Nadia Mali jongle entre six enfants et son travail dans un hammam, son mari étant au chômage. Pour elle, la réalité du quotidien c'est l'épuisement et non l'euphorie face aux récentes avancées vers l'égalité des sexes en Tunisie.

«Il n'y a pas d'égalité homme femme en Tunisie, il y a des femmes épuisées par le labeur pour assurer seules les besoins de leurs enfants», assène-t-elle, préparant ses outils de travail, argile et kessa, des gants de gommage.

Pour cette femme de 50 ans, son pays a beau être le plus avancé des pays arabes en matière de droits des femmes depuis près de soixante ans, sa condition, dans un quartier populaire en banlieue de Tunis, c'est la misère.

«Je n'ai aucun droit, ni couverture sociale, ni soutien matériel et moral de l'État alors que mon salaire est minime et ma situation sociale de plus en plus difficile», raconte-t-elle.

Loin des explosions de joie à l'Assemblée nationale constituante jeudi, lorsque les élus, avec le soutien d'une partie des islamistes majoritaires, ont introduit le principe de la «parité» dans la Constitution après avoir avalisé l'égalité des «citoyens et citoyennes», Dalinda Gharbi ne voit que des paroles.

«Cet article ce sont des mots qui ne reflètent pas la réalité. La femme a plus de devoirs que l'homme: elle doit gagner de l'argent, s'occuper de ses enfants, faire le ménage et jouer la bonne épouse», note, grinçante, cette serveuse dans un restaurant populaire de l'Ariana.

«La femme est devenue mieux que l'homme»

«Je travaille pour assurer de la nourriture et les études à mes enfants. Avec le chômage de mon mari, j'assure à la fois une responsabilité de femme et d'homme, donc ne me parlez pas des droits de la femme ni d'égalité», lance de son côté Samira Hrichi, 43 ans, vendeuse de feuilles de brik sur le marché de cette banlieue tunisoise.

Dans ce quartier, certains hommes ne cachent pas partager la position de Samira, et estiment leurs foyers sauvés par leurs épouses.

C'est le cas d'Imed Wechtati, un chômeur et père de famille de 39 ans portant des vêtements et chaussures usés, qui attend d'être peut-être recruté pour de menus travaux journaliers aux abords d'un marché.

«La femme est devenue mieux que l'homme (...) Que Dieu garde et protège mon épouse! C'est elle qui paye le loyer et qui m'aide aux moments difficiles», avoue-t-il.

Imed avoue même se sentir «faible» devant sa femme qui travaille et «honteux» lorsqu'il «arrive les mains vides à la maison».

Les femmes en niqab, minorités exclues

Autre réalité, autres femmes. Sans surprise, celles portant le voile intégral dénoncent le concept de l'égalité des sexes et les grands principes de la future Constitution. Ce qu'elles réclament par contre c'est d'être acceptées par la société au même titre que les femmes ne portant pas le niqab.

Cette tenue, non tolérée sous le régime déchu de Zine El Abdidine Ben Ali qui réprimait sans pitié toutes les formes d'islamisme, a connu un essor certain depuis la révolution de janvier 2011 et ne cesse de susciter le débat entre militants politiques séculiers et islamistes notamment.

«Dans le Coran, Dieu n'a jamais parlé d'égalité des sexes, mais il a précisé les responsabilités de chacun», interprète Jamila Sabri, gérante d'une boutique de voiles à la cité Ettadamen, un quartier populaire près de Tunis et bastion salafiste.

«Avant de parler d'égalité entre homme et femme ! Instaurons dans le pays l'égalité entre les femmes», s'indigne-t-elle, le regard perçant, ses seuls yeux maquillés émergeant de son niqab.

«En Tunisie les femmes en niqab sont défavorisées par rapport aux non-voilées ! Elles sont rejetées par la société qui les considère comme des intrus, des fantômes en noir et même des terroristes», martèle-t-elle.