On pensait qu'il allait disparaître avec le temps, mais le sexisme se porte plutôt bien. On l'a vu aux Jeux olympiques de Sotchi, la présence des femmes dans des domaines traditionnellement occupés par les hommes dérange encore. En politique, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, les femmes qui prennent la parole publiquement s'exposent à des commentaires virulents. Bref, en 2014, malgré une révolution féministe et de nombreuses campagnes de sensibilisation, le sexisme est bien vivant.

Des étudiants de l'Université d'Ottawa qui s'échangent des messages à caractère sexuel à propos de la nouvelle présidente de la Fédération étudiante; des journalistes françaises qui publient un manifeste parce qu'elles en ont marre du sexisme dans les médias, des athlètes olympiques féminines présentées en lingerie sexy et talons aiguilles... L'histoire très récente déborde d'exemples qui montrent qu'en 2014, le sexisme à l'endroit des femmes est encore bien vivant. Il suffit que les femmes se trouvent en position de force ou de pouvoir pour qu'on tente de les dévaloriser.

Dans le milieu des nouvelles technologies et des jeux vidéo, comme dans celui de la production cinématographique, les femmes doivent également se battre pour s'imposer. Il y a un peu plus d'un an, un concepteur de jeux vidéo lançait la question sur Twitter: «Pourquoi y a-t-il si peu de femmes conceptrices de jeux?» Les femmes représentent 45% de la communauté des gamers, mais sont sous-représentées dans l'industrie. Les réponses ont fusé par centaines sous le mot-clic «1reasonwhy»: les femmes ont raconté que leurs idées et leur travail étaient ignorés, qu'elles étaient victimes de commentaires sexistes, voire de harcèlement sexuel. Un récent reportage dans l'édition britannique de Vogue en dit d'ailleurs long sur la place des femmes dans l'univers des nouvelles technologies: l'article intitulé «High Tech Heroines» parlait non pas de celles qui y travaillent, mais plutôt des épouses et des petites amies des bonzes de la techno... À Hollywood, la situation des femmes stagne. On compte encore peu de femmes à la réalisation ou dans les rôles principaux. Les hommes, qui représentent 35% de l'auditoire des films, incarnent 84% des rôles dans les 25 films les plus importants de l'année. Dans le milieu de l'éducation, où les filles sont plus nombreuses que les garçons dans bon nombre de facultés universitaires, il reste, là aussi, du chemin à faire. Récemment, le recteur de la Harvard Business School, Nitin Nohria, s'excusait auprès des étudiantes, déclarant: «Les femmes ne se sont pas senties respectées, elles se sont senties exclues et mal aimées par l'établissement», ajoutant que l'école leur devait plus et qu'il s'engageait à ce que les choses s'améliorent.

Sexisme à la française

Chez nos cousines françaises, le sexisme est un problème quotidien: il faut entendre les propos machistes qui pullulent dans l'arène politique pour s'en convaincre. Un exemple récent, baptisé le «poulegate»: lorsque la députée Véronique Massonneau a pris la parole, son collègue, le député Philippe Le Ray, a imité le caquètement d'une poule. Cette scène disgracieuse s'est produite dans l'enceinte même de l'Assemblée nationale! Le sexisme ambiant est tellement intolérable en France qu'en début de semaine, un groupe de journalistes publiaient un manifeste dénonçant l'absence d'expertes dans les médias, l'omniprésence de commentaires sexistes, la représentation hyper-stéréotypée des femmes, qu'on présente encore comme des hystériques ou des objets sexuels... Ce sexisme rampant s'observe aussi de l'autre côté de la Manche. La vidéo How The Media Failed Women in 2013 répertorie les manifestations sexistes dans l'espace médiatique britannique. Une politicienne qui s'est fait traiter de «Barbie avorteuse» pour avoir défendu le droit des femmes à choisir par elles-mêmes, un commentateur à la télé qui, parlant d'une femme, a déclaré: «Je ne dis pas qu'elle mérite d'être violée, mais...»

Pour Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme, «il y a eu une espèce de période de grâce du point de vue des femmes au cours des dernières années, mais depuis quelque temps, on assiste à un retour du balancier. On a l'impression absolument pas scientifique qu'il existe une plus grande liberté pour exprimer des idées et des propos sexistes».

«Dans une société en mouvement, analyse-t-elle, le confort des habitudes est réconfortant. On se rabat sur quelque chose qui semble rassurant. C'est compliqué de combattre les stéréotypes... on ne peut pas légiférer contre, c'est ancré dans les mentalités.»

La politique, terre hostile

Au Canada, les femmes qui se lancent en politique ne sont pas à l'abri du sexisme. La présidente de la Fédération étudiante de l'Université d'Ottawa l'a appris à ses dépens lorsqu'elle a découvert les propos sexistes et violents que s'échangeaient ses collègues, militants étudiants comme elle, sur Facebook. Il y a un an, la consultante en communication Diamond Insiger créait la page Tumblr «Madam Premier» pour répertorier les commentaires sexistes à l'endroit des cinq premières ministres canadiennes. Au menu: commentaires misogynes et remarques sur le physique des dirigeantes. Plus récemment, les dissidentes Maria Mourani et Fatima Houda-Pepin ont goûté à cette médecine, toutes les deux ayant été décrites comme des femmes «hystériques et incontrôlables»...

«Le sexisme a toujours été là, note Martine Delvaux, professeure au département de littérature de l'UQAM et auteure de l'essai féministe Les filles en série paru récemment aux éditions du Remue-ménage. Ce qui a changé c'est le contexte. Le féminisme est fort dans notre société, on assiste donc à un backlash.»

Le web, à double tranchant

Selon Martine Delvaux, l'ironie demeure le grand piège de notre époque. «On en dit des énormités en son nom, assure-t-elle. Et quand on ne rit pas, on se fait traiter de rabat-joie... Heureusement, les réseaux sociaux, qui jouent un rôle dans la diffusion de propos sexistes, bénéficient aussi aux féministes qui les utilisent pour propager leurs idées et leurs positions.» Même son de cloche de la part de Julie Miville-Dechêne. «Quand il y a des incidents sexistes, l'indignation s'exprime rapidement sur le web. Les femmes, surtout les jeunes, y sont très actives.»

C'est le cas d'Aurélie Lanctôt, 22 ans, blogueuse sur le site Voir.ca, ancienne chroniqueuse à Urbania et étudiante à la faculté de droit de l'Université McGill. Le sexisme est une réalité quasi quotidienne pour cette jeune femme qui se dit frappée par la différence de ton entre les étudiants de l'UQAM en science politique - très pro-féministes - et les étudiants en droit de McGill qui traitent le discours féministe de façon condescendante. «Or, note-t-elle, il s'agit de l'élite de demain. Ça m'inquiète.»

Selon la jeune femme, le sexisme s'est décomplexé ces dernières années parce que le féminisme s'est décomplexé. Les deux phénomènes vont de pair. «Les réseaux sociaux peuvent donner l'impression que les féministes sont partout et nous assistons donc à une réaction primaire de rejet du féminisme. Je ne dirais pas qu'il y a plus de sexisme, mais peut-être est-il plus visible. Mais ce que je vois surtout, c'est que les réseaux sociaux ont contribué à dépoussiérer le discours féministe et à lutter contre le sexisme. Et ça, c'est une bonne chose.»