L'amour est une drogue, la chose est prouvée. Le cerveau d'une personne passionnément en amour est stimulé, de façon similaire, aux mêmes endroits que le cerveau de quelqu'un qui vient de consommer de la cocaïne.

Mais le high de la drogue est comme l'amour-passion. Il ne dure pas. L'amour-passion, c'est deux ans, pas plus, pour la moyenne des ours.

Et semble-t-il que c'est la faute de... l'évolution.

Notre goût de nouveauté, en toutes choses, est imbriqué en nous, a écrit en décembre la professeure de psychologie Sonja Lyumbomirsky dans le New York Times. Y compris pour le désir de variété sexuelle. «Les biologistes de l'évolution croient que ce désir est adaptable et qu'il a évolué pour prévenir l'inceste et la consanguinité, dans les environnements ancestraux. L'idée étant que, quand nos conjoints deviennent aussi familiers que nos frères et soeurs - quand ils deviennent partie de notre famille -, nous cessons d'être sexuellement attirés.»

J'hésite entre «terrible» et «réconfortant», quand je pense que c'est la faute de la trouvaille de Charles Darwin si votre blonde ou votre chum ne fait plus voler de papillons dans votre estomac. Après quelques années, après la routine, les rénos, les enfants et le partage de la salle de bains...

«Quand les couples atteignent la marque des deux ans, poursuit la Dre Lyumbomirsky, auteure de plusieurs publications sur le bonheur, ils confondent la transition de l'amour-passion vers l'amour amical [companionate love] pour de l'incompatibilité et un déficit de bonheur. Pour plusieurs, la possibilité que les choses soient différentes - plus excitantes, plus satisfaisantes - avec quelqu'un d'autre se révèle presque irrésistible.»

Presque irrésistible? You bet! Plusieurs lecteurs qui ont répondu à mon appel de témoignages sur l'amour, par l'entremise de mon blogue, ont indiqué que quand c'est un peu cassé, l'amour, on veut le remplacer.

Sébastien Noël: «Aussitôt qu'il y a une petite coche qui se saute, c'est fini, on passe au prochain appel.»

Fanny Pilon, qui se mariera cette année: «Ça ne marche plus? On jette! Le chum n'est plus aussi hot qu'avant? On flushe

Rose-Marie Charest, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec: «Je prône qu'on réfléchisse davantage à ce qu'on veut, dans une séparation. Trop de gens se séparent en se disant Ah, le prochain!, Ah, la prochaine!Il sera comme ci, elle sera comme ça. On idéalise le prochain, la prochaine... Ça entraîne beaucoup de douleur.»

Je fais remarquer à Mme Charest que dans le bon vieux temps du noir et blanc, de la même façon qu'un frigo pouvait durer 25 ans, les couples semblaient mieux résister à l'épreuve du temps...

«N'idéalisons pas les couples d'antan. Oui, ils restaient ensemble. Mais étaient-ils plus heureux?»

Parlant de durée, Maud Lefebvre, qui a épousé son chum après 10 ans de fréquentation, résume bien le lot des couples modernes, dont la moitié finissent par se séparer, quand elle m'écrit: «Aujourd'hui, 10 ans, c'est énorme. Cet aujourd'hui où tout est facile. Cet aujourd'hui où l'on consomme à un rythme effréné. Cet aujourd'hui où l'on recherche la perfection. On a une petite ridule dans le front et hop! on utilise le Botox. On recherche la perfection. Partout. Tout le temps. Seulement, la perfection n'existe pas.»

Il y a donc la biologie qui nous rendrait confus, qui nous ferait confondre la fin de l'amour-passion avec la fin de l'amour tout court.

Puis, il y a la culture. Je parle de la culture de l'amour-passion, de la culture de l'amour-peut-déplacer-des-montagnes, qui impose ses modèles et ses dictatures, dont les origines remontent au courant romantique incarné par Schiller, Goethe, Hugo...

Résultat, selon Chiara Piazzesi, prof de sociologie à l'UQAM, en plein projet de recherche sur les formes de l'expérience de l'amour dans la société occidentale contemporaine: on imite ce qu'on voit dans les films, à la télé, dans les livres, dans les chansons.

