Le jour du Souvenir, commémoré demain, ne sert pas qu'à célébrer les victoires militaires du pays. Deux documentaristes québécoises proposent de revoir les conflits armés à travers les yeux d'enfants otages, au Canada comme en Ouganda, d'une guerre qu'ils n'ont pas choisie.

En pleine nuit, dans le nord de l'Ouganda, un groupe de rebelles armés prend d'assaut un pensionnat de jeunes filles d'à peine 8 à 12 ans. Ils en choisissent 30 qu'ils transformeront en épouses-enfants... et en machines à tuer.

Grace Akallo a été l'une d'elles. Une des fillettes soldates de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), dirigée par le chef rebelle Joseph Kony, qui mène une guerre sans merci contre le gouvernement et l'armée ougandaise depuis plus de 20 ans. À lui seul, Kony a enrôlé de force plus de 30 000 enfants. De ce nombre, près de 10 000 sont des filles.

Aujourd'hui, Grace Akallo est libre. Libre de choisir la vie qu'elle veut et de faire les études qu'elle désire dans son pays d'adoption, les États-Unis. Libre de témoigner de ce qu'elle a vécu pendant les sept mois qu'elle a passé parmi les forces rebelles.

Elle témoigne devant des étudiants d'université, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, mais, surtout, devant la caméra de Raymonde Provencher. Dans son plus récent film, Grace, Milly, Lucy... des fillettes soldates, qui sera présenté dès vendredi aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal, la documentariste québécoise reconstruit le pénible parcours de Grace, mais aussi ceux de Milly et Lucy, deux autres fillettes soldates tenues en otages par le LRA pendant plus de 10 ans.

«Elles avaient à peine 7 ans quand elles ont été enlevées. Des petites filles qui suçaient encore leur pouce», note la réalisatrice qui a consacré plusieurs films à la violence dirigée contre les femmes en temps de guerre, dont War Babies... nés de la haine et Le déshonneur des Casques bleus.

Victimes et bourreaux

Dans ce nouvel opus coproduit avec l'Office national du film, Mme Provencher explore les violences qu'ont subies les fillettes soldates aux mains des commandants de guerre qui les mariaient de force et les violaient à répétition, mais aussi la violence que ces petites Ougandaises ont perpétré quand les mêmes rebelles les envoyaient piller et incendier des villages aux côtés de garçons soldats.

«C'est terrible, ce que les garçons soldats vivent en Ouganda, mais quand ils dorment la nuit, les petites filles, elles, ne dorment pas», laisse tomber la réalisatrice. «La plupart des fillettes soldates sont revenues de la brousse avec des enfants. Et elles en ont la charge. C'est incroyablement lourd comme situation», dit celle qui a fait des séjours répétés dans les régions les plus touchées par l'interminable conflit, près de la frontière du Soudan.

Le calvaire de Grace, Milly et Lucy ne s'est pas terminé le jour où elles ont échappé aux griffes fortement armées des rebelles. Les trois femmes se battent aujourd'hui contre la haine que beaucoup de villageois portent aux anciennes filles soldates, dont ils ont été les victimes, quand elles rentrent enfin chez elles.

Si Grace le fait sur la scène internationale, en s'adressant en anglais aux grands de ce monde, Milly et Lucy, elles, le font avec les moyens du bord dans les camps de déplacés où leurs anciennes compagnes d'infortune échouent. Elles ont l'urgent besoin d'être soutenues par la communauté internationale, croit Raymonde Provencher.

«C'est tout un défi de réintégrer 30 000 anciens enfants soldats! Nous en avons un seul au Canada et vous voyez le cirque que ça fait», ironise la réalisatrice, en faisant allusion à Omar Khadr, jeune Canadien qui a récemment plaidé coupable devant un tribunal militaire de Guantánamo pour des crimes qu'il aurait commis alors qu'il n'avait que 15 ans.

Grace, Milly, Lucy... des fillettes soldates sera projeté vendredi et dimanche à la Cinémathèque québécoise dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

Info: www.ridm.qc.ca