Dans son travail de metteure en scène, Brigitte Haentjens a souvent privilégié la parole des femmes. Elle pousse la démarche encore plus loin cet hiver avec Une femme comblée, roman dans lequel elle raconte la passion d'une femme d'âge mûr pour un tout jeune homme.

Connue pour ses mises en scène rigoureuses (L'opéra de quat'sous à l'Usine C est sa plus récente), Brigitte Haentjens avait publié Blanchie il y a quatre ans, récit d'un deuil prenant et ciselé. Elle a mis trois ans de travail sur Une femme comblée, court récit écrit sous forme de poème, cru, évocateur, passionné. «La première fois que j'ai entendu quelqu'un résumer mon livre, j'ai eu un choc...», dit-elle en entrevue. Car Brigitte Haentjens n'a pas «décidé» d'écrire sur une femme mariée qui se consume d'amour pour un étudiant en médecine ami de son fils aîné. Le sujet s'est imposé de lui-même.

«J'avais cette première phrase en tête: Je l'ai aimé au premier instant. J'ai développé l'histoire ensuite.» Sans faire exprès, donc, mais sans fard et sans détour, Brigitte Haentjens s'est attaquée à plusieurs tabous, dont le désir féminin et l'attirance entre une femme plus vieille et un homme plus jeune. «C'est vrai que le désir féminin, c'est encore tabou. Surtout que là, je touche aussi au vieillissement, à l'invisibilité des femmes qui disparaissent de la cité en vieillissant.»

Brigitte Haentjens met donc en scène une femme vieillissante qui n'est pas une «couguar» ou une amazone, mais qui vibre pour un jeune homme. Elle ne ressemble pas à Demi Moore, mais n'est pas non plus une harpie insatisfaite de sa vie. Une femme dans sa plus simple expression, normale quoi, et un sujet plus subversif qu'il n'y paraît au premier abord.

«Probablement surtout dans un contexte où nous sommes dans la recherche excessive de la jeunesse. Mais on ne rattrape jamais sa jeunesse. Une femme de 50 ans qui se fait faire une opération esthétique n'a pas plus l'air d'avoir 20 ans. Cette quête infinie de la beauté et de la séduction me fascine. Je fais partie de ça, mais j'assume mon âge. Je ne me teins pas les cheveux, par exemple, mais ça ne veut pas dire que c'est facile pour autant.»

Passion charnelle

Féministe, donc, ce roman? «Pas revendicateur en tout cas, mais féministe, oui, par son propos, parce qu'il parle de l'aliénation et qu'il fait sortir des tabous.» Étonnant, tout de même, pour un livre dont le point de départ est... un coup de foudre. «J'ai voulu comprendre ce mystère. Moi, je ne sais pas c'est quoi!» dit en rigolant Brigitte Haentjens, elle-même surprise par le côté «cru» de son livre. C'est que son héroïne plonge aussi dans ses souvenirs de jeunesse et de la passion charnelle qu'elle a vécue, adolescente, avec un homme plus vieux qu'elle. «J'aimais l'idée que ça se fasse dans le plaisir, dans la joie et le désir, sans sentiment, mais pas de manière compulsive ou destructrice non plus.»

Féministe avérée, allergique à la misogynie - qu'elle «sent de très loin» -, ébranlée par le «non-amour des femmes» qu'elle sent dans une certaine littérature à la mode, tannée des «jokes de mononcles» d'émissions comme Tout le monde en parle, Brigitte Haentjens admet que son travail est souvent guidé par «une révolte profonde» contre l'ordre établi, sur tous les plans. «Ce n'est pas dans le but de faire un pied de nez; c'est ce qui m'anime, c'est tout.»

Elle qui a mis en scène Herta Müller, Sophie Calle, Virginia Woolf et Louise Dupré, pour ne nommer que quelques-unes des auteures qui ont guidé son travail, a toujours trouvé essentiel de donner de l'espace aux artistes importants en général, aux voix de femmes signifiantes en particulier. «Je viens d'une époque où il y avait peu de modèles féminins. Je n'avais pas d'exemple de ce que c'est, être une artiste au féminin.»

Elle est donc passionnée par les voix des femmes, par leur destin aussi. «J'aime Annie Ernaux par exemple, ou Marguerite Duras, une grande. Elle vient tout juste d'entrer dans La Pléiade, c'est un scandale!» Mais, comment reconnaît-on une voix de femme? Quelle est la particularité des femmes? «Leur sensibilité, leur imaginaire, mais ce n'est pas la seule chose. Je dirais que c'est une voix authentique, qui n'épouse pas de modèle autre, qui n'essaie pas de faire comme les hommes. Une voix qui est unique, moins aliénée, plus près de la vérité.»

Une femme comblée, de Brigitte Haentjens

Prise de parole, 191 pages