Pas besoin d'être ministre comme Gaétan Barrette pour être la cible d'insultes et de menaces sur les réseaux sociaux. Dès 11 ou 12 ans, un écolier montréalais sur quatre goûte déjà aux tourments  de la cyberintimidation, révèle une étude inédite.  Et l'intimidation «tout court» continue elle aussi de faire des ravages, difficiles à endiguer. Qu'on soit ultra timide, hyperactif ou obèse,  la différence ne pardonne pas.

L'intimidation sur les réseaux sociaux commence très jeune. D'après une étude inédite menée auprès de 838 élèves d'écoles primaires de Montréal, près du quart des enfants de 11 ou 12 ans ont déjà été menacés, insultés ou ont déjà vu leur réputation salie sur MSN ou Facebook.

«C'est vraiment une proportion surprenante sachant que l'accès aux médias sociaux est censé être réservé aux 13 ans et plus», souligne Anne-Marie Côté, auteure de l'étude et candidate au doctorat en criminologie à l'Université de Montréal.

Les élèves ayant répondu anonymement à ses 200 questions fréquentaient des écoles de Montréal-Nord et d'Hochelaga-Maisonneuve. Mais ailleurs, le problème semble tout aussi criant.

«J'enseigne au primaire et les élèves passent leurs fins de semaine à s'insulter royalement sur Facebook», constate Martin Laboissonière, du Syndicat de l'enseignement de la Haute-Yamaska.

D'autres écoles primaires de sa commission scolaire ont reçu des plaintes officielles. L'une des plaintes concerne un échange de courriels entre deux garçonnets. Le premier avait menacé de «tuer» l'autre s'il «sortait» avec une camarade. Un autre enfant a plutôt utilisé Facebook pour traiter une fillette d' «anorexique», tandis qu'un quatrième se faisait traiter de «trou d'anus» et de «face de testicules».

Contre toute attente, les écoliers du primaire (tous âges confondus) sont presque aussi susceptibles d'être agressés en ligne que les élèves du secondaire. C'est le cas de 8% d'entre eux, contre 10% de leurs aînés, révèlent les résultats préliminaires du tout premier portrait national de la violence à l'école, mené par l'Université Laval auprès de 56 000 élèves, 9000 parents et 4800 membres du personnel.

Autre constat-choc: les deux tiers des parents d'écoliers ignorent totalement ce qui se passe: seulement 1,5% d'entre eux ont déclaré que leur enfant avait été la cible d'une cyberagression (contre 9,2% des parents d'élèves du secondaire).

La même enquête indique que 78% des écoliers du primaire peuvent accéder librement à l'internet sans surveillance d'un adulte. Et que 61% possèdent un téléphone portable ou un autre appareil permettant de communiquer par textos.

Suicides

En Gaspésie, en 2012, une élève de 15 ans, Marjorie Raymond, s'est suicidée après avoir été victime d'intimidation, à l'école et en ligne. Le coroner a conclu qu'il ne s'agissait pas du seul facteur en cause, mais ce genre d'agressions perturbe assurément des jeunes fragiles.

En 2013, dans la région du Richelieu, la Direction de la protection de la jeunesse a volé au secours d'un jeune de 17 ans. « En avril 2010, l'adolescent est hospitalisé après avoir ingurgité de l'alcool et des médicaments dans un contexte d'intimidation qu'il vivait à l'école, dit la décision du tribunal de la jeunesse Le 9 mai 2013, il est hospitalisé deux jours suite à sa tentative de suicide par pendaison. [...] Le 29 juillet 2013, il est hospitalisé pendant quatre jours suite à une menace suicidaire. Il désirait s'ouvrir la gorge avec un couteau. »

À Montmagny, en 2012, une jeune de 14 ans a avalé 20 comprimés et a déclaré à sa mère qu'elle voulait mourir, après s'être violemment disputée sur Facebook pendant près d'une heure et demie.

Son ancienne amie - qui l'accusait de salir sa réputation - l'a d'abord traitée de «bitch», de «folle», d'«attardée» et de «charogne» qui «fait peur aux enfants».

Quand la jeune suicidaire a répliqué sur le même ton, le petit ami de son interlocutrice a pris le relais en lui écrivant: «Ltroue dcul dune vache qui vien de chier est plus argadable que ta criss de face [sic]». «Tu devrai dsuicider (avec la) face que ta yaura pas un gars qui va vouloir de toé [sic].» «criss d'atarde va t'pendre [sic]». Et enfin: «Go cut urself [sic]» (Va te couper).

Ces insultes ont valu au jeune homme des accusations criminelles pour avoir conseillé à quelqu'un de se donner la mort. En février dernier, le juge du procès les a qualifiés d'«odieux, inappropriés, haineux et irresponsables». Il a souligné que l'accusé savait que Marjorie Raymond venait de se suicider en Gaspésie.

Le magistrat a toutefois acquitté le fautif en disant: «La connaissance des conséquences possibles de l'intimidation n'équivaut pas au degré d'insouciance requis pour entraîner la responsabilité criminelle [...] L'accusé ignorait la fragilité de la victime et l'impact insoupçonné que pouvaient avoir ses propos.»

En 2011, déjà, le Service de police de la Ville de Montréal indiquait à La Presse que des dizaines d'adolescents sont traînés chaque année devant le tribunal de la jeunesse pour avoir menacé ou harcelé un camarade, que ce soit sur l'internet ou autrement.

Le Dr Barrette intimidé: des politiciens réagissent

«Je ne veux pas reprendre les malheureuses phrases qui sont écrites ou dites au sujet du docteur Barrette, que je condamne tout à fait. Mais c'est le phénomène lui-même de l'intimidation qu'il faut mentionner. C'est pour cela qu'on veut en faire un enjeu de société important, qu'on veut tenir un forum au mois d'octobre auquel on invite tout le monde à participer, parce que c'est ça l'enjeu de fond. Voilà une manifestation ce matin de ce phénomène. Et il y en a d'autres, comme vous le savez,- en milieu scolaire, auprès des personnes âgées, en milieu de travail... Et on pense que c'est un enjeu très important.»

- Philippe Couillard, premier ministre du Québec

«Nous n'avons [...] pas à le juger selon son apparence physique. De plus, je trouve particulièrement odieux que des adultes se servent de l'anonymat pour adopter des comportements hautement répréhensibles. Ils doivent être conscients qu'ils donnent de très mauvais exemples à nos jeunes»

- Éric Caire, porte-parole de la Coalition avenir Québec en matière de santé

«Il y a beaucoup de politiciens et beaucoup de personnes publiques qui - sur différents médias sociaux - subissent de l'intimidation de quelque façon. Probablement que M. Barrette ne fait pas exception à cette règle. Ça démontre l'urgence d'un nouveau plan d'action pour lutter contre l'intimidation en particulier à travers les nouvelles technologies.»

- Mathieu Traversy, porte-parole du Parti québécois en matière de famille