Les mains gantées de blanc, Alvin Hu s'exerce à porter une assiette en équilibre. C'est l'un des multiples défis que doivent relever les recrues de la première école chinoise de maîtres d'hôtel, formés dans la tradition anglo-saxonne pour servir les super-riches du pays.

À l'International Butler Academy, ouverte l'an dernier à Chengdu, la capitale du Sichuan, les élèves apprennent à maîtriser sur le bout des doigts les tâches quotidiennes d'une grande demeure, du repassage impeccable des nappes au nettoyage de l'argenterie et à la disposition des couverts pour un dîner.

«Il y a de plus en plus de super-riches en Chine et ils exigent qu'on prenne soin des moindres détails pour eux», explique le jeune M. Hu qui, dans un exercice de maintien, dépose un plat chargé de figurines en plastiques devant son instructeur suisse.

Comme lui, des douzaines d'élèves se sont déjà inscrits au programme de six semaines de cours proposé par l'institut.

L'apprentissage, piloté par une équipe d'étrangers, est sévère, et la formation a un coût certain (40 000 yuans), mais les perspectives de carrière sont attractives: un maître d'hôtel peut espérer un salaire mensuel de 20 000 yuans, selon Alvin Hu, dans un pays où les revenus minimums oscillent entre 1300 et 1800 yuans.

Et le nombre d'employeurs potentiels ne cesse de croître. Selon le magazine Hurun, plus d'un million de Chinois possèdent des actifs supérieurs à 1,6 million de dollars.

Emblème d'une vie de luxe 

Loin des souvenirs lointains de la domesticité sous la Chine impériale, ces nouvelles fortunes sont imprégnées des représentations de maîtres d'hôtel à l'anglo-saxonne véhiculées dans les films occidentaux, emblématiques à leurs yeux d'un mode de vie luxueux.

Ainsi, la série britannique Downton Abbey, qui décrit une famille aristocratique britannique au début du XXe siècle, «est tellement célèbre ici que c'est l'étalon auquel nous sommes mesurés», explique Thomas Kaufmann, instructeur en chef à l'institut.

Face au gonflement de la demande, «il était logique d'ouvrir ici une formation spécialisée: c'est plus facile de former un Chinois au métier de majordome qu'un maître d'hôtel occidental au mandarin».

Écart du couteau à beurre 

À l'école de Chengdu, dans une villa recréant un cadre luxueux, les cours débutent chaque matin par des séances de balayage, de nettoyage et de polissage, avant des débats byzantins sur la position d'une carafe d'eau à table.

Un écart d'un centimètre de trop pour un couteau à beurre est impitoyablement fustigé et les apprentis vérifient à l'aide d'une règle si les espaces entre les fourchettes sont corrects.

«La formation peut être éreintante, en particulier pour le dressage d'une table», soupire Chrissy Yann, pas prête pour autant de renoncer à ses ambitions: «Je veux prendre la tête d'une équipe de majordomes chinois reconnus dans le monde et qu'on me demande de voyager à l'étranger», explique-t-elle.

Le rôle d'un majordome inclut aussi des tâches nettement moins cérémoniales, comme «réceptionner les courses, promener le chien, superviser le personnel de ménage, cirer les chaussures...», souligne M. Kaufmann.

Voire plus futiles: Alvin Hu, qui a déjà oeuvré dans des foyers fortunés, devait essuyer soigneusement les empreintes de doigts laissées par le patron sur son téléphone intelligent, sélectionner ses chocolats favoris...

«Un majordome pour chaque villa»

Géré par une équipe néerlandaise, l'institut de Chengdu est cofinancé par un groupe immobilier chinois, qui procure une telle offre à ses clients haut de gamme.

«Nos clients sont extrêmement contents», indique Mme Pu Yan, porte-parole du promoteur Langji Real Estate.

Chez le concurrent Sinobutler, le fondateur Shi Chunming assure avoir signé «plusieurs accords de coopération avec des sociétés immobilières» pour leur fournir des maîtres d'hôtel.

Dans un marché immobilier chinois qui ralentit sérieusement après des années de surchauffe, «les promoteurs doivent proposer encore davantage de services à des clients de plus en plus exigeants», commente M. Kaufmann.