Ça nous arrivera tous un jour. Que ce soit un frère, un amoureux, une mère ou un enfant. Un jour, ils nous quitteront. Pour de bon. Disons-le, même si ça fait mal, même si les mots font peur: ils mourront. Et nous? Il nous faudra apprendre à vivre un des moments les plus élémentaires et existentiels qui soit, et pourtant le plus occulté de l'heure: le deuil. Un nouveau livre fait le point.

On court. On court. Jamais on ne s'arrête. Pas étonnant que, dans la société actuelle, un moment de faiblesse soit carrément vu comme une faute. Une faute dont on s'excuse. Excusez-moi, j'ai de la peine. «Excusez-moi, je suis en deuil.» Excusez-moi? Mais de quoi?

C'est la question que pose le psychologue Jean Monbourquette, qui vient de publier avec la conseillère en relation d'aide Isabelle d'Aspremont, Excusez-moi, je suis en deuil chez Novalis. Spécialistes de l'accompagnement des endeuillés depuis plus de 30 ans, les auteurs jettent ici un regard lucide, quoique parfois sévère, sur notre façon toute moderne de vivre ou, plutôt, de nier la mort. La mort de nos proches, de nos parents, de nos enfants.

«De nos jours, la priorité, c'est la jeunesse, la beauté, la compétition, la popularité. Ce n'est pas dans l'air du temps de parler de deuil», analyse le psychologue, prêtre et conférencier Jean Monbourquette. Du coup, quand arrive un malheur, une mort soudaine, inattendue, ou même prévisible, c'est le choc. Mais modernité oblige, même la mort se vit à la vitesse grand V. «On ne sait plus comment traiter la mort, le deuil. Alors, on fait vite. On incinère, pour que ça aille rapidement.»

Même s'il n'a rien contre l'incinération (un choix que font 60% des Québécois, et 80% des Montréalais), a priori, Jean Monbourquette déplore la vitesse à laquelle cela se fait. Surtout: la vitesse à laquelle cela se vit. «En 24 heures, on a les cendres. C'est court! dit-il. Les gens ne sont pas célébrés dans leur vie, dans leur mort. On a perdu l'art de faire ça. La plupart des gens ne vivent pas leur deuil, et on les retrouve deux ou trois ans plus tard, en dépression, dans les cabinets de psys.»

Pourquoi? Mais parce que la perte d'un être cher, ça n'est pas rien, dit-il. «Mais ça n'est pas une maladie! C'est un événement naturel. Et quand on est attaché, on est blessé! C'est comme une hémorragie. Il faut se soigner par des petits rituels!»

Son livre, qui décrit les différentes étapes à travers lesquelles passent généralement les endeuillés (voir autre texte), souligne aussi l'importance de chacune de ces étapes. Des moments qui, bien entendu, s'inscrivent dans le temps. «Oui, il y a des étapes. C'est long. Et aujourd'hui, on zappe le deuil. Parce que le temps, c'est de l'argent.»

À titre d'exemple, il cite le cas de cet homme, dont la mère venait de mourir. «Il avait prévu un voyage en Floride. Alors, il a dit: mettez-la dans un frigidaire, on va faire ses funérailles après....»

Son livre regorge d'anecdotes du genre. Ainsi, à Los Angeles, les entrepreneurs en pompes funèbres multiplient les propositions novatrices pour faire gagner du temps à leurs «clients». Certains exposent les corps inclinés, en vitrine, permettant aux familles de défiler en voiture, dans une sorte de cérémonie «au volant»...

Il n'y a pas si longtemps, pourtant, c'était tout le contraire. Sans nostalgie, Jean Monbourquette rappelle que son propre père a été exposé trois jours. «Oui, c'était peut-être un peu trop long. Mais en même temps, cela permettait aux gens de venir le voir, de raconter son histoire. Dans la cuisine, on racontait des anecdotes du mort. Les femmes veillaient. Les prêtres faisaient des prières. C'était ça, le rituel. On avait le temps d'absorber la mort.»

Une «absorption» qui nécessite de voir, bien souvent de toucher, le mort, s'entendent les deux auteurs. «Sinon, on n'est pas convaincu de la mort», assure Jean Monbourquette. «Oui, c'est nécessaire, renchérit Isabelle d'Aspremont. Pour que nos sens puissent accepter la mort. Sans toucher, sans sentir la froideur, les gens ont de la difficulté à le croire.»

