Dévoiler ses faiblesses n'est pas le sport favori des hommes. Même si les choses changent un peu, beaucoup d'entre eux ont du mal à dire ce qui leur retourne le coeur. Alexandre Vigneault a rencontré des gars qui passent leur mardi soir à parler de ce qui leur brasse l'intérieur au lieu de regarder le hockey.

«Je pense qu'on est en train de vivre une révolution masculine», avance Yanick Gagnier. Il ne dit pas ça du ton enfiévré du militant de la guerre des sexes, mais d'une voix posée où pointe l'espoir. Ce dont il parle, c'est d'une révolution tellement tranquille qu'elle se fait presque sans bruit, si ce n'est celui que font les mots quand ils fissurent peu à peu le mythique et encore bien réel silence des hommes.

La Presse a croisé Yanick un soir de février à l'étage d'un ancien presbytère du quartier Rosemont. L'endroit sert de quartier général à une garderie et quelques organismes communautaires dont CooPère, qui propose des activités variées pour les papas: avant-midi de jeux pères-enfants, escapade d'une journée, camps d'été et d'hiver, ainsi que des soirées entre hommes pour jaser, tout simplement.

Ce mardi de février, ce papa de deux enfants était attablé avec trois autres pères et deux intervenants: Jean-Philip Bernier, de CooPère, et Isabelle Lavoie, accompagnante à la naissance. La rencontre faisait partie de la série Pères sans frontières, destinée à aider les hommes à «avancer dans [la] paternité». Bref, c'est un groupe d'échange, un lieu de fraternité.

L'un raconte comment il fait sa place dans les activités familiales avec sa femme et ses filles. Un autre révèle combien il souffre de ne pas trouver la sienne entre son bébé au sommeil fragile et sa blonde épuisée, il se sent inutile. Quelques commentaires stéréotypés sur la femme et l'homme sortent de la bouche de l'un ou de l'autre, mais le ton n'est pas à la confrontation. L'objectif de chacun est d'être un meilleur père et un meilleur conjoint.

Réapprendre à parler 

Yanick a entendu parler de CooPère il y a huit ans. «Je n'étais pas capable d'y aller à ce moment-là, dit-il. J'avais peur d'être jugé.» Il a fait le saut il y a deux ans. «Je cherchais à me rapprocher de mes enfants. Ç'a l'air simple dit comme ça, il y a des gars pour qui ça se fait naturellement, mais pas moi. J'avais besoin, comme à l'école, qu'on m'apprenne comment faire.»

Guylain Croteau, 41 ans, a lui aussi mis du temps à se décider. Il vivait une séparation difficile qui l'a fait passer de papa à temps plein à papa une fin de semaine sur deux. «J'ai vécu ça comme une défaite. Comme un abandon, dit-il. J'avais l'impression d'abandonner mon fils en ne réussissant pas à faire que sa mère ne parte pas dans une autre ville.»

Il a mis six mois à commencer à s'ouvrir un peu au sujet de ce qui le faisait souffrir. Entre autres au moyen de soupers collectifs organisés par CooPère où les hommes parlent de tout et de rien, mais toujours un peu de leurs enfants «parce que c'est ça notre lien». Guylain cherchait d'abord des réponses à des questions précises. Il ne les a pas trouvées là, mais il est resté.

«Ça m'a apporté plus que ça», dit-il. Avec les soirées Pères sans frontières, il apprend à mieux communiquer ses émotions. «Ça fait drôle, des fois, d'aller là-dedans, lâche-t-il. C'est peut-être plus naturel pour d'autres.» Son sentiment est partagé par Yanick: «On n'est pas habitués de parler de nos affaires.»

Retrouver l'homme en soi 

Son silence, Yanick l'a d'ailleurs pris à bras le corps il y a deux ans en participant à un week-end de croissance personnelle organisé par Les Hommes de coeur. «Ça n'allait pas bien à ce moment-là avec ma conjointe. J'avais beaucoup de difficulté à m'exprimer dans l'intimité, raconte-t-il. Ça m'a permis de faire la paix avec l'homme que je suis.»

C'est presque un cliché de le rappeler, mais les hommes n'ont pas tendance à se confier les uns aux autres. Ils se taquinent ou «restent superficiels et cons», dit Luc Lacroix, fondateur des Hommes de coeur, avec une compassion certaine. «Dans l'intimité, les gars sont souvent gauches, inconscients ou insouciants, poursuit-il. Ils pensent que tout va bien jusqu'à ce que ça leur pète dans la face...»

Les hommes attendent souvent des crises pour chercher du soutien: séparation, perte d'emploi, départ des enfants... «Plein d'hommes vivent des situations qu'ils ne comprennent pas et ils n'ont peut-être pas d'amis avec qui en parler, ni l'envie ou les moyens d'aller voir un thérapeute», observe François Camus, directeur général du Réseau Hommes Québec.

