Le Québec est vieillissant. On n'arrête pas de le répéter. Mais dans l'espace médiatique, les têtes blanches se font rares. Partons à la recherche de la vieillesse disparue...

Vieillesse ignorée

La tragédie de L'Isle-Verte nous a rappelé une réalité bien occultée: les personnes du grand âge sont aussi nombreuses que vulnérables. Spontanément, une vague de sympathie a surgi à l'endroit de nos aïeux « sans gicleurs ». Assez pour changer nos attitudes envers ceux qui ont eu la mauvaise idée d'arriver à la fin de leurs jours dans un monde de vitesse et de productivité ?

« Montrer de la sympathie pour ces gens nous donne bonne conscience. Mais dans trois mois, on n'en parlera plus. Je ne pense pas que cela va changer notre attitude à l'égard de la vieillesse », déplore l'anthropologue Gilbert Leclerc, qui dirige le certificat de gérontologie à l'Université de Montréal.

L'Institut de la statistique du Québec a beau prédire qu'en 2056, les 65 ans et plus constitueront 28 % de la population (le double des 14 % de 2006), la vieillesse est sous-représentée, voire ignorée. Paradoxalement, alors que nous avançons collectivement vers un contexte social où l'âge médian sera vénérable, le vieillissement et ses signes disgracieux sont tabous. Curieux résultats: on embauche une patineuse olympique pour annoncer des couches pour adultes, Mick Jagger incarne l'image du septuagénaire en forme, des stars comme Cher ou Madonna semblent figées dans le temps...

« Le problème, dans nos sociétés postmodernes dominées par le jeunisme, la performance et l'efficacité, c'est qu'à partir du moment où on ne livre plus la marchandise, on bascule immédiatement dans le statut de sénescence : le maximum de dépendance pour le minimum d'utilité sociale », poursuit l'anthropologue.

Les baby-boomers ont promis de réinventer la vieillesse. Soit. Exit, donc, les têtes blanc-bleu permanentées, les bols de « paparmanes », les lunettes de lecture de grand-mère, le tricot de pantoufles en Phentex. Les plus de 65 ans, en 2014, se reconnaissent dans la fougue de France Castel dans Les jeunes loups. Leurs parents octos et nanos, en revanche, ont complètement disparu du paysage, même s'ils continuent de couler leurs jours dans leur maison, en résidence privée ou en CHSLD.

Une intervenante ayant plusieurs années d'expérience auprès des personnes en perte d'autonomie témoigne que dans le CHSLD, La poule aux oeufs d'or est à peu près la seule émission qui rallie tout le monde, les résidants comme les préposés aux bénéficiaires.

Le chanteur Michel Louvain, qui divertit un public de 50 ans et plus depuis 50 ans, entend souvent les doléances de personnes âgées qui déplorent l'absence de contenu télévisuel leur étant destinés. « Quatre ou cinq fois par année, je donne des spectacles dans les résidences. Les gens me disent qu'ils s'ennuient, qu'il n'y a plus rien pour eux à la télé. À l'époque où j'animais De bonne humeur, on s'amusait, on ramenait des artistes qu'on ne voyait plus, comme Fernand Gignac, Paolo Noël... », explique le populaire artiste de variétés, qui regrette l'époque où les midis de la télé étaient occupés par les Gilles Latulipe et Suzanne Lapointe.

L'invention du grand âge

Il y a 27 ans, quand elle a fondé le magazine Le bel âge, Francine Tremblay visait le groupe des « GRUMPies » (Grown Retired Upper Middle Class People). Pour imaginer son lectorat cible, elle s'est inspirée de ses propres parents, des gens qui arrivaient à la retraite, avec une bonne pension, des revenus discrétionnaires, et qui étaient mal représentés par les magazines existants. Déjà, à l'époque, plusieurs annonceurs étaient réticents à se voir associés à un public « d'âge vénérable ».

Au début des années 2010, quand Le bel âge a refait son image, la réalisation de groupes de discussion lui a montré que l'état d'esprit des lecteurs avait changé. D'où la « métamorphose » du magazine du troisième âge québécois, qui a subi un flagrant coup de jeunesse.

« Quand on a interrogé nos lecteurs, on s'est aperçus que les quinquagénaires n'aimaient pas lire des contenus sur la réalité des gens de 70 ans. Mais inversement, ceux de 70 ans aiment lire des contenus qui s'adressent aux 50 ans », constate Mme Tremblay, qui précise que la mobilité est plus déterminante que l'âge dans le choix des sujets s'adressant au lectorat cible de son magazine tiré à 120 000 exemplaires.

« Certaines personnes de 78 ans sont très actives, bougent, voyagent, alors que d'autres, qui ont 62 ans, restent assises à la maison », illustre Francine Tremblay, qui insiste sur l'importance de faire la distinction entre le troisième âge et ce qu'il est désormais convenu d'appeler le « grand âge ».

Oui, 70 est peut-être le nouveau 60. Et 80, le nouveau 70. Mais un jour ou l'autre, le temps finit par faire son oeuvre. Et que prévoit notre société pour divertir les « improductifs »? Il y a les clowns thérapeutiques de Dr Clown, par exemple, qui visitent les personnes en perte d'autonomie. Et le programme PAIR, un service d'appels automatisés qui contacte les aînés pour s'assurer de leur bon état de santé, une ou plusieurs fois par jour. Avec comme porte-parole... Michel Louvain. « À leur anniversaire, les participants au programme reçoivent un appel avec un message de moi enregistré. »