Échanger sur la mort autour d'un café et d'un petit gâteau? Pourquoi pas! Depuis 2011, plus de 1000 cafés mortels ont été organisés dans le monde. Montréal a les siens depuis moins d'un an. Des gens, endeuillés ou pas, s'y rassemblent et discutent dans une ambiance pas du tout macabre. Notre journaliste a assisté à une rencontre.

Ouvrir les yeux des vivants

«J'ai vécu une tentative de suicide à l'âge de 48 ans et j'ai frôlé la mort. C'est le plus beau moment de ma vie, j'ai ressenti une telle paix. Depuis, je suis fascinée par la mort, confie Michelle*, 79 ans.

«Aussi, je célébrerai bientôt mon 80e anniversaire et j'ai toujours pensé que je ferais comme Maude dans le film Harold et Maude: me tuer à 80 ans. Mes enfants n'en savent rien. En attendant, je vis au maximum, parce que la mort est mon amie. Je suis ici, ce soir, parce que je suis curieuse d'entendre les gens parler de la mort.»

Mercredi 27 août. Il est 19 h. Dans un petit local de la rue Monkland, à Montréal, une vingtaine de personnes ont donné rendez-vous à la mort. Indirectement, on s'entend. Ils participent à un café mortel. À mi-chemin entre la formule des cafés littéraires et celle des groupes de soutien, ils se retrouvent ici pour discuter de la mort. Sans formalité, sans jugement et, surtout, sans détour.

Bénévole en maintien à domicile, Jean, 56 ans, s'exprime à son tour. «Mon expérience auprès des gens du troisième âge me confronte et me fait réfléchir. On en sait peu sur la mort: qu'est-ce que ça sera? On ne sait pas, mais je considère qu'elle n'appartient pas au système.»

Certains acquiescent, d'autres sourcillent. Ça y est, la discussion est lancée. Kit Racette, 68 ans, animera la soirée jusqu'à 21 h. Sa fille Elizabeth est morte d'une surdose à l'âge de 40 ans en 2006. «J'ai réalisé après la mort de ma fille que personne ne voulait entendre parler de la mort. Je n'étais pas seule à vivre cette expérience. Parler de la mort est tabou, probablement parce que ça nous renvoie à nos peurs, à nos doutes, à nos souffrances, alors on préfère l'évacuer rapidement. Mais il y a un besoin d'en parler, c'est évident.» Quand elle a appris l'existence des cafés mortels par l'entremise des réseaux sociaux, elle a rapidement organisé un premier rendez-vous à Montréal. C'était en octobre 2013.

Une discussion ouverte

Jon Underwood, un Britannique de 41 ans, est à l'origine de l'actuelle vague de cafés mortels (Death Cafés) qui déferle notamment sur l'Europe, les États-Unis et l'Australie. Il a organisé une première discussion en septembre 2011... dans le salon de ses parents. Ça a rapidement fait boule de neige. Selon les principes de Bernard Crettaz, sociologue à l'origine du concept et auteur de Cafés mortels: sortir la mort du silence, le cadre doit être non macabre, la discussion ouverte, sans thème particulier, et doit suivre la dynamique du moment. Le tout est accompagné d'un léger goûter.

Alors que la discussion est bien lancée, on nous invite d'ailleurs à prendre un café et un morceau de gâteau Reine-Élisabeth. C'est Louise, une habituée, qui l'a concocté. «Il contient des noix de Grenoble», avise-t-elle. «Ça serait bête de mourir d'une allergie en plein café mortel», lance Nadine. L'ambiance est détendue, le ton léger. C'est d'ailleurs la remarque qu'entend le plus souvent Kit Racette. «Quand les gens sortent d'ici, ils sont surpris du ton: on rit, on pleure. Certes, les émotions refont surface, mais ce n'est jamais lourd.»

