Sortez-vous sans vous regarder dans le miroir, vous? Êtes-vous parfaitement satisfait de votre reflet? Soyons francs. Nous non plus. Mais pourquoi diable sommes-nous ainsi obsédés par notre image? D'où vient cette obsession? Est-ce nouveau, ou pas? Surtout: peut-on s'en libérer? Un nouveau livre fait le point. En textes, en images, et en dessins. À lire.

Entre la Charte québécoise pour une image saine et diversifiée et sa pétition pour annuler l'arrivée d'un concours de mini-miss à la télé québécoise, on peut dire que la jeune militante féministe Léa Clermont-Dion est de tous les combats. Elle en remet ces jours-ci, avec l'arrivée en librairie de La revanche des moches, son premier livre, un ouvrage à la fois intimiste et académique, avec un petit côté people (elle a interrogé une vingtaine de personnalités, d'Ariane Moffatt à Geneviève St-Germain en passant par Geneviève Guérard, Marc-André Grondin et Denis Gagnon) sur rien de moins que le culte de l'apparence. Et accrochez-vous, parce que oui, vous allez en découvrir tout plein sur un sujet dont on n'a malheureusement pas fini de parler.Léa Clermont-Dion ose, pour la toute première fois, dire sur la place publique ce qu'elle n'a jamais avoué à personne. Ni à sa mère. Ni à elle-même, peut-être. «Je me mets à nu, carrément», confie-t-elle, attablée à un café du Plateau. On s'en doutait, elle confirme. Avec une plume coup de poing en prime: «À 12 ans, j'ai frôlé la mort en comptant les calories. Comme Narcisse, je me suis noyée à force de me regarder dans le miroir. L'anorexie, c'est l'antiraison. C'est la fin de la vie ou le début de la folie. Et ça laisse des cicatrices profondes.»

Nous l'avons rencontrée, à une semaine du lancement de son livre, pour parler de l'importance de l'image, de sa quête, et de ses (nos?) démons.

Pourquoi la «revanche des moches»?

«J'ai l'impression qu'on est tous un peu moches face aux critères de beauté véhiculés. Il y a tellement de techniques aujourd'hui [pour nouer avec son image] que cela devient impossible à atteindre. Vous savez, seulement 5% des femmes ressemblent aux critères de beauté qu'on voit dans les médias. 5%! La revanche des moches, ce n'est pas un statement sur moi-même, mais par rapport aux critères de beauté. C'est une formule, quoi.»

Ça n'est pas une enquête, mais votre «quête». Pourquoi avoir décidé de vous révéler ainsi publiquement, photos et textes à l'appui?

«Il fallait que je me livre, que je mette mes tripes sur la table, pour que tout cela ait du sens. S'ouvrir, c'est pas tomber dans le pathos, c'est être honnête. Montrer ses vulnérabilités, c'est faire confiance aux lecteurs. Et pour moi, c'était nécessaire, ce témoignage-là. On comprend mieux pourquoi je vais à la rencontre de ces gens-là [les 20 personnalités interviewées], qu'est-ce qui m'amène à réfléchir là-dessus. Oui, c'est dark. Non, ce n'est pas joyeux à lire. Ce n'est pas un conte de fées. Mais il fallait que ça sorte.»

L'ouvrage est dédié à Nelly Arcan. Vous écrivez d'ailleurs que vous vous identifiez beaucoup à elle. Comment?

«Nelly Arcan était l'archétype de la femme aliénée par son image. Elle incarne ce que j'aurais pu devenir, jusqu'où l'aliénation peut mener. Dans son cas, on le sait, c'est la mort. À courir après une beauté qui n'existe pas, elle cherchait toujours l'appui dans le regard des autres. En même temps, je ne l'ai pas connue personnellement. Mais j'ai eu beaucoup de difficulté à la lire. Parce que je me suis reconnue beaucoup là-dedans. C'était une femme pleine de paradoxes. Moi aussi, je suis pleine de paradoxes. Et je m'assume là-dedans.»

Parlons-en, de vos paradoxes. Comment réconciliez-vous votre discours dénonçant le culte de l'apparence et votre propre apparence, de toute évidence très travaillée et soignée?

«C'est Pierre Lapointe qui m'a réconciliée avec le sens du mot «esthétique». Les beaux vêtements, la mode, ça n'est pas tout à fait superficiel. La beauté fait partie de la vie et on en a besoin. J'ai toujours été attirée par le beau, j'aime ça, la coquetterie. Mais en même temps, depuis que je suis enfant, je me suis toujours trouvée moche. J'essaye d'avoir un regard approbateur sur ma personne. Tout en le dénonçant, je suis moi-même prise dans ce piège-là. Mais... qui ne l'est pas?»

Qu'avez-vous retenu de la vingtaine de témoignages recueillis?

«C'était le but de ma quête: vérifier si je suis seule à être là-dedans. En rencontrant toutes ces personnes, j'ai réalisé que oui, l'obsession existait, qu'elle est très forte et qu'elle s'explique, entre autres, par l'évolution des technologies. Avec Facebook, Twitter, nous sommes constamment sollicités par les caméras. En plus, la beauté est devenue très accessible, le développement économique, l'avènement des femmes dans les sphères de pouvoir, les femmes travaillent, consomment, et une industrie est née. J'ai de l'argent, je peux me payer une beauté. [...] La femme-objet a désormais un corps libre, qui lui appartient. Oui, on peut faire ce qu'on veut avec. Notamment se payer une intervention chirurgicale...»

Le discours des femmes sur la vieillesse est très, très dur. Est-ce la conclusion de l'ouvrage?

«C'est une des conclusions fondamentales. Ça m'a pris un livre pour y arriver. Beaucoup de femmes, de nos jours, sont arrivées à cette conclusion qu'elles ont une date de péremption. Comme si, quand elles ne peuvent plus faire des bébés, socialement, dans l'inconscient collectif, elles seraient périmées. Beaucoup de femmes me l'ont confirmé: des Pol Pelletier, Geneviève St-Germain, Francine Pelletier. Ce culte de la jeunesse, c'est un peu un malaise face à la mort.»

La revanche des moches

Léa Clermont-Dion

vlb éditeur, 2014

Direction artistique: Atelier BangBang (Simon Laliberté et Alexandra Whitter)

En librairie.