Sans proposer un retour vers les rituels d'antan, les auteurs se félicitent de voir pousser, ici et là, des groupes d'entraide pour les familles endeuillées, comme ceux de la Maison Monbourquette. «Les gens ne parlent pas dans leurs familles, car ils ont peur des larmes. Cela prend des étrangers qui écoutent. Ils se permettent alors de parler, de raconter, parfois 10 fois leur histoire. C'est une sorte de thérapie de groupe. Et cela permet de dégeler la mémoire. Parce que vous savez, conclut Jean Monbourquette, c'est long, pour comprendre qu'une personne est morte. Vraiment morte...»

Conseils pour bien vivre son deuil

Pour les endeuillés:

Donnez-vous le droit de vivre votre deuil.

N'attendez pas que ce droit vienne de l'extérieur.

Osez aller à contre-courant pour vivre pleinement votre tristesse, le temps que cela vous prendra.

Entourez-vous, allez chercher des forces dans votre réseau, ou dans le système de santé.

N'hésitez pas à exprimer vos besoins, parce que votre entourage ne peut pas les deviner.

Pour l'entourage:

Nommez le malaise que vous ressentez («Je ne sais pas comment agir», «J'aimerais aider, mais je ne sais pas comment faire»).

Ne présumez pas que de parler du deuil, de poser des questions, augmente forcément la douleur. Au contraire, l'endeuillé ne pense souvent qu'à ça et a, du coup, grandement besoin d'en parler.

Posez des questions: «C'était qui pour toi?»

Respectez le rythme de l'endeuillé (il n'y a pas d'urgence ni de règle pour se départir des objets, des photos, chacun vit le deuil à sa façon).

Ne jouez pas au psy: si vous sentez que cela dépasse vos limites, encouragez l'endeuillé à aller chercher de l'aide.

Source: Maison Monbourquette

Les huit étapes du deuil

Le deuil est un moment, avec un début, un milieu, et une fin. Un moment de tristesse, de rage, de déni, aussi, et puis d'introspection, de pardon, nécessaire pour digérer la douleur de la perte. Si en moyenne, un deuil dure deux ans, cela peut aussi durer des décennies, voire une vie. Isabelle d'Aspremont, coauteure du livre Excusez-moi, je suis en deuil résume les huit étapes d'un deuil «complet».

1 Le choc De quelques semaines à quelques mois, le choc est «le temps où j'hallucine. Je crois que la personne est encore là. Je la vois. Je sens son odeur.» Ici, les émotions sont temporairement gelées.

2 Le déni «Psychologiquement, on ne peut pas faire autrement. On résiste au deuil, pour ne pas avoir trop mal.»

3 L'expression des émotions «Viennent ensuite la tristesse, l'anxiété, on ne sait pas comment on va pouvoir continuer à vivre, c'est souvent un moment de grande colère, de révolte, de dépression, ou parfois de libération. Il faut les vivre. C'est propre au deuil. Suit la grande braille, on pleure jusqu'à s'en fendre l'âme, parce qu'on ne reverra plus jamais le défunt.»

4 Les tâches concrètes En plus des tâches administratives (la rencontre avec le notaire, le choix de la pierre tombale, la disposition des affaires de la personne décédée), il s'agit ici de dire tout ce qu'on n'a pas eu le temps de lui dire. «C'est un moment très concret, qui nous met dans la réalité.»

5 La quête d'un sens «Une fois les émotions passées, il y a ici un espace pour regarder la mort avec un peu plus de recul. Qu'est-ce que j'ai appris de tout cela ? Est-ce que j'ai gagné en humanité, en tolérance?»

6 L'échange des pardons «C'est une étape propre à M. Monbourquette. Si je suis fâché, je me sens abandonné, j'ai, aussi, à pardonner. Comment? En parlant avec d'autres, en écrivant, etc.»

7 Le «laisser partir» «Parfois, on reste accroché. Alors, il faut poser un geste d'éloignement.» Envoyer symboliquement un ballon d'hélium dans le ciel, par exemple.

8 L'héritage spirituel «Tout ce que j'ai aimé d'une personne, toutes ses qualités, elles sont maintenant à l'intérieur de moi, en état latent. Non, on ne fait pas ça consciemment. Mais il serait dommage de laisser partir une personne sans récupérer son héritage spirituel. Du coup, on est en lien avec une présence, qui n'est pas extérieure, mais intérieure. C'est ça, faire son deuil.»