Popularisé en Jamaïque sur fond de dancehall, le «daggering», une forme de danse hyper sexuelle, n'est plus réservé aux hanches caraïbéennes. Les Occidentaux pâlots s'y mettent aussi.

«C'est sûr que le «daggering» n'est pas pour les enfants», confie Tiffany à l'entrée du club De Islandz Spot, au fin fond du quartier East Flatbush de Brooklyn, à New York. Mais c'est un art, un style de danse unique», poursuit-elle.

Vêtue d'un mini top bleu et de leggings blancs savamment lacérés pour dévoiler autant de peau qu'ils n'en cachent, Tiffany explique que le daggering consiste grosso modo à «baiser à sec» (dry humping) sur une piste de danse. La description est crue, mais proche de la réalité.

Popularisé en Jamaïque et pratiqué essentiellement sur les rythmes du dancehall, le daggering consiste effectivement à reproduire sur les planchers de danse le genre de mouvements et de positions qui sont généralement réservés aux chambres à coucher. Et le kamasutra peut y passer au complet.

À De Islandz Spot, des jeunes filles peuvent chevaucher leurs partenaires avec un entrain spectaculaire, des couples peuvent grimper sur les haut-parleurs pour mimer un coït en hauteur et il arrive que des gars s'y hissent avant de s'élancer entre les jambes écartées de filles restées au sol.

«À ce niveau-là, cela relève de l'acrobatie, c'est presque théâtral, dit en riant Tiffany. Cela m'arrive de le faire, mais il faut généralement que je connaisse le partenaire», précise-t-elle.

Si ses détracteurs considèrent le daggering vulgaire et macho, cela ne l'empêche pas de faire de plus en plus d'adeptes de New York à Tokyo, en passant par Montréal. Et pas seulement au sein de la diaspora caraïbéenne. De plus en plus d'Occidentaux pâlots s'y mettent.

«Je vois des Blancs et des Asiatiques venir dans nos soirées», confie Joel T. Jamkam, DJ et promoteur des soirées City Vibez au club Temptations, toujours à Brooklyn. Son complice Skerrit Bwoy, précurseur et grande vedette de la scène daggering, confirme la tendance.

«Assurément, on en voit de plus en plus. L'été dernier, on a organisé un party sur un bateau et il y avait des Blancs et des Asiatiques. C'était fou», se félicite-t-il. Facilement reconnaissable à son mohawk jaune, le natif d'Antigua est sans doute la principale raison pour laquelle certains Blancs se mettent au daggering.

En s'associant, en 2009, au groupe Major Lazer - dont l'audience est principalement composée de jeunes blancs -, il a introduit ce type de danse à un tout nouveau public.

Résultat, à New York, ce ne sont plus seulement les clubs du Bronx et du fin fond de Brooklyn qui voient des danses à faire rougir Patrick Swayze dans Dirty Dancing. Même des clubs réputés de Manhattan succombent à la tendance. «Avec Skerrit Bwoy et, surtout, les nombreuses vidéos qui circulent sur l'internet, on voit petit à petit un effet d'entraînement», note le DJ Max Glazer, organisateur d'une populaire soirée dancehall au club Santos Party House dans le sud de Manhattan.

Si le mot daggering (de «dagger», qui veut dire poignard) est apparu en 2008 - avec des chansons comme Bend Over de RDX ou Daggering de Mr Vegas -, la pratique, elle, est plus ancienne. «Il y a une longue tradition de danses corsées en Jamaïque», souligne Donna Hope Marquis, professeur au Département d'études sur le reggae à l'University of the West Indies.

«Le daggering se rapproche d'autres styles comme le dutty wine ou le cabin stabbin, mais va plus loin. C'est plus osé, plus risqué», poursuit-elle.

«L'idée, c'est d'aller plus loin que les autres, c'est la seule manière de se faire remarquer. Il faut faire des trucs plus durs, plus vites et plus dangereux», précise Skerrit Bwoy qui assure avoir inventé le genre dans le Bronx au milieu des années 2000, avant qu'il ne soit repris et popularisé en Jamaïque.

Le style est tellement osé que les chansons faisant la promotion du daggering ont été bannies des ondes en Jamaïque, au début de 2009. Il est également perçu comme macho par plusieurs. Une étiquette que refusent aussi bien les filles que les gars qui le dansent.

Ghislain Poirier, DJ et musicien montréalais qui a été nommé aux prix Juno dans la catégorie reggae, rejette l'idée que le daggering soit macho. «Les filles sont en contrôle, dit-il. Ce sont elles qui décident quand elles veulent arrêter.»

«Les femmes qui s'impliquent dans le dancehall et ce type de danse le font d'une manière presque combative, précise, de son côté, la professeure Donna Hope Marquis. C'est comme une sorte de duel pour elles, une manière de montrer qu'elles ne sont pas soumises et qu'elles sont capables de répondre au défi qui leur est lancé.»

Plus prosaïque, Skerrit Bwoy tient surtout à rappeler qu'il ne s'agit que d'une forme de divertissement. «C'est juste une forme de danse. Il faut séparer le divertissement de la réalité», conclut-il.