L'amour s'inscrit nécessairement à l'intérieur d'une relation d'interdépendance. Il implique d'avoir besoin de l'autre et de lui permettre d'avoir besoin de soi. Or, la peur de la dépendance - de la sienne propre et de celle de l'autre - est souvent invoquée pour fuir une relation qui, en soi, n'a rien de pathologique. En conséquence, si certaines souffrances sont évitées, le bonheur est éloigné d'autant.

La frontière entre dépendance et amour

Le concept de dépendance affective est largement galvaudé. Ce n'est pas le fait de désirer la présence de l'autre, de ressentir le besoin d'être aimé par lui, de lui donner une place prépondérante dans nos projets qui, en soi, constitue de la dépendance. Comme dans toute dépendance, c'est l'aspect destructeur, parfois assez subtil, qui établit la différence entre une relation saine et la dépendance affective. En arriver à se nier, à ne plus tenir compte de ses propres valeurs ou aspirations, à s'isoler dans la relation, à souffrir en silence parce qu'on n'ose avouer à d'autres ni même s'avouer ce qui risquerait de remettre en question la relation, voilà des signes de dépendance à la relation. Par analogie, aimer le vin n'est pas une dépendance. En consommer au point d'en subir de graves conséquences et, malgré cela, ne pas pouvoir s'en passer est une dépendance.

Risquer d'aimer

Aimer comporte des risques. Se permettre de désirer l'autre, c'est aussi s'exposer à souffrir de son refus. Concevoir de l'attachement, c'est être assuré d'être bouleversé par une rupture. Faire un projet de vie avec l'autre implique de devoir modifier certains de ses projets individuels. Mais aimer, c'est aussi se donner la chance d'enrichir sa vie de ce qui sera créé avec l'autre, ce troisième territoire qui emprunte une partie du territoire de chacun sans s'y substituer.

Nous vivons à l'ère de la valorisation de l'autonomie. Nous avons de plus en plus de prise sur notre environnement. Nous sommes libres comme jamais d'établir et de quitter nos relations. Tant mieux! Profitons-en pour aller vers le bonheur et non seulement pour éviter le malheur.

Une relation qui nous ressemble

En qui peut-on avoir confiance pour risquer d'aimer? En soi. C'est en soi qu'on trouvera les signaux permettant de juger si tel partenaire, telle relation, peut être bénéfique. C'est en soi qu'on trouvera la force de s'affirmer pour orienter la relation, demander un changement, définir un problème et en rechercher la solution. L'illusion la plus fréquente consiste à penser que le fait de trouver le bon partenaire permettra de faire l'économie de toute forme de négociation. Or, une relation est en constante évolution. Si on veut qu'elle nous ressemble suffisamment, il faut la nourrir de notre propre évolution. Tout attendre de l'autre serait une autre forme de dépendance.

Ni l'autre ni la relation n'ont à eux seuls le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux. Cela est à la fois rassurant et exigeant. Rassurant, car personne ne peut devenir propriétaire de notre vie. Exigeant, parce que nous demeurons responsables de notre bonheur, que nous soyons amoureux ou non. Toute relation a son histoire propre que chacun des partenaires a le pouvoir et le devoir d'influencer. C'est en aménageant à sa manière cet espace de liberté et de responsabilité que l'on peut se permettre d'aimer sans craindre la dépendance.

Rose-Marie Charest est présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. Vous pouvez lui faire part de vos commentaires ou suggérer des thèmes de chroniques à vivre@lapresse.ca