Les filles hétéros auraient-elles envahi les bars gais ? C'est en tout cas ce que dénonce sans détour l'auteure et drag-queen Miz Cracker de Harlem, qui qualifie le phénomène de véritable plaie, du moins à New York. Qu'en est-il à Montréal? La Presse+ a sondé le terrain pour en avoir le coeur net.

Dans un article publié il y a quelques semaines dans le magazine Slate, l'auteure aborde un sujet tabou s'il en est: la place des hétéros dans les bars gais. D'entrée de jeu, le ton est donné: à quoi sert un bar gai?

Non, Miz Cracker ne souffre pas ici d'hétérophobie aiguë. Car ce n'est pas l'orientation sexuelle de cette nouvelle clientèle qui la dérange, mais plutôt son manque de savoir-vivre. Elle décrit ici des femmes qui débarquent, en série, souvent pour des enterrements de vie de jeunes filles. Elles sont alors exubérantes, souvent vulgaires, limite hystériques, bousculant de toute évidence l'équilibre ambiant. Un propriétaire de bar gai new-yorkais, sous le couvert de l'anonymat, confirme même dans Slate: «Je crois que les partys de bachelorettes devraient être interdits.»

À Montréal, la présence de femmes hétéros dans le Village ne date pas d'hier. Pas un gérant de bar rencontré n'a parlé d'«invasion», comme à New York. Évidemment, rectitude politique oblige, personne ne va non plus dire à une journaliste hétéro qu'elle n'est pas la bienvenue dans un bar gai.

«Je ne demande pas aux gens avec qui ils finissent la soirée. Ici, on est là pour faire la fête», confirme Thierry Bontemps (ça ne s'invente pas), propriétaire du Code (anciennement l'Appolo).

«Pour la plupart des gais, les femmes hétéros ne sont pas dérangeantes du tout», ajoute un client, 40 ans, représentant publicitaire. «À moins de cas uniques...»

LE «FLÉAU» DES ENTERREMENTS DE VIE DE JEUNE FILLE

Ce qui est dérangeant, de toute évidence, ce sont les enterrements de vie de jeune fille (et de jeune homme, quoique moins nombreux). Comme à New York, finalement. «Oui, il y en a beaucoup. Toutes les fins de semaine, ça n'arrête pas de débarquer. À un moment donné, c'est assez», témoigne Guy Millette, le gérant du Complexe Sky, qui a carrément averti ses portiers.

Il faut dire qu'il n'est pas rare que les filles «débarquent à quatre, en criant», avec poupées gonflables et autres jouets géants, sollicitant fessées et baisers. «À la limite, c'est rire de nous, dénonce Jean Michaud, de l'Aigle Noir. Elles font des conneries à connotation sexuelle, dit-il. Les clients sont tannés.»

Luc Provost, alias Mado Lamotte, le propriétaire du seul bar à la clientèle majoritairement hétéro du Village (« il n'y a pas d'invasion dans le Village, à part chez Mado, confirme-t-il en riant, et je suis le dernier qui va être contre ça ! »), pense pour sa part que certaines filles arrivent ici en s'attendant à ce que tout soit permis. « Certaines filles vont se frustrer parce qu'on ne les laisse pas monter sur la scène, illustre-t-il. Ce n'est pas parce qu'on est gais qu'on est plus trash et plus willing. Oui, on est plus ouverts d'esprit, mais on n'est pas plus cons ! »

L'ÉTIQUETTE DE LA FILLE HÉTÉRO DANS UN BAR GAI

Luc Provost, alias Mado, s'est amusé avec nous à décliner quatre règles de savoir-vivre. À respecter dans un bar gai, country, électro ou hétéro.

• Respecte ton voisin. Si l'ambiance est tranquille, tranquille tu resteras. «Comme dans n'importe quel bar. Si tu vas dans un bar country, ne demande pas du disco...»

• Non, n'essaie pas de ramasser un gars. «Ou alors essaye, mais bonne chance ! Parce que ce n'est pas vrai qu'un gars gai avec qui tu as eu du fun toute la soirée et dansé des danses lascives, ou même que tu as frenché, va partir avec toi à la fin de la soirée!»

• Ne sois pas surprise de voir des hommes dans les toilettes des femmes. C'est comme ça. «Parfois, les gars ont besoin des miroirs des femmes!»

• N'oublie jamais que ce n'est pas parce que tu es dans le Village que tu peux faire tout ce que tu veux. «Ce n'est pas parce qu'on est gais qu'on est trash.»