Peut-être vous souvenez-vous de cette époque où vous alliez passer vos samedis soir à vous déhancher au son de Depeche Mode, a-ha ou The Cure? Mais il y a de bonnes chances que vos enfants, eux, passent leurs soirées avec des écouteurs sur les oreilles, seuls devant un petit écran. D'où la question: mais où sont donc passées les discothèques de notre adolescence?

Flirts de jeunesse sur le plancher de danse

Son adolescence, c'est là qu'elle s'est passée. Yanick Daigle a été animateur au 13e Ciel de 12 à 14 ans. Il se souvient encore de l'immense club de la rue Saint-Grégoire, qui pouvait accueillir des centaines de jeunes, lequel n'avait franchement rien à envier aux discothèques réservées aux moins jeunes de l'époque. Mêmes tubes de Samatha Fox et Platinum Blonde, en trinquant ici avec un Virgin Mary ou un Pina Colada, le rhum en moins.

«Pour moi, le 13e Ciel, ça a représenté mon adolescence, se souvient-il. Bien sûr que j'ai eu mon premier amour au 13e Ciel! Beaucoup de couples se sont formés ou déformés au 13e Ciel! C'était encore l'époque des slows... 

Si les jeunes se rencontraient en se collant sur Say You Say Me, en font-ils autant aujourd'hui? «Depuis la fermeture du 13e Ciel [dans les années 90], je n'ai jamais rien vu de similaire. Il y a des danses dans des gymnases d'école, mais ça n'a rien à voir.»

Alors, révolue, l'époque des flirts de jeunesse spontanés sur un plancher de danse bondé? «Je pense qu'avec l'internet, les jeunes se rencontrent plutôt sur Facebook, avance Yanick Daigle. C'est une autre époque...»

Ysabel Gauvreau, qui a passé ses samedis soir d'adolescence à la Gargouille, dans un sous-sol d'église d'Outremont, n'est pas de cet avis. Les jeunes veulent sortir, mais ils ne savent pas où, dit-elle. «Ma fille a envie de sortir, mais il n'y a nulle part où aller pour elle! Bien sûr, il y a notre sous-sol, mais ce n'est pas pareil. Elle a le goût de la foule, et c'est l'âge! Mais il n'y a rien d'adapté pour les jeunes. Moi, à son âge, j'ai adoré ça! Peut-être que je devrais ouvrir une place moi-même!»

PHOTO FOURNIE PAR YANICK DAIGLE

Yanick Daigle a été animateur au 13e Ciel de 12 à 14 ans.

Trois hypothèses

Si les images du 13e Ciel semblent aujourd'hui tout droit sorties d'une autre époque, trois facteurs expliqueraient la disparition des discothèques du genre: l'argent, les gangs de rue et les jeunes eux-mêmes. Explications.

Pas d'alcool, pas d'argent

«C'est une question de rentabilité. Les propriétaires ne trouvaient pas leur compte», avance Renaud Poulin, directeur général de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec. Les salles coûtent cher à louer et se financent généralement avec les ventes d'alcool. Or, les jeunes n'ont ni les moyens ni le droit de consommer. «Ce sont des gens qui ne dépensent pas!»

Les gangs de rue

Le directeur du Taz, Michel Comeau, a songé il y a quelques années à organiser une soirée «disco» à son Skatepark. «Mais on m'a déconseillé de le faire: ne fais pas ça, ça va être l'enfer à gérer!» L'enfer? Parce que le concept n'attire pas que les jeunes et honnêtes fêtards. Selon lui, une des raisons pour lesquelles les discothèques d'ados ont fermé, c'est précisément à cause de la présence des gangs de rue. «Ces clubs sont devenus des nids pour recruter des jeunes filles», une hypothèse que partage Renaud Poulin, de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec. «Peut-être, oui, on sait que les gangs de rue sont très présents là où l'on retrouve des jeunes. Mais on n'a pas fait d'études là-dessus.»

Les jeunes eux-mêmes

D'après le sociologue Gilles Pronovost, sortir incarnait jadis une sorte de rituel, marquant le coup d'une nouvelle étape dans la socialisation des adolescents. Or, aujourd'hui, non seulement les enfants sont adolescents plus tôt, mais en plus ils socialisent ailleurs (sur l'internet, entre autres). En prime, ils cherchent à tout prix à s'écarter de toute forme d'encadrement. Question d'autonomie. «Dans la mesure où ces discothèques étaient des lieux que les adultes mettaient à la disposition des jeunes, on comprend que, dans la culture juvénile, le jeune cherche à s'émanciper le plus rapidement possible», explique Gilles Pronovost. D'où, avec le temps, le désintérêt des jeunes pour ce genre de club, croit-il.

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S'éclater ailleurs qu'en boîte de nuit

Deux options s'offrent aux jeunes qui veulent tout de même faire la fête, en rythme et en musique, dans une ambiance club.

S'envoyer en l'air

Le centre de trampoline iSaute propose, afin d'attirer une clientèle ado, des soirées pour les 13 ans et plus les vendredis, et pour les 16 ans et plus les samedis. «On baisse les lumières, on allume la blacklight, et parfois on a même des DJ», confirme Jessica Guidon, gérante de l'établissement de Laval. Objectif? «Reproduire un peu une ambiance de club, dit-elle, tout en faisant une activité saine: du sport.»

Le communautaire à la rescousse

Les jeunes qui n'ont pas de sous-sol pour organiser leurs propres partys peuvent toujours se tourner vers les maisons de jeunes. Certaines, surtout en région (notamment à La Baie, Alma, ou Mont-Laurier) organisent en effet des soirées. «Des soirées sont mises en place pour le bonheur des ados», fait valoir Nicholas Legault, directeur du Regroupement des maisons de jeunes du Québec. «Le tout est encadré par des animateurs en poste.» Peut-être y a-t-il parfois une boule disco. Ou un jeune qui s'improvise DJ. Mais reste qu'on est ici plus proche de l'ambiance du party de gymnase que du club à proprement parler.

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