Et qu'y a-t-il, dans les films, à la télé, dans les livres, dans les chansons?

De l'amour-passion. C'est LE modèle amoureux privilégié. Céline Dion ne chante pas le train-train quotidien et Sex and the City a carburé à la recherche de l'homme idéal, pas de l'homme imparfait...

«Et quand il n'y a plus d'amour-passion, on se sépare, note Chiara Piazzesi. Pourquoi les gens divorcent-ils? Parce qu'ils ne s'aiment plus comme avant.»

La vie est différente, bien sûr. Anne-Sophie Laframboise, 27ans, qui fera plus tard l'objet d'un papier dans cette série, a bien résumé le diktat de l'amour romantique, quand elle m'a dit ceci:

Oui, on va se chicaner avec notre chum. Oui, on va manger en regardant la télé, en pyjama. Oui, la vie sexuelle va avoir des bas, des fois. Mais c'est pas ça qu'on nous vend...

Qu'est-ce qu'«on» te vend, Anne-Sophie?

On nous vend des comédies romantiques de m...

En écrivant les propos d'Anne-Sophie, je repense aux mots de Gérald Godin dans La renarde et le mal peigné, le joli recueil des lettres que le poète échangeait avec sa blonde, la chanteuse Pauline Julien. Godin a ces lignes lumineuses:

«Je crois qu'il va falloir s'habituer à une idée peut-être simple, l'imperfection de la vie et des réalisations de l'homme. Rien n'est jamais tout à fait réussi. Tout est toujours contesté, ballotté, menacé, puis rentre temporairement dans l'ordre. Puis ça recommence.»

C'est une belle définition de ce que c'est, aimer quelqu'un, dans le réel.

Peut-être que le défi de l'amour moderne est là, non?

Dans cette transformation de l'amour-passion en un amour... autre. J'allais dire amour amical, traduction de Rose-Marie Charest pour companionate love, terme que je hais en anglais et en français, car j'imagine la relation d'un homme avec son golden retriever...

Je ne parle pas de durer pour durer, comme nos grands-parents qui restaient mariés parce que le petit Jésus l'exigeait. Je parle de négocier la courbe, la courbe sur la route de l'amour, celle qui sépare l'euphorie des débuts... du reste. De tout le reste.

Fabien Nadeau, 70 ans, de Saint-Liboire, l'a bien négociée, cette courbe dont je vous parle: 45 ans avec Monique...

«Nous nous aimons toujours, m'écrit-il. Mais mettons que les hormones tournent au ralenti. Je pense parfois que nous sommes devenus des colocs affectueux. Elle a dans la maison son territoire où elle fait de l'artisanat. J'ai mon local avec mon ordinateur, ma caméra pour les oiseaux. Il y a le jardin dehors, une chaloupe sur le fleuve.»

Ce Calendrier de l'amour que m'a envoyé Fabien, où il cartographie son parcours d'amoureux, est un des plus formidables textes qu'on m'ait envoyés, dans cet appel à tous sur l'amour. Il commence par ses 5 ans, quand il était épris de la fille du proprio du magasin général; enfile avec le bec dans les cheveux d'une belle qui s'était endormie sur son épaule, à 10 ans, et le feu d'artifice de son premier baiser, à 15 ans, avec Vivian...

Texte lucide et touchant, qui parle de passion, d'amitié; de l'amour qui évolue et qui se transforme, de l'amour parental et de l'amour qui meurt, au sens propre: Fabien évoque ses vieux amis qui sont séparés par la mort de l'un ou de l'une...

Et il a ces mots: «On aime parfois voir l'amour comme dans les films ou dans les romans. C'est une erreur. Ça, c'est aimer l'amour, pas aimer l'autre. Je lis ma petite-fille sur Facebook... Quel romantisme... Ah, que je souffre! Ou encore: Ah, que je trippe! ...»

J'imagine le sourire en coin de Fabien quand il dit, en commentant les états d'âme de sa petite-fille de 14 ans: «L'amour viendra.»