Un pied de nez à la société de consommation. C'est cela, et rien de moins, que souhaitent les instigateurs de la journée sans achat, depuis près de vingt ans déjà. Mais après toutes ces années de mobilisation spontanée, que reste-t-il? Le cynique y verra peut-être une journée symbolique, un brin folklorique. Oh que non, rétorque Kalle Lasn, co-fondateur et rédacteur en chef de la revue Adbusters, à l'origine du concept. Cette année, il rêve même d'un mouvement encore plus radical: pourquoi pas une grève générale? Entretien avec un idéaliste anarchique.

C'est aujourd'hui la journée sans achat. Une journée, qui, d'année en année, se fête dans un nombre grandissant de pays. Pas moins de 65 états ont marqué le coup l'an dernier.

 

Chaque année, depuis près de 20 ans, au lendemain du Thanksgiving américain - qui, traditionnellement lance la frénésie du magasinage du temps des Fêtes -, se tient parallèlement une journée anti-achat, donc, instiguée par tous les militants anti-consommation du globe. Y adhèrent, sans surprise, le Réseau québécois pour la simplicité volontaire, différentes associations de consommateurs, et autres groupes plus ou moins radicaux et écolos. Aujourd'hui, par exemple, la Coalition des associations des consommateurs du Québec suggère aux consommateurs de mettre un élastique autour de leur portefeuille, histoire de mettre un terme à toute tentation de consommation. De son côté, la Coop de la Maison verte, pour une 9e année consécutive, ne vendra rien dimanche (plus facile de célébrer et de réunir ses membres le week-end, dit-on): tous les comptoirs de la boutique seront recouverts, afin d'inciter les clients à réfléchir et remettre en question leurs habitudes de consommation, et les dangers environnementaux de la surconsommation.

Mais hormis quelques évènements sporadiques - on pense aux amuseurs publics qu'on attend à 15 heures au carré Philips, qui promettent de «vacciner» les «malades de la surconsommation» - à quoi sert bien encore cette journée? Nous avons posé la question Kalle Lasn, rédacteur en chef de la revue Adbusters, à Vancouver.

Q - Qu'est-ce qu'une journée sans achat peut bien changer dans une année?

R- «C'est trop simpliste de poser la question comme ça. Nous estimons qu'à l'échelle de la planète, un petit trois millions de personnes n'achèteront peut-être rien. Quelques milliers d'autres feront des gestes symboliques (découperont des cartes de crédit, etc.). Mais le plus important, ce sont les dizaines de millions d'autres qui vont entendre parler de cette journée, vont discuter de ce côté noir de notre société de consommation, questionner leurs habitudes de consommation. (...) Non, nous ne changeons pas grand chose en termes de dollars dépensés, mais nous avons un très gros impact culturel.»

Q- Vous n'avez pas l'impression de prêcher auprès de convertis?

R- «Non! Avec le Sommet de Copenhague sur le climat début décembre, des milliers de personnes vont réfléchir à toutes ces questions importantes. Nous sommes du bon côté de l'histoire. Nous disons aux gens des choses importantes qu'ils devraient écouter, parce que sinon, nous allons tous très très mal aller. L'économie, l'environnement, tout va tellement dégénérer qu'on n'aura plus le choix d'agir!»

Q- N'empêche que vous avez admis, publiquement sur votre site, que la journée sans achat perdait un peu de son mordant (edge) ...

R- «Quand on a commencé, il y a près de vingt ans, c'était une campagne fun. On avait du plaisir à débattre de tout cela. Or aujourd'hui, l'heure est plus grave: la situation économique et environnementale est si inquiétante qu'il est temps qu'on ait un peu moins de fun.»

Q- D'où votre appel à une grève générale.

R- «Oui. Nous lançons un appel à la grève générale aujourd'hui. Nous invitons les gens à ne pas consommer bien sûr, mais aussi à ne pas aller travailler, ne pas aller sur Internet, tout ce que vous voulez, pour arrêter carrément la roue capitaliste. Je rêve d'un gros grand STOP.»

Q- Et vous, qu'allez-vous faire?

R- «D'habitude, je passe cette journée au téléphone, à enchaîner les entrevues. Je vais peut-être aller lancer une bombe puante quelque part, ça va être mon geste de la journée. Mais vous savez, une grève, c'est pas un truc qu'on publicise...»

Q- Et pensez-vous vraiment que certains consommateurs vont passer de la réflexion anti-consommation, à l'acte?

R- «La journée sans achat a toujours été une journée très personnelle, un pacte avec soi-même. Si, à mi-chemin dans votre journée, vous n'en pouvez plus, il vous faut acheter un café, vous prenez conscience que vos pulsions de consommation règnent sur vos vies, peut-être que oui, vous allez changer quelque chose. Il ne faut pas être cynique. Les gens veulent reprendre le contrôle de leurs vies: peut-être certains vont-ils décider de se réunir en famille, organiser à un Noël différent, sans achat.»

Q- Vous êtes un idéaliste...

R- «Mais bien sûr! Sinon, je ne ferais pas tout ce que je fais depuis presque 20 ans! Mais je suis aussi un anarchiste: nous pouvons changer le monde, et nous allons le changer!»