Dans la salle d'attente du vaste cabinet d'Anne-France Goldwater, un gorille de taille humaine patiente en permanence avec un regard qui fixe le vide. Cette fantaisie est un prélude à l'accumulation de pièces étranges, exotiques ou enfantines qui peuplent le bureau de la nouvelle «Judge Judy» du Québec.

Mais il ne faut pas se laisser distraire par ce bizarre univers et encore moins par la personnalité colorée de cette femme de 51 ans qui collectionne les ugly dolls, les figurines de superhéros et de monstres et reçoit ses clients en compagnie de sa chienne Sandrine. L'influence de Me Goldwater sur la «non-institution» du concubinage au Québec pourrait bien être historique.

«Quand on passe tant d'années, comme moi, à vivre la rupture des gens, on est soumis à deux réactions possibles: soit on tombe dans une dépression presque permanente, soit, au contraire, on développe une affection plus permanente pour l'institution du mariage», lance l'avocate de Lola qui, par l'entremise d'une bataille juridique très médiatisée, pourrait avoir modifié la loi sur la protection des conjoints de fait (il reste maintenant à la Cour Suprême à trancher).

Les vues d'Anne-France Goldwater ne rallient pas tout le monde. Certaines femmes (et féministes) se dissocient de toutes les Lola de ce monde. D'autres défenseurs du concubinage à la québécoise l'accusent carrément de vouloir faire des mariages forcés.

Mais (et c'est elle-même qui le dit), Anne-France Goldwater est insensible aux critiques. Et comme en cour, où elle sévit depuis 30 ans, elle arrive en entrevue avec une longue liste d'arguments pour nous convaincre de la validité de son point de vue.

Avant d'évoquer les raisons de se marier, Me Goldwater met la table en nommant un problème qu'elle trouve chronique en Occident: selon elle, on se sépare beaucoup trop facilement ici. Elle se désole de voir des gens qui prennent leur engagement de moins en moins au sérieux, «parce qu'il est devenu presque socialement acceptable d'échouer une, deux ou trois unions».

«Le divorce est vraiment nécessaire pour une infime minorité. Il s'applique dans le cas où l'un des conjoints est toxicomane, alcoolique ou bat l'autre», tranche celle qui vit en union libre depuis 11 ans avec un homme qu'elle appelle son mari (il s'agit de sa troisième union).

Certes, il n'est guère facile d'unir sa destinée à celle d'une autre âme, reconnaît-elle. Or, le défi est d'autant plus colossal quand le soutien social n'est pas de la partie.

«Les gens ne restent plus ensemble par stoïcisme, pour faire plaisir à Jésus, au rabbin, à matante ou à l'arrière-grand-mère», dit celle qui souhaiterait que, dans un monde idéal, l'éducation aux relations humaines soit inculquée à un jeune âge. Un peu comme les cours sur l'éducation morale ou religieuse ont remplacé le petit catéchisme d'hier.

Née dans la religion juive, Anne-France Goldwater se dit athée. À ses yeux, l'union de deux personnes est d'ordre spirituel, social et économique.

«Le couple devrait être un projet social où l'accent est mis sur la solidarité. Quand deux personnes s'unissent, fondent un foyer et ont un enfant, c'est une entreprise qui a des conséquences économiques.»

Elle cite son propre couple en exemple, pour illustrer sa vision de la cellule conjugale comme une entité ouverte sur les autres. «J'étais très malade cette semaine avec une infection à la gorge. Ce matin, mon mari a fait une marmite énorme de soupe au poulet qu'il a servie à tout le monde au bureau, pour que personne ne tombe malade. Ce genre de solidarité ne se définit dans aucun code civil ou texte religieux, mais il enseigne néanmoins quelque chose sur l'amour de sa femme et de tout le monde au bureau...», évoque celle qui se dit «extrêmement romantique».

Une avocate dans un monde d'hommes

Lola, avec son mode de vie luxueux, n'est peut-être pas à l'image de la majorité des femmes québécoises. Or, fait valoir Me Goldwater, la vulnérabilité de son ex-cliente est partagée par une grande partie de la portion féminine des 85% de couples à l'extérieur de Montréal qui fondent une famille sans être mariés.

«Plus de femmes travaillent à temps partiel, en raison de leur obligation envers les enfants. Pendant ce temps, l'homme avance plus vite que la femme, profite d'augmentations de salaire. Les mamans sont plus portées à mettre leur carrière en second plan, ce sont elles qui vont chercher les enfants à l'école, etc.»

L'avocate, qui s'est également fait connaître en défendant le couple Hendricks LeBoeuf (premier couple gai à être marié légalement), parle aussi de la valeur symbolique de l'état matrimonial. À ses yeux, ce couple ayant aussi à sa façon marqué l'histoire est un cas exemplaire d'engagement.

«Quand ils sont venus me voir, cela faisait déjà 32 ans qu'ils vivaient ensemble et ils avaient perdu beaucoup d'amis au sida. L'un d'entre eux avait 62 ans et s'inquiétait beaucoup de ce qui arriverait à l'autre, s'il tombait malade», évoque l'avocate qui qualifie de «fucking bizarre» la situation des conjoints de fait, dans les cas de maladies graves. Tout comme elle trouve dégradant le terme «blonde» et plutôt égalitaire celui de «chum», signes distinctifs des Québécois.

«Le conjoint de fait est autorisé à prendre une décision, par exemple si la personne a besoin d'une transplantation de coeur. Par contre, seuls les enfants ont droit de regard sur le compte bancaire.»

Tout et son contraire

Fervente militante du mariage et divorcée deux fois, native de Montréal mais parlant au «vous» des Québécois, critique des us et coutumes de ses concitoyens mais amoureuse des hommes québécois («ce sont de merveilleux amants»), Anne-France Goldwater ne craint pas les contradictions. Détail en passant: elle a adoré le film Une séparation...

Au milieu de ce généreux entretien où elle nous a aussi entretenu de son rapport trouble avec son père, ses propos controversés au récent combat Canada Reads et le plaisir qu'elle a à jouer à L'arbitre, on oublie presque de lui parler du 8 mars.

À la question «êtes-vous féministe?», Me Goldwater répond en pointant ses deux pouces vers le haut.

Cette fière descendante de Germaine Greer, Erica Jong et Betty Friedman affirme avoir adhéré complètement à l'idée qu'elle pouvait tout avoir et tout faire, dans sa prime jeunesse. «J'ai étudié comme un homme, j'ai été avocate à 20 ans, j'ai baisé comme un homme, j'ai eu mon propre bureau comme un homme. Et j'ai eu mes enfants comme une femme, mais sans interrompre ma carrière.» Elle a eu sa première fille à 20 ans et son fils à 23 ans. «J'amenais le deuxième à la cour et je l'allaitais là-bas.» Pour elle, l'égalité est synonyme d'accès aux mêmes possibilités.

Grand-mère depuis peu, elle a fait installer un berceau dans son bureau, pour que sa descendance soit à son aise, sous le regard protecteur de Sandrine, des ugly dolls, des masques africains et des autres membres de la famille.

Bonne fée marraine ou marieuse acharnée? L'avenir nous le dira.