Philippe est sorti du placard à 12 ans. C'était il y a deux ans. Dès qu'il a su qu'il était attiré par les garçons, il a ressenti un pressant besoin d'en parler. «Je n'ai pas attendu que ça devienne un poids sur mes épaules. Je ne voulais pas vivre dans le secret, confie-t-il. Même si ça s'est passé rapidement, ça a été un soulagement. Je l'ai dit à mes amis, puis à tout le monde. La réaction a été positive.» À peine deux ou trois moqueries, souligne-t-il.

De plus en plus, de très jeunes adolescents, comme Philippe, osent sortir du placard. Un placard dans lequel ils ne restent que quelques semaines ou quelques mois. «Il y a à peine 10 ans, on ne voyait pas ça. Le processus du coming out est aujourd'hui plus rapide, surtout lorsque les jeunes grandissent dans une famille ouverte. Le terrain est propice et le jeune n'a pas peur, remarque le président de Gai Écoute, Laurent McCutcheon. Avant, le coming out était toujours une lourde épreuve, qui pouvait durer de nombreuses années.»

 

Samuel* a 15 ans. À 11 ans, il a annoncé à sa meilleure amie qu'il était gai. «J'ai réalisé que je préférais les garçons, mais je me posais encore des questions. Je suis sorti avec une fille, mais je n'étais pas amoureux d'elle. J'essayais à tort de me convaincre que j'étais bisexuel. À 13 ans, je me suis accepté comme gai. Je n'ai pas fait une grande déclaration, ce n'était pas la joie, je me sentais très seul. Mes amis l'ont bien accepté, mais la rumeur s'est rapidement répandue dans l'école. J'ai d'abord nié. J'entendais les gars se traiter entre eux de «criss de tapette» et ça m'affectait. Ce n'est pas cool de faire de l'homosexualité une insulte.»

À 14 ans, Mégane* est tombée amoureuse de sa meilleure amie, après avoir «changé d'orientation sexuelle deux fois par jour pendant des mois», raconte-t-elle. «Je suis entrée en période de déni. J'ai commencé à me mutiler. J'avais peur qu'on m'insulte, qu'on me regarde de travers dans les couloirs. Après avoir échangé sur des forums de discussion avec d'autres homosexuels, j'ai fini par m'accepter et m'afficher. Je suis devenue la «lesbo» de l'école. Je le disais à n'importe qui, juste parce que ça faisait du bien. Je ne me suis jamais fait harceler. D'autres jeunes sont venus me voir pour me parler de leur homosexualité, je les ai aidés dans leur coming out. J'ai rencontré une fille et j'ai été en couple pendant plus d'un an avec elle. On ne se cachait pas.»

«Dans une société où tout est noir ou blanc, on doit savoir rapidement qui l'on est et s'affirmer. Face à cette pression, les jeunes se sentent obligés de faire leur coming out tôt, note Gilbert Émond, professeur adjoint de sciences humaines appliquées à l'Université Concordia. Si les désirs viennent plus tard ou les attirances ne sont pas nettes, le coming out peut être traumatisant. Si nos désirs sont clairs, c'est souvent positif, libérateur.» À condition d'être accepté, bien entendu.

L'enfer de Maxime

Jusqu'à l'an dernier, Maxime* a vécu chaque journée scolaire comme un horrible cauchemar. À 12 ans, il a confié à son meilleur ami qu'il était gai. Ce dernier a mal réagi et l'a dit à toute la classe. «La plupart des élèves ont commencé à se moquer de moi et à m'insulter dans les couloirs, confie-t-il. Certains me battaient après les cours. Les plus vieux me tapaient sur les fesses en me demandant mes tarifs. J'ai vécu l'enfer pendant quatre ans.»

Maxime a aujourd'hui 17 ans. Il habite toujours Montréal, mais il a changé d'école et l'enfer semble maintenant chose du passé. «La douleur est encore vive», précise néanmoins le garçon aux joues rosées. Il est incapable de parler à voix haute de son drame. Avec La Presse, il a préféré clavarder. «Longtemps, j'ai eu des pensées suicidaires, je me mutilais avec un compas. Je me sentais seul au monde.»

Les histoires d'horreur comme celle de Maxime sont de plus en plus rares. Mais l'homophobie est encore présente dans les écoles secondaires, autant à Montréal qu'à Sept-Îles. Plus on révèle tôt son homosexualité, plus on risque de faire face à des réactions homophobes à l'école, ont observé des chercheurs de l'UQAM. «Les jeunes ados sont plus vulnérables, plus démunis. C'est aussi à cet âge que l'homophobie est plus marquée, particulièrement en deuxième secondaire. Après, ça tend à diminuer», indique Line Chamberland, professeure au département de sexologie de l'UQAM.

Plus des deux tiers (69%) des élèves lesbiennes, gais, bisexuels ou transgenres disent avoir vécu au moins un incident homophobe, selon un rapport à paraître réalisé pour le ministère de l'Éducation. Au printemps dernier, Line Chamberland et son équipe ont questionné plus de 2700 élèves d'une trentaine d'écoles secondaires du Québec. Les résultats, qui seront publiés intégralement l'automne prochain, choquent.

Au total, 74% des élèves interviewés ont vu ou entendu parler d'un épisode homophobe survenu dans leur école et 34% ont déjà vu un élève se faire insulter directement. Même les jeunes hétérosexuels dont l'apparence n'est pas conforme au genre sont visés. Le tiers de ceux-ci ont déjà été victimes d'homophobie.

Les agresseurs seraient un peu plus nombreux chez les garçons: 42,6% d'entre eux ont déjà fait un geste homophobe, et 27,6% des filles. «Chez les garçons, on voit plus d'insultes et de bousculades. Chez les filles, on remarque plus de cyberintimidation, de rumeurs, d'avances et de touchers sexuels non désirés», précise Line Chamberland. Comme si s'annoncer lesbienne équivalait à se montrer «facile, disponible». «Il y a confusion de message.»

Le dire ou pas?

Olivier, 14 ans, est prudent. En plein processus d'affirmation de son identité sexuelle, il tâte le terrain doucement. «Je l'ai dit à quelques amis, c'est un début. Je ne connais pas de gais à mon école. Je sais que la société est ouverte, mais quand on est jeune, on ne nous prend pas au sérieux. Les gens pensent qu'on ne peut pas être fixé à notre âge.»

«Faire un coming out, s'il n'est pas forcé, est libérateur à tout âge, affirme Laurent McCutcheon, de Gai Écoute. On peut révéler qui l'on est. Cependant, il faut être capable d'en mesurer les conséquences. Si on craint de se faire jeter à la rue ou d'essuyer des insultes à l'école, peut-être qu'il vaut mieux attendre. Sinon, on se lance dans une difficile adversité.»

Malgré les relents d'homophobie dans les écoles, la tendance est à l'ouverture. «C'est maintenant «in» dans les écoles d'avoir un ami homosexuel. On montre du doigt les homophobes, indique Marc-André Girard, cofondateur du forum de discussion Ados Gay Québec. Est-ce une mode ou s'est-il vraiment produit un changement de mentalité?»

«Les jeunes, plus nombreux à faire leur coming out, brisent la glace et contribuent à mettre fin aux préjugés, mais tout n'est pas gagné, indique Gilbert Émond. On a encore beaucoup de travail à faire pour la démystification de l'homosexualité à l'école.»

* Pour préserver l'anonymat, certains prénoms sont fictifs.