Les participants viennent de tous horizons: des personnes endeuillées, des médiums, des intervenants en soins palliatifs, des gens intéressés par la thanatologie, des curieux. Les différentes visions de la mort s'entrechoquent, suscitent la réflexion. Les confidences sont tantôt choquantes, tantôt touchantes.

Confidences

«J'ai perdu mes fils, décédés tous deux dans des accidents de voiture. Habituellement, je suis capable d'en parler sans pleurer. Ça fait 35 ans et ça remonte encore, je m'en excuse, confie Jeanne. On apprend à vivre avec la mort de son enfant, comme on apprend à vivre amputé d'un bras ou d'une jambe. Mais on apprend à vivre. J'ai encore le goût de vivre pleinement. Mais je me sens décidément plus prête à mourir que lorsque j'étais jeune. Je crois qu'il y a une façon saine d'accompagner vers la mort.»

Nicole est conseillère pour une maison funéraire. «Je travaille beaucoup avec des gens en phase terminale ou leurs proches. Cet après-midi, j'ai reçu un homme de 32 ans dont la femme venait de mourir du cancer, avec deux jeunes enfants. Ils n'étaient pas préparés.»

Maryse se sent interpellée. «Vous parlez de toute la préparation matérielle, mais la première chose à faire n'est pas ça. C'est de vivre sa vie. Vous dites que personne ne va mourir à notre place, mais je dirais plutôt que personne ne va vivre à notre place. Côtoyer la mort, ça nous ramène dans la vie. Moi, ce qui m'embêterait le plus au moment de ma mort, c'est d'avoir des regrets. Je ne sais pas comment je vivrai ma mort, mais je veux essayer d'être le plus heureuse possible aujourd'hui. Et si on commençait à dire «j'ai peur de ne plus vivre», au lieu de dire «j'ai peur de mourir», peut-être qu'on vivrait plus. À la fin de ta vie, ce qui importe, ce ne sont pas les Oscars que tu as gagnés ou les millions que tu as faits, mais les liens tissés avec les personnes que tu as aimées.»

Robert prend la parole. «Je ne connais rien à la mort. J'ai lu sur le sujet, mais personne de très près de moi n'est décédé. Je suis ici par curiosité, je n'ai aucun a priori. Je ne peux offrir de témoignage. Ça me fascine et, oui, ça me fait peur - la mort de ma conjointe, de mes enfants, la mienne aussi.»

Trouver l'équilibre

Nadine aussi craint la mort. «J'y pense tout le temps. Je me demande si je vais mourir violée dans un buisson ou d'une longue maladie. Cette peur n'est pas handicapante, elle m'aide à vivre au maximum. J'ai perdu ma mère il y a deux ans et je l'ai accompagnée durant ses derniers moments. Ça a été la plus belle expérience de ma vie. Je me suis sentie près d'elle, dans la présence, dans la proximité, comme si je retournais dans son utérus.

«Ça apaise d'en parler. Pleurer aussi, dit Lison. Mon ancien mari, un veuf, avait hâte de mourir pour aller rejoindre la mère de ses enfants. Un soir, je lui ai dit: «On dirait que tu attends la mort comme une délivrance.» Il s'est retourné et il m'a souri. J'étais dans le mille. Je l'ai quitté.»

Francis, lui, se questionne. «On est inhibé face à la mort. C'est ce qui nous empêche de la considérer comme une étape normale dans le cheminement de la vie, du continuum, de la roue. Qu'est-ce qui nous a amenés à avoir ce comportement étrange, notre éducation religieuse, sociale? Dans d'autres sociétés, l'approche de la mort est complètement différente. Ici, les rites sont presque inexistants. Pourquoi?»

Il poursuit: «Je pense que la démarche de nous questionner, même si on ne trouve pas de réponses, nous permet de trouver l'équilibre.» Lison acquiesce. Elle cite les paroles d'un prêtre entendu dans le film On ne mourra pas d'en parler. «La mort ferme les yeux des mourants et ouvre ceux des vivants.»

* Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat.