshop entre 10 et 20% des rides, assez pour qu'une personne soit au meilleur de ce qu'elle peut être à son âge», poursuit Marc Montplaisir, en précisant que son approche est conservatrice par rapport à ce qui se fait dans le milieu.

Les retouches de base consistent généralement à uniformiser la peau, corriger le teint, diminuer les cernes, adoucir les rides et enlever les imperfections comme les boutons, les taches et les pores plus visibles. Plusieurs vont cependant plus loin en créant des peaux exemptes de texture et parfois même de traits.

«Il m'est arrivé souvent de faire remettre des rides qui avaient complètement disparu une fois l'image passée par la retouche, raconte Chantal Arès, directrice artistique pour des magazines féminins. On me demande généralement d'enlever du gras, de remonter un peu certaines parties du corps, d'enlever des rides et des boutons. Les femmes ne veulent pas nécessairement avoir l'air plus jeunes; elles veulent être plus belles!» Et cette beauté passe par quelques ajustements auxquels s'ajoutent un bon éclairage et un beau maquillage.

Quoiqu'on s'entende pour dire que les hommes sont généralement moins retouchés que les femmes, personne n'y échappe, selon Jean-Jacques Stréliski, professeur associé au département de marketing de HEC qui a gravité dans le monde de la publicité pendant 35 ans.

Métamorphoses 

Dans l'univers de la mode et des cosmétiques, les débordements sont particulièrement fréquents. Les mannequins et les vedettes, qui sont considérés comme des archétypes de beauté, sont souvent soumis à une véritable métamorphose. Photoshop a créé un univers virtuel qui se confond avec la réalité avec une telle précision qu'il est facile d'être dupé. Il a haussé les critères d'évaluation du corps en fabriquant des silhouettes apparemment «parfaites».

Le piège: «Photoshop arrive à donner avec précision un reflet de ce qu'on voudrait être. On voit tellement d'images retouchées que par mimétisme, on se lance dans une course folle pour ressembler à ce qui n'existe pas», explique M. Stréliski. Et il n'y a qu'un pas à franchir pour en venir à vouloir se «photoshopper» dans la réalité. Selon l'American Society for Aesthetic Plastic Surgery, il est courant que des clients apportent la photo d'une vedette à leur rendez-vous.

On nous présente des images de corps éternellement jeunes et un vieillissement artificiel, pense Jean-Jacques Stréliski. «En rajeunissant les sujets de façon déraisonnable, on a un peu ridiculisé la vieillesse ou du moins, on l'a retirée de son contexte naturel. On se mesure ensuite à ces étendards de beauté physique et forcément, on se trouve moins frais, moins beaux!»

Photoshop contribuerait donc à distordre notre façon de voir le corps humain en nous offrant des corps irréels qui ont cependant l'air vrais. 

Le retour du balancier

De plus en plus de voix s'insurgent présentement contre les retouches abusives. L'entreprise de cosmétiques Dove a fait de la beauté diversifiée l'objet de ses campagnes publicitaires depuis plus de 10 ans. Des personnalités plus ou moins publiques et d'autres très connues font des coups d'éclat pour montrer la réalité telle qu'elle est.

L'année dernière, la comédienne Keira Knightley posait seins nus et sans retouches pour l'Interview Magazine en guise de protestation contre Photoshop et les manipulations dont elle fait l'objet pour ajouter notamment plus de courbes à son corps. Il y a quelques mois, une photo de Cindy Crawford non retouchée, exposant ses rides, sa cellulite, ses vergetures et autres particularités communes aux mortels, générait un certain affolement sur les réseaux sociaux..

Selon un sondage réalisé en 2012 par le magazine Glamour auprès de 1000 Américaines, 43% des répondantes jugeaient toutefois acceptable de voir des images retouchées dans les magazines; 39 % dans le cas des publicités. La moitié se disait également en accord avec le fait d'enlever numériquement les rides des visages contre 22% pour ce qui est d'amincir la silhouette.

On a accès à tous ces moyens pour se retoucher, aujourd'hui. Il faut juste savoir doser, estime Chantal Arès. «Quelqu'un de 40 ans qui n'a plus de rides, ce n'est pas normal. On le voit bien: quand c'est trop, c'est trop. Mais il ne faut pas oublier qu'on vend du rêve. C'est ça, la mode et la beauté! On doit vendre.»

Et là où on l'on vend du rêve, on fabrique aussi l'illusion.