La France s'apprête à criminaliser la violence psychologique au sein du couple. Qu'en disent les juristes et psychologues d'ici?

Échapper une grosse insulte de façon occasionnelle, c'est une chose. Injurier son conjoint ou sa conjointe à répétition, sciemment, dans le but précis de le détruire psychologiquement en est une autre. En fait, c'est en voie de devenir un crime en France. Une idée à importer ou pas?

Le premier ministre François Filion a fait de la violence conjugale sa «grande cause nationale 2010». Un vote au parlement sur le sujet est attendu avant l'été. Si le processus suit son cours, la personne reconnue coupable de violence psychologique au sein de son couple sera passible de trois ans de prison et de 75 000 d'amende (environ 112 000$).

 

Pour plusieurs, la notion de violence psychologique est trop difficile à définir. Luc Frémiot, procureur de la République au Tribunal de grande instance de Douai, est d'un tout autre avis.

«Il suffit de se fonder sur des notions juridiques déjà existantes comme les injures graves et répétées, les brimades, les comportements vexatoires répétés destinés à atteindre psychologiquement la victime. Il en est de même s'agissant des violences matérielles qui ont pour objet de l'impressionner. Il existe toute une jurisprudence concernant les injures, les menaces, les dégradations matérielles, etc. Tout cela, il est possible de le prouver.»

Qu'en pensent les avocats d'ici? Sonia Rouleau, procureure de la Couronne, commence par relever qu'au Canada, le Code criminel ne compte aucun article visant précisément la profération de paroles humiliantes. De façon générale, pour qu'un conjoint soit épinglé, il faut que la plaignante craigne pour sa sécurité physique.

Sans le souhaiter nécessairement, Me Rouleau n'exclut pas pour autant que la violence psychologique au sein des couples soit un jour criminalisée. Après tout, note-t-elle, le législateur canadien a déjà fait un pas dans ce sens en criminalisant le harcèlement - le fait de traquer, de suivre ou de communiquer avec quelqu'un à répétition, de façon telle que la personne se sente harcelée.

D'autre part, poursuit-elle, l'évolution de la société fait en sorte que plusieurs délits qui étaient jadis criminels ne le sont plus, et vice-versa. Ainsi, «le fait de tenter de communiquer avec des mineurs par internet est devenu un crime spécifique, le leurre. Au contraire, l'avortement n'est plus un crime, pas plus que le suicide. Pendant longtemps, la personne qui faisait une tentative de suicide sans y rester essuyait ensuite des accusations.»

Pour sa part, la colorée avocate Raymonde Lasalle, spécialisée en droit de la famille, ne cache pas son manque d'enthousiasme. «Plus il y a de recours criminels possibles, plus ça fait de la merde pour les enfants.»

Médiation

Le criminaliste Jean-Claude Hébert évoque quant à lui la nécessité tout de même de préserver... une certaine liberté d'expression.

«Il me semble que dans de tels dossiers, l'heure est plus à la médiation qu'à la judiciarisation.»

Plus encore, il n'est pas du tout favorable à l'idée d'ajouter une autre zone grise au Code criminel.

Il est déjà bien assez difficile, dit-il, d'y voir clair avec la notion de menaces de mort. «Après un verre, il arrive que l'un balance à l'autre: «Je vais t'arracher la tête.» La personne qui prend la remarque au premier degré aura peur pour sa sécurité; mais celle qui a prononcé ces mots avait-elle vraiment l'intention de mettre sa menace à exécution?»

La querelle «normale» et celle qui ne l'est pas

Rose-Marie Charest, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, est plus ouverte à l'idée de la judiciarisation, bien qu'elle fasse d'abord observer que dans un couple, il y a toujours une certaine part d'agressivité verbale. Normal. «La chicane, ce n'est pas en soi de la violence, sauf quand elle est assortie de dénigrement et de menace. C'est beaucoup dans la répétition que l'on détruit l'autre.»

Très bien, mais cette notion de violence psychologique conjugale se transpose-t-elle bien devant les tribunaux? Rose-Marie Charest note qu'on l'a bien fait avec le harcèlement psychologique au travail (par l'entremise de tribunaux administratifs et non à la Cour criminelle, cependant). Or, dit-elle, «la violence psychologique dans l'intimité fait beaucoup plus de dommages que lorsqu'elle est subie au bureau».

Cela dit, en France, la Fédération nationale solidarité femmes n'est pas certaine que la criminalisation de la violence psychologique au sein des couples soit la solution. Sa secrétaire générale, Françoise Brié, craint que le délit ne se retourne contre les femmes et que les hommes tentent de justifier leur violence physique en avançant qu'ils étaient eux-mêmes victimes de violence psychologique.

Dans La violence familiale au Canada: un profil statistique (2007), Statistique Canada a établi que les femmes et les hommes étaient tout aussi susceptibles de déclarer avoir subi de la violence psychologique que de l'exploitation financière (18% par rapport à 17%).

Cependant, comparativement aux femmes, une plus grande proportion de femmes ont été rabaissées ou se sont fait dire des mots blessants (13% par rapport à 7%) en 2004. Or, peut-on lire, «des recherches antérieures ont démontré que lorsque l'on examine divers facteurs, le fait de se faire dire des mots blessants ou de se faire rabaisser faisait partie de précurseurs les plus importants de la violence conjugale (physique) (Johnson, 1996)».