Rien comme une visite dans une librairie d'aéroport pour être envahi par la tentation de déchirer virtuellement son billet électronique de retour. Et l'exil se fait si invitant quand on se retrouve à l'ombre d'écrans qui affichent les heures de départ pour des destinations aussi exotiques que Casablanca, Dublin ou Islamabad, le nez plongé dans le récit d'une dame (ou d'un mec) ordinaire qui a tout plaqué pour (insérer ici le fantasme de votre choix, arpenter le chemin de Compostelle, devenir une pro du surf à Waikiki ou se transformer en berger philosophe dans un village des Pyrénées).

Fouinant à la librairie de l'aéroport Montréal-Trudeau cette semaine, j'étais curieuse de découvrir quelles fuites vers des ailleurs plus sereins, plus sensuels, plus jouissifs, remplaçaient ces jours-ci le Mange, prie, aime d'hier et les Sous le soleil de la Toscane et Une année en Provence du siècle dernier.

Voisin du très appétissant Un amico italiano de Luca Spaghetti, un «récit spirituel» au titre évocateur de Yoga Bitch attire mon regard. Le résumé de ce «yogoir» (néologisme pour parler d'un «yoga memoir»): Suzanne Morrison, jeune femme dans la vingtaine, relate son expérience de deux mois à Bali, où elle a suivi une formation intensive pour apprendre à enseigner le yoga, s'éveiller spirituellement, cesser de fumer et renoncer au scepticisme et au cynisme.

C'est alors que j'ai eu une pensée pour Kai Nagata, ce jeune journaliste de CTV qui, en juillet dernier, a quitté son poste de chef de bureau à l'Assemblée nationale.

Je pense parler au nom de plusieurs d'entre nous - journalistes ou pas - en disant que Nagata l'idéaliste a inspiré l'envie et l'admiration par son courage de «se suicider médiatiquement» à l'âge précoce de 24 ans. Dans son blogue Freedom 24, il a craché sans censure tout ce qu'il percevait de malsain dans sa profession, évoquant son désir de rentrer au bercail, près de ceux qui l'aiment vraiment et prenant en exemple la philosophie de son papa bouddhiste.

Mais comme l'a dit Woody Allen, «l'éternité, c'est long, surtout vers la fin». Et descendre du train à 24 ans, ça fait beaucoup de temps pour regarder les murs, non? Pardonnez cet élan judéo-chrétien, mais avant de jeter la serviette, déclarer forfait, tout plaquer pour regarder pousser les oliviers, ne faut-il pas un peu de sueur, de labeur, d'échecs et, à travers ça, un peu d'indulgence et, même (désolée pour tant de candeur), le sentiment, parfois, d'apporter sa contribution de l'intérieur?

La retraite anticipée d'un jeune gars à peine sorti de l'université, aussi poétique soit-elle, me rend aussi perplexe qu'une «yoga bitch» qui publie un recueil autobiographique sur son élévation spirituelle balinaise avant son premier divorce.

Cela dit, j'étais ravie de constater que la «retraite médiatique» de Kai Nagata a pris fin cette semaine: l'ex-journaliste télé renaît de ses cendres, en tant qu'auteur en résidence pour le site The Tyee (thetyee.ca).

Tiens, j'ai presque envie de lui offrir un cadeau de «fin de retraite»: Radio Shangri-la, de Lisa Napoli. C'est l'histoire d'une fille dans la quarantaine qui, depuis une vingtaine d'années, travaille des heures de fou dans une chaîne de radio publique à Los Angeles. Par un drôle de concours de circonstances, elle se retrouve au Bhutan - pays du «bonheur national brut» - pour un projet communautaire. Non, la fille ne rencontre pas le prince charmant, n'est même pas illuminée spirituellement, mais prend conscience de l'immense chance que lui confère le simple fait d'être née dans un monde où elle a le luxe de choisir ce qu'elle va manger pour souper. Elle arrive tout bonnement à la conclusion que son bonheur ne se trouve nulle part ailleurs que dans son quotidien imparfait, dans sa chaise d'animatrice de radio, à Los Angeles.

Parfois, le bonheur (et son moteur, la satisfaction), c'est juste de faire de son mieux. Et d'attendre d'être vieux pour capituler...