Le manque de modèles masculins (père absent, frères distants, etc.) et la culture de l'homme au-dessus de ses affaires font que celui qui tente de se confier risque plus de se faire dire: «voyons donc, oublie ça» que «viens t'asseoir on va en jaser». «Les hommes sont encore pris avec le modèle traditionnel», constate-t-il.

Yanick va même jusqu'à dire qu'il se sentait «étranger» dans le monde des hommes. «Les Hommes de coeur ont réussi à me réconcilier avec ça», dit-il. «On invite les gars à prendre le risque de s'ouvrir, expose Luc Lacroix. À prendre le risque d'être jugé. Si tu te rends compte que tu n'es pas jugé, ça remet les choses en perspective.»

Trois voies vers soi

Causerie informelle ou boot camp émotif, les approches pour inciter les hommes à retirer leur armure vont d'un extrême à l'autre. En voici trois.

Jaser entre gars

L'essence du Réseau Hommes Québec (RHQ), c'est de favoriser la mise sur pied de petits groupes de six à huit hommes qui souhaitent parler de ce qu'ils vivent. L'idée, c'est de «partir de l'émotion pour comprendre ce qui ne marche pas et ce que l'homme aimerait avoir pour aller mieux», explique François Camus, directeur général du RHQ.

Des hommes de tous les âges participent aux groupes, mais la plupart auraient entre 40 et 65 ans, comme quoi il y a des âges plus propices que d'autres aux remises en question. Ces discussions sont aussi une manière d'aider les hommes à «prendre leur place» dans leur couple.

François Camus dit qu'en cherchant d'abord à faire plaisir à leur blonde, bien des hommes cessent d'exprimer leurs besoins. «À force de ne pas exprimer ses besoins, on devient un peu éteint», dit-il.

Se mettre à nu

L'organisation Les Hommes de coeur, fondée par Luc Lacroix, veut aider les hommes à être «plus fiers d'eux», à communiquer de manière authentique et à mieux se connaître afin de se rapprocher des femmes. Rien de politique ici. «On est plus dans le soutien auprès des hommes sur le plan de la croissance personnelle», explique le fondateur.

Le coeur de cet organisme, c'est un atelier intitulé Nos racines qui se déroule sur un peu plus de deux jours. Des jeux et des exercices sont soumis aux participants afin qu'ils renouent avec leur masculinité, mais qu'ils se dévoilent. Physiquement (un atelier au moins implique de la nudité) et surtout, émotionnellement.

Les Hommes de coeur se défendent de faire de la thérapie. Luc Lacroix insiste pour dire que les activités proposées mettent l'accent sur une «verbalisation authentique» et que si certains hommes ont des problèmes sérieux, ils sont incités à consulter un professionnel.

Boot camp émotif 

Né aux États-Unis, le Mankind Project s'est bâti une réputation et un réseau planétaires à la faveur d'un atelier d'une fin de semaine intitulé Le nouveau guerrier. «On ne peut pas trop parler des activités parce qu'on veut réserver la surprise», dit François Camus, qui en a fait l'expérience il y a quelques années, ici même au Québec. Il évoque tout au plus des rituels initiatiques inspirés de diverses cultures.

Les informations qui ont filtré dans les médias parlent de gars qui dansent nus au son des tambours, d'une forme de privation de sommeil et de discussions au cours desquelles les hommes se passent un objet témoin qui est en fait un pénis de bois sculpté. Des activités inusitées qui, selon l'organisation, ont une importance symbolique lorsqu'elles sont mises en contexte.

Luc Lacroix estime que le Manking Project et Les Hommes de coeur poursuivent le même objectif: inciter les hommes à être plus vrais et plus intègres avec eux-mêmes. Comme François Camus, il a apprécié son expérience, qu'il juge néanmoins plus dure que celle qu'il a développée. «Notre méthode est plus bienveillante», précise-t-il toutefois.

Mankind Project a suscité la controverse il y a quelques années au Texas après le suicide d'un jeune homme qui avait participé à l'atelier du Nouveau guerrier. Les critiques les plus virulents laissent entendre que certaines de ses pratiques s'apparentent à celles des sectes. L'organisation mère se défend longuement de ces accusations sur son site internet.

François Camus, lui, n'a rien à reprocher au Mankind Project, au contraire. «Mankind est la seule organisation que j'ai entendue dire clairement de ne pas prendre de décision importante au cours des six mois qui suivent l'atelier, dit-il, pour laisser le temps aux hommes de redescendre du «high» [provoqué par cette expérience intense].»