En 2012, Laura Bates invitait les femmes britanniques à raconter les incidents sexistes dont elles étaient témoins. Deux ans plus tard, le site web Everyday Sexism Project compte 18 chapitres dans le monde et les témoignages racontant le «sexisme ordinaire» affluent de toutes parts. Entrevue avec sa fondatrice.

Pourquoi avoir fondé Everyday Sexism?

C'est un long processus. Au début, c'était de petites observations qui s'accumulaient. Puis, en l'espace de quelques jours, j'ai été témoin de plusieurs incidents et remarques sexistes. Si cela ne s'était pas produit durant la même semaine, je ne l'aurais sans doute pas remarqué, j'aurais considéré cela comme normal. J'en ai parlé à des femmes autour de moi, et elles avaient toutes des histoires à raconter, elles aussi. C'est à ce moment que j'ai réalisé que le problème était plus important que je ne le croyais. Je me suis dit que la meilleure façon d'attirer l'attention, la plus facile, c'était d'inviter les femmes à partager leur histoire.

Comment votre initiative a-t-elle été accueillie?

L'accueil est incroyable. Il y a une résurgence du féminisme en Angleterre chez les femmes et les hommes, et encore plus chez les jeunes femmes. Ces dernières réalisent que c'est correct de protester. Avant, on était ridiculisées, on vous traitait de frustée et de frigide quand vous osiez exprimer vos idées féministes. Aujourd'hui, de plus en plus de femmes se tiennent debout. Leur féminisme est pragmatique plutôt qu'académique ou théorique. On s'attaque a des choses concrètes: les mutilations génitales, la publication d'une photo de fille sexy dans un journal, etc., etc.

Everyday Sexism a eu un impact important en Angleterre. Où en êtes-vous aujourd'hui?

Oui, nous avons été rapidement reconnues dans la société britannique ainsi qu'ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, nous sommes invitées à discuter avec les politiciens et les médias, à les sensibiliser. J'ai eu des rencontres avec les députés britanniques et avec le Conseil européen. Nous allons également participer à une rencontre de la Commission sur le statut de la femme de l'ONU.

Croyez-vous que le sexisme est plus présent aujourd'hui à cause, entre autres, des réseaux sociaux?

Je crois que les réseaux sociaux nous permettent d'en voir plus, mais je ne crois pas nécessairement qu'il y en a plus. Par contre, je remarque que les jeunes en sont particulièrement victimes: intimidation sexuelle, insultes anonymes, sextos qui exercent une pression sur les filles, commentaires désobligeants sur Facebook... Le sexisme est bien présent.

Everyday Sexism compte maintenant 18 sections dans le monde dont une au Canada. Observez-vous des différences culturelles entre les différents témoignages?

Honnêtement, lorsqu'on lit les témoignages - nous en avons recueilli environ 10 000 à ce jour -, on ne peut pas dire de quel pays ils viennent. Le sexisme semble universel et s'exprime pas mal de la même façon partout.

Exemples de témoignages

«Je courais près du lac et je suis passée devant un groupe de garçons âgés d'environ 10 à 12 ans qui étaient là avec leur vélo. Lorsque je suis arrivée à leur hauteur, un des garçons m'a lancé: «Eh, tu veux sucer ma bite?»J'étais tellement choquée que ces mots sortent de la bouche d'un petit garçon...»

«Le commis qui m'a vendu une table tournante hier m'a proposé de me montrer comment calibrer le bras. Or il ne m'a ni regardée ni parlé. Il a tout expliqué à mon conjoint qui était pourtant à 10 pieds de distance. À la fin, il lui a lancé: «Comme ça tu seras capable de rappeler à ta copine comment faire tout ça, n'est-ce pas?»»

http://everydaysexism.com/