Tout le monde connaît quelqu'un qui doute de la version officielle du 11 septembre 2001. Qui croit que les autorités mentent continuellement, voire que la planète est menée par une élite secrète et malveillante. Notre journaliste Alexandre Vigneault s'est intéressé à la psychologie des partisans des théories du complot et explique que certains esprits sont plus susceptibles d'y adhérer que d'autres.

Des complots plein la tête

Une personne sur deux croit à une théorie du complot ou une autre, estime Michael J. Wood, chercheur en psychologie à l'Université du Kent, en Angleterre. Entre une personne qui doute que toute la vérité ait été faite sur le 11-Septembre et une autre qui clame que la transformation de Bruce Jenner en Caitlyn est une preuve de plus d'un complot Illuminati, il y a tout de même un pas. Que certains esprits franchissent plus facilement que d'autres.

«La plupart des gens croient à une théorie du complot ou une autre, mais la majorité des gens ne font pas appel aux théories du complot pour expliquer ce qui se passe dans le monde», nuance en effet le psychologue originaire de la Colombie-Britannique, qui s'est initié aux discours conspirationnistes à travers la série X-Files et qui s'affaire désormais à les décortiquer.

Peut-on faire le portrait psychologique d'un conspirationniste ? Seulement de manière imparfaite, bien que les recherches réalisées à ce jour établissent des liens entre certains traits psychologiques et l'adhésion au conspirationnisme. «Beaucoup de gens qui adhèrent aux théories du complot ressentent une forme d'aliénation, signale par exemple Michael J. Wood. Ces personnes ne se sentent pas représentées dans la société.»

L'attachement aux libertés individuelles, l'ouverture «aux nouvelles expériences», la méfiance envers les autres et les institutions sont aussi communs chez les tenants des théories du complot. Or, c'est le sentiment d'impuissance face à sa vie ou au système politique qui semble au coeur de ce type de lecture du monde.

Ne pas croire au hasard

«Il y a des indices qui pointent vers des enjeux de contrôle, précise le psychologue de l'Université du Kent. Les théories du complot donnent l'impression que le monde peut être contrôlé. Les choses n'arrivent donc pas par hasard.» 

Jean Twenge, du département de psychologie de l'Université de San Diego, suggère que ce sentiment d'absence de contrôle jumelé à une exposition grandissante à des événements incontrôlables contribue à l'émergence d'une «mentalité de victime».

«Souvent, les théories du complot mettent en scène des gens dominés par des puissants qui leur mentent. Ces derniers auraient même le pouvoir de falsifier la vérité en achetant les complicités politiques et médiatiques», dit la psychologue Rachida Azdouz.

L'influence de ces puissances supposément malveillantes leur permettrait ainsi d'écrire l'actualité - voire l'histoire - comme bon leur semble. Toutefois, ceux qui croient, par exemple, que les images montrant des astronautes américains sur la Lune ont été fabriquées par la NASA oublient un détail, selon un sociologue américain : une telle arnaque aurait exigé la complicité de milliers de personnes - scientifiques, techniciens, journalistes - et même celle d'astronomes soviétiques. Plus un complot est vaste, moins il a de chances de demeurer secret, selon Ted Goertzel.

Opération paix d'esprit

Élisabeth Vallet, politologue de l'UQAM, croit que les théories du complot offrent des explications simples à des phénomènes complexes. Son confrère français Julien Giry voit un avantage à ce genre de lecture du monde : «[La théorie du complot] permet de rassurer, analyse-t-il. On sait pourquoi toutes les choses mauvaises arrivent, c'est l'action d'un groupe d'individus - francs-maçons, Illuminati, etc. -, c'est eux, la nuisance unique.»

«Peut-être que ça va avec ce qui se passe avec les médias, avec le fait qu'on tende à favoriser des messages de plus en plus courts. On le voit en tant qu'expert à la radio, à la télévision et même dans l'espace qui nous est alloué dans les journaux qui réduisent», suggère Élisabeth Vallet. «En ayant moins d'espace [dans les médias], on va nécessairement réduire le faisceau d'éléments qu'on va apporter pour expliquer ce qui se passe.»

Dans un récent dossier du mensuel français Le monde diplomatique, l'économiste Frédéric Lordon envisageait l'adhésion aux théories du complot comme la contrepartie d'un manque de transparence répandu. «Le conspirationnisme n'est pas une psychopathologie de quelques égarés, écrit-il, il est le symptôme nécessaire de la dépossession du politique et de la confiscation du débat public.»

«Il y a probablement beaucoup de ça, reconnaît Élisabeth Vallet. Ça joue énormément, mais j'ai l'impression que les pics de complot, ce sont des moments où, simultanément, le débat est réduit et il y a des événements qui touchent les gens et auxquels on cherche des explications quasiment monolithiques.» Comme les attentats du 11-Septembre.

