Les quatre derniers savonniers de Marseille, s'estimant trop souvent victimes de concurrence déloyale, se sont mis en ordre de marche pour défendre leur produit, d'abord avec une marque collective, et bientôt, espèrent-ils, avec une «indication géographique».

«Il y a plus de faux savons de Marseille vendus que de vrais,» souligne Julie Bousquet-Fabre, la présidente de l'Union des professionnels du savon de Marseille (UPSM). «On en trouve sur tous les marchés de Provence» et dans de nombreux magasins à Marseille même.

Car, même si rien ne l'interdit aujourd'hui, les savons parfumés, colorés ou liquides ne devraient pas être estampillés «Savon de Marseille». Encore moins ceux produits en Asie à partir de graisse animale, et qui ne sont ni hypoallergéniques, ni biodégradables, des qualités étroitement associées à l'original.

Le véritable savon de Marseille est en effet issu d'«un procédé de fabrication bien spécifique, inventé à Marseille», explique Mme Bousquet-Fabre, également directeur général délégué de la savonnerie Marius Fabre de Salon-de-Provence.

Cette entreprise est l'une des quatre dernières savonneries à produire dans les Bouches-du-Rhône le vrai savon de Marseille, les trois autres se situant dans la ville même. Symbole des temps difficiles dans un secteur concurrentiel, l'une d'entre elles, l'usine du Fer à cheval, a été placée en redressement judiciaire, et son PDG Bernard Demeure, qui souhaite la céder, ne voit pour l'instant aucune offre de reprise sérieuse se profiler.

Soucieux d'enfin protéger un produit qu'ils estiment «authentique» et «traditionnel», et qui était déjà victime de copie à l'époque de Colbert, les quatre savonniers ont donc récemment lancé une marque collective.

Ce gage d'authenticité garantit que le produit est bien fabriqué en chaudron selon les 5 étapes du «procédé marseillais», qui dure 10 jours, uniquement à partir d'huiles végétales (d'olive pour le savon vert, de palme et de coprah pour le blanc), sans autre ajout.

Vers une «indication géographique»

Il certifie également qu'il provient bien de la zone d'origine du savon, à savoir les actuelles Bouches-du Rhône.

Mais les fabricants souhaitent désormais aller plus loin et bénéficier d'une «indication géographique». Cette dénomination n'existe pas encore pour les produits autres qu'alimentaires, mais le gouvernement planche sur un texte qui l'étendra aux «produits manufacturés».

Le projet, porté par la ministre de l'Artisanat, du Commerce et du Tourisme Sylvia Pinel, devrait être inclus dans la vaste loi sur la consommation du ministre délégué à l'Economie sociale Benoît Hamon, prévue d'ici l'été.

Mme Pinel souhaite notamment «créer un dispositif juridique qui permette une protection réellement adaptée aux besoins des professionnels pour chaque indication géographique».

Et le savon de Marseille, à l'instar des couteaux de Thiers ou de Laguiole, du granit de Bretagne, de la porcelaine de limoges ou du linge basque, dont les représentants ont tous été reçus au ministère, compte faire partie du premier wagon.

Bernard Demeure se réjouit que les politiques s'emparent du dossier, mais reste prudent. «Il va y avoir des écueils», craint-il. «Ceux que j'appelle "les contrefacteurs" défendront leur position».

Dans leur combat, les savonniers ont en tout cas reçu un soutien inattendu. Celui des 11 000 signataires d'une pétition lancée sur la plateforme internet change.org «Sauvons le savon de Marseille» par un jeune entrepreneur de 19 ans, Adrien Sergent.

Ce Marseillais, qui n'a «aucun lien entrepreneurial» avec les fabricants, revendique un «acte citoyen, face à la situation des savonneries provençales», qui n'ont «aucune protection juridique».

L'initiative, très vite approuvée par l'UPSM, a aussi rallié des soutiens politiques locaux: la députée UMP Valérie Boyer ou la sénatrice PS Samia Ghali ont signé le texte.