Certains en ont 2, ou 5, ou 10... Elles se promènent dans de grandes cages, sur des terrains clôturés, sur les toits. Leurs bruits et leurs odeurs passent pratiquement inaperçus. Ce sont les poules urbaines, de belles pondeuses de toutes les couleurs et de races variées, qui produisent des oeufs du coeur du Plateau jusqu'aux jardins des banlieues. En Amérique du Nord, on en trouve maintenant partout. Pas étonnant que les ménages montréalais commencent à s'adonner eux aussi à ce micro-élevage. Mais encore en secret.

On est en plein coeur du Plateau, sur le toit d'un immeuble. Quelques étages plus bas, la vie urbaine suit son cours: cafés, restos, stations Bixi, trottoirs et bouches de métro. Perchées au quatrième étage vivent deux poules.

 

Pauline et Paulette, des poules urbaines comme il y en a de plus en plus un peu partout en Amérique du Nord, sont là depuis quelques semaines, dans un joli poulailler de bois qu'Éric a construit sur le toit. Chef-restaurateur, il habite avec son fils au dernier étage de cet immeuble, dont il est propriétaire. Et ses poules pondent pratiquement chaque jour.

Les autorités municipales sont-elles au courant de la présence des gallinacées sur ce toit du Plateau? Non. Est-ce légal? Non. C'est pourquoi Éric préfère qu'on ne dise pas exactement où il habite. Mais il ne s'inquiète pas plus que ça du caractère clandestin de son projet. «Pas de permis? Je m'en fous totalement», dit-il. Selon lui, l'interdiction d'avoir des poules en ville n'a aucune raison d'être si l'élevage est fait de façon intelligente, sans excès. Sur son toit, d'ailleurs, il y a aussi deux lapins, dans une grande cage. Et ces animaux, eux, sont largement acceptés dans un contexte urbain.

L'éleveur citadin veut-il lancer un mouvement pro-poule ou du moins pro-légalisation de la poule en ville? «Non, répond-il, mais si quelqu'un d'autre le lance, je paierai ma cotisation.» Le mouvement pour la légalisation des poules urbaines au Québec a d'ailleurs lancé récemment sa page sur Facebook (POUR la légalité des POULES en ville). Tous ceux qui le veulent peuvent devenir membres, gratuitement, de cette nouvelle initiative de résistance citoyenne agroalimentaire.

Plus nombreux qu'on pense

À plusieurs kilomètres de là, dans les zones suburbaines, d'autres éleveurs s'occupent de leurs protégées, comme Pierre et sa conjointe, Radmila. Dix poules caquettent allègrement dans leur grand jardin. Michel et Michèle (nom fictifs), pour leur part, en ont cinq, aussi dans un grand jardin de banlieue.

Le magnifique poulailler de bois et l'enclos adjacent construits par Michel pourraient accueillir beaucoup plus d'oiseaux, mais il préfère leur laisser de la place.

De la rue, on ne voit rien. Mais les voisins, eux, peuvent regarder les poules se promener toute la journée. Ça ne les dérange pas du tout. En fait, ils en profitent, car une récolte de cinq oeufs par jour, c'est trop pour un jeune couple.

Michel, contrairement à Éric, est très préoccupé par le caractère clandestin de l'opération. Dans la ville de banlieue où il habite, l'élevage des poules n'est pas plus permis que dans le Plateau.

Il n'aimerait pas perdre tout ce qu'il a bâti par ordre municipal.

Puisqu'il a construit son poulailler après avoir eu l'accord de ses voisins, il n'a pas l'impression de déranger quiconque, mais il demeure craintif et tenait mordicus à ce qu'on protège son anonymat. Sans cet accord, on n'aurait jamais pu le rencontrer. «Je veux en parler publiquement parce que je trouve important de montrer aux autres que c'est possible et de promouvoir l'autonomie alimentaire, dit-il. Mais je veux faire attention pour ne pas mettre le projet en danger.»

Résistance citoyenne

Ces gens, cela dit, n'ont pas l'impression d'être hors la loi. Juste à côté de la loi. Dans la tête de ces micro-éleveurs clandestins - ils sont nombreux aussi dans d'autres villes nord-américaines où les poules sont encore prohibées -, c'est l'interdiction qui n'est pas logique. Selon eux, rien ne justifie qu'on les empêche d'avoir ces petites bêtes qui produisent de la nourriture, recyclent les déchets de cuisine et fournissent du fumier pour le potager (tous ces électeurs cultivent aussi leurs légumes) alors qu'on permet très bien toutes sortes d'autres animaux en cage, comme les lapins ou les tortues. Lorsqu'on leur demande si les poules ne sont pas plus bruyantes, ils répondent que ce sont surtout les coqs qui produisent les décibels. Odeur? Pas pire que les chats ou tous ces rongeurs que l'on garde en cage dans la maison...

Grand-maman voulait une poule

Si Michel voulait des poules pour poursuivre sa démarche fermière (il avait déjà tout un potager, avec des serres et des installations expérimentales), Pierre, lui, a décidé d'acheter quelques poules pour faire plaisir à sa belle-mère. Venue de Bosnie, la mère de sa conjointe vit en effet avec la famille et a un jour demandé à avoir des poules à la maison, comme dans sa jeunesse, en Europe centrale.

Rapidement, Pierre a lui-même eu la piqûre. Aujourd'hui, il recherche les poules de race et vient d'acheter une quinzaine de poussins, qu'il ne pourra pas tous garder. Pendant quelque temps, il a même eu un coq (un poussin mâle arrivé par erreur chez lui avec des poulettes)!

Comme chez Michel, les voisins de Pierre sont au courant et ont donné leur accord. Chez Éric, sur le toit, il n'y a pas vraiment de voisins. Quand il n'y a pas de journaliste qui dérange le train-train quotidien et qu'Éric relaxe sur sa terrasse, il laisse les poules se promener. Un grillage métallique les empêche de se lancer dans le vide et d'aller picorer dans les plates-bandes potagères installées dans des bacs de bois.

Que fera-t-il cet hiver? «Moi, je suis chef au départ, alors je pensais peut-être au chaudron, mais mon fils ne me laissera jamais», dit Éric en riant. Il ira donc peut-être les porter dans une ferme pour les faire héberger durant la saison froide avant de les récupérer l'an prochain.