Je doute, donc je suis

Remettre en question la parole des autorités est un réflexe qui n'a, de prime abord, rien de malsain. «Le doute est même une preuve d'intelligence, fait valoir la psychologue Rachida Azdouz, qui est aussi directrice du Centre d'études et de formation en enseignement supérieur de l'Université de Montréal.

Douter, c'est être libre par rapport aux idées toutes faites qu'on veut nous asséner.» Ce doute se transforme en pensée conspirationniste lorsqu'il devient la pierre d'assise d'une méfiance «viscérale» et «excessive» à l'endroit de la parole officielle, selon elle.

Ce qui rassemble les «Truthers», qui réclament une nouvelle enquête sur le 11-Septembre, c'est d'abord le fait de ne pas croire à la version officielle. En analysant des débats en ligne, Michael J. Wood a d'ailleurs constaté que les partisans du complot avancent peu d'arguments pour soutenir leur point de vue ou défendre une explication différente. «Ils passent l'essentiel de leur temps à pointer les trous de l'histoire officielle», résume-t-il.

Ce qui continue d'intriguer ce psychologue, c'est qu'en partant des mêmes informations, les partisans des théories du complot et lui arrivent à des conclusions différentes au sujet des forces qui mènent le monde. «Peut-être que les théories du complot ne sont pas aidantes elles-mêmes, mais elles reflètent un état d'esprit positif, nuance-t-il toutefois. C'est le signe que les gens se méfient de leur gouvernement et que celui-ci est imputable. Que les gens demeurent vigilants.»

Ces croyances ont-elles un impact négatif ? «Parfois, oui. Pour ceux qui nient les changements climatiques ou affirment qu'il ne faut pas faire vacciner les enfants, ces théories du complot peuvent être assez dommageables.»

Vérité ou manipulation?

Où est le vrai ? Où est le faux ? Y a-t-il eu complot ? Coup d'oeil sur cinq événements.

Assassinat de JFK

Version officielle: Lee Harvey Oswald est l'unique tireur et assassin du président Kennedy, tué à Dallas, au Texas, le 22 novembre 1963.

Théories du complot: La «mère de toutes les conspirations» a donné lieu à quantité de théories, plusieurs mettant en cause, ensemble ou séparément, la mafia, la CIA, le FBI, le vice-président, l'armée... Le film JFK, d'Oliver Stone, cristallise les doutes au sujet de la version officielle.

Laporte et le FLQ

Version officielle: La cellule Chénier, qui a enlevé le ministre Pierre Laporte, l'a assassiné lorsqu'elle a compris que les autorités n'accéderaient pas à ses demandes.

Théorie du complot: La cellule Chénier a effectivement enlevé le ministre et est responsable de sa mort, sauf que les autorités politiques et policières ont laissé faire les quatre felquistes. Selon cette version, la mort de Pierre Laporte arrange le gouvernement Bourassa et sert à torpiller le capital de sympathie dont jouit le FLQ.

11-Septembre

Version officielle: Deux avions commerciaux se sont écrasés sur les tours jumelles, qui se sont effondrées en détruisant d'autres bâtiments du complexe World Trade Center.

Théories du complot: L'effondrement est le résultat d'une démolition planifiée et contrôlée à l'aide d'explosifs, pas des dégâts causés par les avions ; d'autres théories avancent qu'il n'y a jamais eu ni pilote ni avion, que c'était un hologramme géant et/ou un montage.

Golfe du Tonkin

Version officielle: En août 1964, deux navires américains sont successivement attaqués par les forces nord-vietnamiennes dans les eaux internationales. Cet incident - longtemps sujet à controverse - a eu un impact décisif sur l'entrée en guerre des États-Unis contre le Viêtnam du Nord.

Version revue et corrigée : Ces attaques n'ont jamais eu lieu et, selon un historien de la NSA, les services de renseignement ont délibérément trafiqué l'information qui fut transmise aux décideurs et à la population américaine. Resté dans l'ombre pendant plusieurs années, le travail de l'historien en question a été relaté par le New York Times en 2005.

Vol MH370

Version officielle: Le vol de Malaysia Airlines s'est abîmé en mer pour une raison encore inconnue ; un bout d'aile retrouvé cet été à la Réunion semble confirmer cette thèse. 

Théories du complot: L'avion a été détourné soit au Kazakhstan, soit vers la base américaine de Diego Garcia en raison du fret qu'il transportait, pour servir lors d'un futur attentat ou parce que des ingénieurs au savoir d'une grande valeur se trouvaient à bord ; l'avion a été abattu par les Américains parce qu'il menaçait de s'écraser sur la base de Diego Garcia ; l'avion a été enlevé par des extraterrestres...

