Un selfie, c'est bien. Deux? Pourquoi pas. Trois, passe encore. Mais 365, oseriez-vous, vous?

Facile? Pas tant que ça. La blogueuse féministe américaine Veronica Arreola (www.vivalafeminista.com) a essayé il y a quelques années, et a trouvé l'exercice drôlement difficile. Pour quelqu'un qui ne se trouve pas particulièrement belle, encore moins photogénique, l'aventure a pris une dimension étrangement thérapeutique.Pensez-y: se prendre en photo, pas seulement une fois, mais tous les jours de l'année, et publier lesdites photos de surcroit, ça n'est pas forcément plaisant. Et pourtant. Au bout d'un moment, on finit par s'y faire. Et s'y plaire. S'affirmer, finalement. 

«Il s'agit de prendre une perspective féministe et de voir le tout comme un moyen d'apprendre à s'aimer, explique la blogueuse en entrevue. Il s'agit de s'approprier son image, finalement.»

Cette année, elle vient de décider de recommencer. Et pas à peu près. Pourquoi? Parce que de toutes parts, le selfie est attaqué.

Féministe, le selfie?

Une petite mise en contexte s'impose ici. Tout récemment, le selfie, ces autoportraits publiés un peu partout sur le web, donc, sacré mot de l'année par les dictionnaires Oxford en 2013, a été critiqué de toutes parts.

Sans surprise, plusieurs dénoncent là l'expression ultime de notre narcissisme contemporain. Le blogue féministe Jezebel y voit quant à lui un exemple de plus de la soumission des femmes au culte de l'image, un culte imposé, il va sans dire. «Le selfie n'est pas libérateur, c'est un appel à l'aide», a dénoncé récemment le blogue, dans un texte qui a drôlement fait réagir la blogosphère. Il faut dire que l'auteure n'y est pas allée de main morte.

Pourquoi tant de hargne? «Parce que le selfie typique ne présente pas une femme qui vient de compléter un triathlon Ironman [...] mais tout simplement, littéralement, la photo du visage d'une femme qui ne parle pas.» En un résumé: «Le selfie n'est pas une manifestation d'une quelconque fierté, mais une quête d'affirmation.»

Le magazine Slate a quant à lui proposé une analyse radicalement opposée du phénomène: «Les selfies sont bons pour les filles», a-t-il au contraire titré. «Si vous n'y voyez qu'une vague de narcissisme, vous risquez de rater toutes ces autres manifestations de filles qui s'entraînent à se promouvoir, un geste d'autopromotion qu'on encourage davantage chez les garçons, et qui finit par leur servir toute leur vie, quand vient le temps de négocier un salaire, ou une promotion. [...] Le selfie est finalement une manière de dire: regardez, moi je me trouve belle, heureuse, drôle, sexy, pas vous? Une question qu'une fille ne pourrait par ailleurs jamais poser sans se faire juger.»

#365feministselfie

C'est donc dans ce contexte de débat entourant la dimension féministe du selfie que Veronica Arreola a lancé son projet #365feministselfie, à la fois sur Tumblr, Twitter, Facebook et Instagram, invitant tous les intéressés à se manifester (quelques hommes participent aussi), et ce, quotidiennement, pendant un an.

«Moi, j'aime les selfies, parce que je trouve qu'ils permettent d'immortaliser un moment, se justifie-t-elle simplement. Voici de quoi a l'air une mère. Non, ça n'est pas toujours beau. C'est une prise de position à la fois individuelle et politique.» Et à voir la réaction, certes difficile à chiffrer, due à la multitude de plateformes ici impliquées, elle a frappé dans le mille. «Je ne compte plus les commentaires de femmes qui ont publié leurs photos en écrivant: personne ne me dit que je suis belle, je ne vois jamais des femmes de couleur comme moi dans les médias, etc. Tellement de femmes ont réagi en expliquant pourquoi les selfies sont une bonne chose pour elles ! Si on a une belle journée, et qu'on veut le partager, non mais où est le mal?»

Vu d'ici

La jeune féministe Léa Clermont-Dion ne croit pas que le selfie soit féministe en soi. Selon elle, il est tout simplement le fruit de notre société individualiste, «plutôt narcissique». Certes, les femmes s'assument aujourd'hui clairement beaucoup plus qu'il y a 50 ans. «Peut-être qu'il y a un petit "girl power" à travers ça, concède-t-elle, mais il y a aussi une volonté d'attention qui frôle parfois le pathétique. Et ça, ça n'est pas du féminisme.» Le projet #365feministselfie est toutefois bien différent, croit-elle. «Ce qui est intéressant dans ce projet-ci, poursuit-elle, c'est qu'on voit qu'il y a un geste derrière, une instrumentalisation, un message. C'est une volonté de s'exposer.» Une volonté par définition revendicatrice. Et bel et bien féministe.