Un fou rire féminin qui ensorcelle un local au-dessus d'une pharmacie de l'avenue du Mont-Royal. Les spasmes surhumains d'une femme qui donne la vie. L'adrénaline tranquille de deux mordues de bingo d'Hochelaga-Maisonneuve. La ferveur mystique d'une prêtresse vaudou, dans un sous-sol de Repentigny. Avec l'exposition Humanitas, la photojournaliste Caroline Hayeur décline en quelque 135 images le territoire des émotions, expression ultime de ce qui relie les êtres.

La photo d'un visage d'enfants en pleurs est voisine de celle d'une femme en larmes. Dans leurs yeux, la même détresse humide. La même rougeur chaude aux joues. La même bouche grande ouverte. Seule la source des sanglots diffère: le petit a un bobo qui saigne alors que la grande se remet péniblement d'une fastidieuse séance de tatouage.

«Au fond, dans les sphères de l'extrême, tout se touche: une douleur extrême peut ressembler à une joie ou une jouissance incroyable. Et il n'y a pas tellement de différence entre les pleurs d'un enfant qui a mal et ceux d'une personne adulte qui s'est induit une douleur par souci d'esthétisme», avance la photographe montréalaise, qui dévoile ici les fruits du cinquième grand projet artistique de sa carrière.

«J'ai toujours travaillé avec l'humain et le social», rappelle Caroline Hayeur, qui a braqué son «kodak» sur la convivialité et les raves (exposé dans son livre Rituel festif), exploré l'univers des danses sociales (Danz Party) ainsi que les liens entre danse, tradition et spiritualité.

«Avec ces projets, je me suis rendu compte que, foncièrement, j'étais intéressée par les émotions que les gens échangent», expose la photographe, qui a voulu retrouver les similitudes entre les émotions «subies» et les émotions «choisies».

Photo: Caroline Hayeur, humanitas

L'adrénaline tranquille de deux mordues de bingo d'Hochelaga-Maisonneuve. «Avec ces projets, je me suis rendu compte que, foncièrement, j'étais intéressée par les émotions que les gens échangent», expose la photographe, qui a voulu retrouver les similitudes entre les émotions «subies» et les émotions «choisies».

Ici, maintenant, intensément

«Je ne suis pas quelqu'un qui cherche l'extrême. Genre, j'ai peur dans la grande roue. J'aime danser, les partys, les fêtes, mais je ne cherche pas forcément l'émotion la plus intense», précise l'artiste qui, aux fins de sa recherche, s'est pourtant aventurée dans de périlleuses zones d'intensité comme le circuit du roller derby, les donjons du BDSM, les festivals Krishna ou les rituels vaudou.

Ce qui relie tous ses sujets captés au plus vif de leurs émotions? «La vie», analyse tout simplement la photographe.

«J'ai pas de télé depuis 18 ans, je suis plutôt «out». C'est pour ça que j'ai essayé d'aller vers quelque chose d'intéressant pour moi et non pas vers le plus «flyé», le plus «fucké», ce qui aurait été du voyeurisme. Ce que je voulais, c'était traduire les émotions humaines», soutient Caroline Hayeur, qui s'est pourtant impliquée personnellement dans la réalisation de chaque portrait.

Ainsi, pour la séance photo prévue lors de l'accouchement d'une collègue qui s'était prêtée volontaire pour le projet, Hayeur s'est transformée en sage-femme. «C'est l'accouchement le plus extrême que j'ai jamais vu: elle a accouché par terre», raconte celle qui avait déjà donné naissance et accompagné une amie dans cette intense expérience émotive. À l'arraché, elle a quand même réussi à capter quelques photos des premiers instants de la vie. «Mais ça n'aurait pas été grave s'il n'y avait pas eu de photo.»

Photo: Caroline Hayeur, humanitas

Sa propre mère, à qui Caroline dédie d'ailleurs Humanitas, est aussi un personnage important de l'expo: elle est photographiée dans son dernier souffle, juste avant de mourir.

«Quand t'es dans un projet pendant deux ans et demi, tu ne sais pas ce qui va arriver. Je me suis dit que si je n'intégrais pas cette photo, j'allais le regretter toute ma vie. Finalement, c'est plein de sens qu'elle soit là», concède la photographe, qui souhaitait que l'on ressente l'histoire derrière chacune des photos.

Après avoir capté les expressions de triomphe de fans de hockey, l'indignation dans les traits de victimes de brutalité policière, l'euphorie de fêtards sur l'ecstasy, la fureur de joueuses coriaces de roller derby, que retient-elle de notre façon contemporaine de vivre les émotions?

«Je pense que plus ça va, plus on a besoin d'être «high», parce que tout a déjà été fait. Le monde est «high», ç'a pas de bon sens. J'ai l'impression que tout le monde est en recherche de sensations, pour se sentir vivant.»

Humanitas, de Caroline Hayeur, à la maison de la culture Plateau-Mont-Royal (465, av. du Mont-Royal E.), jusqu'au 22 janvier 2012, entrée libre.

Photo: Caroline Hayeur, humanitas