Louis Hamelin, compagnon du doute

La maestria de Louis Hamelin lui a valu bien des éloges au moment de la publication de La constellation du Lynx, roman d'enquête qui creuse la crise d'Octobre 1970 et les mois qui l'ont précédée. Sa défense, d'abord littéraire, puis intellectuelle, d'une manipulation des felquistes par les autorités politiques et policières lui a toutefois valu d'être associé aux tenants des théories du complot.

«J'ai été associé à ces gens-là», admet l'écrivain. Ce n'est pas un compliment, il en est bien conscient. «Conspirationniste» ou «théoricien du complot» sont des étiquettes «infamantes», analyse-t-il. Louis Hamelin trace un parallèle avec les années 50 : «Si on voulait discréditer quelqu'un [à cette époque], on le taxait de communiste. De nos jours, on le traite de conspirationniste.»

Le romancier, qui se définit comme un «conspirationniste critique», ne prétend pas détenir des preuves absolues de ce qu'il avance dans La constellation du Lynx. «Je prétends avoir fait une recherche sérieuse et établi une interprétation solide et globale de ces événements-là, affirme-t-il toutefois. Je reconnais que je prétends qu'il y a une certaine conspiration - peu importe la forme.»

Des tenants des théories du complot, qui voyaient l'Opus Dei ou la CIA derrière les événements d'octobre 1970, Louis Hamelin en a croisé. Il a cependant tenu à s'en distancier. «Il faut quand même faire appel à la notion de gros bon sens si on ne veut pas se mettre à délirer, juge-t-il. Il faut examiner les preuves et les éléments qu'on a en main, faire une recherche sérieuse, ce que la plupart des gens qui délirent sur JFK ou d'autres sujets sur l'internet ne font pas.»

Fictions et réalité

Trois ans après la publication de son roman brillant et controversé, Louis Hamelin a poussé la note en signant un texte dans la revue l'Inconvénient, où il abordait les théories du complot comme un sous-genre de fiction littéraire. «Il y a tellement d'imagination là-dedans», signale l'écrivain, tout en soulignant que sa posture tenait «un peu» de la provocation.

«L'art des théories du complot est de faire des liens», selon lui. L'internet est le «Klondike» des complotistes puisque c'est dans la nature même de ce média de tisser des liens entre les gens et les idées. «Le conspirationnisme actuel pour moi, c'est la rencontre de notre monde surinformé et d'une certaine pensée religieuse, c'est-à-dire la recherche d'une explication unique derrière la complexité, réfléchit-il. Je regarde ça d'un air amusé.»

Le «gros bon sens» l'empêche d'accorder du mérite aux théories des truthers américains, selon lesquels il n'y avait ni pilote ni terroriste dans les avions qui ont percuté les tours jumelles au matin du 11 septembre 2001.

«C'est devenu un réflexe chez certaines personnes de mettre en doute l'explication quand elle vient d'en haut, d'un gouvernement ou autre. C'est un symptôme intéressant de notre époque», dit Louis Hamelin.

Or, il croit que, dans ce domaine comme dans bien d'autres, ce sont les extrémistes qui nuisent aux gens sérieux. «Le premier mouvement de scepticisme devant une vérité officielle ou une explication qui semble trop simple ou trop belle, je le trouve très sain, dit-il. Après, il faut de la rigueur.»

«La manipulation de l'information, ça existe, on le voit tous les jours dans le monde politique et dans les affaires. Ce qu'on appelle les conspirations, c'est souvent une manipulation extrême de l'information, estime-t-il. Si on ne peut plus réfléchir librement à ces choses-là comme intellectuel parce qu'on a peur d'être traité de conspirationniste, c'est dommage.»

Photo: Jessica Garneau, Imacom

Louis Hamelin.

Des chiffres sur les doutes

51 %

Un peu plus de la moitié des Américains croient que l'assassinat de John F. Kennedy faisait partie d'un complot plus grand.

28 %

Proportion de la population américaine qui croit qu'une élite cachée conspire pour prendre le contrôle de la planète et imposer un nouvel ordre mondial.

25 %

Pourcentage moyen des Américains croyant qu'il existe une autre explication que la version officielle au sujet de la mort de Lady Di ou des attentats du 11 septembre 2001.

24 %

Près d'un américain sur quatre croit que le gouvernement savait à l'avance pour les attentats du 11 septembre 2001 et qu'il n'a rien fait pour les empêcher.

4 %

Segment de la population croyant que des êtres reptiliens ont pris une forme humaine pour infiltrer le cercle de pouvoir et manipuler la société.