Si la Suède est fière d'être l'un des pays d'Europe où l'on consomme le moins de drogue, sa politique de «tolérance zéro» pourrait être aussi à l'origine d'une mortalité élevée chez les toxicomanes.

La cocaïne, l'ecstasy et même le cannabis sont rares dans les rues et les boîtes de nuit. La Suède punit sévèrement la consommation de stupéfiants depuis 1988, après avoir essayé pendant deux ans une politique plus tolérante considérée comme un échec.

«Le but: une société sans drogue illégale» est le mot d'ordre officiel.

«Le maillon le plus important de la chaîne c'est (...) la demande (...) des consommateurs individuels», insiste le secrétaire général de l'Association nationale pour une société sans drogue (RNS), Per Johansson.

«Si on ne se concentre pas sur la demande, on ne luttera jamais de manière efficace contre l'approvisionnement».

Le pays scandinave insiste aussi sur la prévention, avec de grands programmes de sensibilisation dans les écoles voire les maternelles.

Ses adolescents de 15-16 ans ont l'un des taux de consommation parmi les plus bas d'Europe.

D'après l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), seulement 9% des élèves suédois ont essayé le cannabis, contre 39% en France, 42% en République Tchèque et 25% au Royaume-Uni, en Belgique et aux Pays-Bas.

Une pratique «étrangère»

Cette tolérance zéro a le soutien de la population. Pour la moitié des Suédois, la possession ou la culture de cannabis pour usage personnel mérite la prison, selon un sondage de l'Union suédoise des toxicomanes. Pour six sur dix, une guerre totale contre le cannabis (arrêter et incarcérer vendeurs et consommateurs) est la meilleure tactique.

«Les drogues ont toujours été vues (...) comme quelque chose d'étranger. (...) Elles ne font pas partie des moeurs en Suède», remarque un sociologue de l'Université de Stockholm, Börje Olsson, spécialiste des politiques de lutte contre la toxicomanie et l'alcoolisme.

D'après l'Observatoire européen, parmi les 15-64 ans, la consommation de cocaïne est cinq fois moins répandue chez les Suédois que chez les Espagnols, les plus grands consommateurs.

Quant à la consommation d'ecstasy, elle est 14 fois plus élevée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas qu'en Suède.

En Suède, si la police soupçonne une personne d'être droguée, elle peut l'arrêter et la contraindre à un test d'urine. Un résultat positif amène systématiquement devant un tribunal.

D'après les statistiques officielles, la consommation de stupéfiants représente la moitié des infractions pénales en Suède.

«On devient complètement parano», confie un membre des Cocaïnomanes anonymes. «On se demande tout le temps: qui sont les flics en civil?»

Si la tolérance zéro a limité la consommation, certains spécialistes y voient des inconvénients.

«On en fait beaucoup pour empêcher les gens de commencer à se droguer, mais on met peu de moyens sur ceux qui se droguent depuis longtemps», souligne un chercheur en science politique de l'Université de Malmö, Björn Johnsson, spécialiste des stupéfiants.

Décès records de toxicomanes

En 2011, la Suède comptait presque deux fois plus de décès liés à la drogue que la moyenne européenne, à 35,5 pour 1 million d'habitants selon l'EMCDDA. Le nombre a presque quadruplé en quinze ans, de 70 cas en 1995 à 272 en 2010.

Pendant cette période, la plupart des pays d'Europe ont mis en place des mesures de prise en charge comme les échanges d'aiguilles pour lutter contre la propagation du VIH. Les morts liées à la drogue ont diminué en Espagne (de 698 à 393), en Allemagne (de 1565 à 1237) et en Italie (de 1195 à 374).

Pour Ted Goldberg, professeur en action sociale à l'Université de Stockholm, à la retraite, la rigueur de la loi est responsable de nombreuses morts.

«Si on prend de la drogue avec quelqu'un qui fait une overdose, une personne normale appellera immédiatement les autorités», observe-t-il. Mais en Suède, «si les toxicomanes appellent un médecin, ils craignent de voir la police débarquer».

Des groupes de soutien aux toxicomanes déplorent la rigidité des conditions requises pour suivre les programmes de traitement à la méthadone, alors que la Suède a tardé à mettre en place des programmes d'échanges d'aiguilles.

Les villes de Lund et de Malmö (Sud) ont longtemps fait figure d'exceptions avec leurs programmes d'échange d'aiguilles dans les années 1980. Ce n'est qu'en 2006 pour que le Parlement a adopté une loi autorisant toutes les régions à en mettre en place.

Aujourd'hui, trois seulement des 21 régions de Suède, en ont un, Stockholm depuis avril 2013.

Ardent défenseur de la tolérance zéro, le responsable de RNS M. Johansson concède que la Suède laisse ses toxicomanes les plus dépendants au bord de la route. «On ne s'occupe pas des vieux toxicos, des hyperaccros, qui se sont enfoncés dans leur problème», reconnaît-il.