Le bal des finissants, c'est la robe. C'est les cheveux. C'est la limousine. C'est la recherche du compagnon parfait qui ne parlera pas à table la bouche pleine devant les copines. C'est tout? Pas pour tout le monde...

Chloée Beaudry-Prud'homme habite à Laval, fréquente le Collège Laval et joue de la guitare. Elle n'a pas d'affreuse belle-mère, pas de carrosse qui menace de se transformer en citrouille. Malgré cela, l'histoire de Chloée est autrement plus cendrillonesque. Parce que Chloée, cette année, ce n'est pas une pantoufle de verre qu'elle a perdue. Ce sont ses jambes.«Ç'a été une super belle année. Il y a juste ça qui a cloché.»

«Juste» ça. «Juste» cette paraplégie. Un détail, à entendre Chloée, qui se présente sous un jour très hop la vie. «Je suis très sportive et quand c'est arrivé, je me suis dit que je pourrais toujours me mettre au kayak.»

Pour Chloée, cette année était l'année de son voyage humanitaire au Costa Rica. Pendant des mois, elle en a rêvé, s'y est préparée. Avec ses camarades de classe, elle partait construire là-bas une cuisine communautaire.

Avant de partir, elle est allée se faire vacciner en mars. Les vaccins habituels. «Le problème, c'est que ce jour-là, j'étais fiévreuse, malade. Je me suis fait vacciner quand même. Pas le choix: la date du départ approchait.»

Les vaccins sont-ils en cause? La codéine prise pour son rhume? Voilà Chloée prise de palpitations, d'hallucinations et, quand tout cela s'est dissipé, il y a eu ces engourdissements dans ses jambes...

Le Costa Rica malgré tout

À deux jours du départ pour le Costa Rica, c'est l'incertitude. Pars, pars pas? Les examens médicaux réalisés jusque-là ne permettent pas d'établir un diagnostic. Impossible, donc, de démarrer un traitement. Alors bon, Chloée, vas-y au Costa Rica, puisque tu y tiens tant.

«J'ai monté un volcan en boitant, puis au fil des jours, ça a empiré. On dit qu'on vit dans une société individualiste où chacun ne pense qu'à soi, mais moi, j'ai eu des amis, Samuel, par exemple, qui, pendant une bonne partie du voyage, m'ont transportée sur leur dos sur des chemins boueux et des pentes à pic.»

Là-bas, alors que tout le monde s'inquiète de la voir de plus en plus atteinte au fil des 12 jours du voyage, de voir ses jambes se dérober à elle, Chloée reste zen. En fait, plus que zen. Radieuse. «J'étais au Costa Rica, je faisais un projet humanitaire, il faisait beau, les paysages étaient magnifiques!»

Chloée rentrera donc à Montréal souriante, ravie de son voyage... mais en fauteuil roulant. «Chez moi, je montais l'escalier sur les fesses, en m'aidant de mes mains, et je me déplaçais au deuxième étage de la maison avec le fauteuil d'ordinateur sur roulettes. Plus de place pour la pudeur: j'avais besoin de ma mère pour prendre mon bain.»

Les médecins médusés

Terminée, l'école, pour Chloée. Elle rentre à l'hôpital pour des tests plus poussés. Les médecins sont médusés. «Et les médecins, quand ils ne trouvent pas, ils disent: Ça doit être psychologique. Quand j'ai vu arriver le psychiatre, j'étais furieuse. Alors Chloée, ça va bien, à l'école? Et la maison, pas d'ennui particulier? J'adore bouger, je m'entraîne régulièrement et on pensait que pour le plaisir, je jouais la comédie! Laissez-moi vous dire que ce n'est pas pour attirer l'attention qu'on se tape une ponction lombaire...»

Conclusion du psychiatre: Messieurs et mesdames les médecins, cherchez encore. Chloée ne fabule pas.

Chloée assure que pendant tout ce temps-là, elle demeurait positive.

«Mais moi, je la connais, ma fille. Elle est orgueilleuse et ne voulait pas montrer qu'elle s'inquiétait, mais il y avait des jours où ça n'allait pas, où ça n'allait pas du tout, dit sa mère, Marie-Pierre Beaudry. Et quand elle est devenue insensible jusque dans le bas du dos, c'était à se demander si tout son corps n'allait pas paralyser.»

Chloée bondit. «Voyons donc, maman, ça n'a jamais été évoqué!»

À la Cité de la Santé où elle était seule dans sa chambre, où elle pouvait jouer de la guitare, jouer au Nintendo et recevoir ses amis à loisir jusqu'à 23h30, Chloée apprend qu'elle sera transférée à Sainte-Justine. «Sainte-Justine, c'est loin de chez moi, les amis n'allaient pas pouvoir venir. Je ne voulais rien savoir.»

Une fois là-bas, Chloée ne peut qu'admettre que c'était la chose à faire, «ne serait-ce que pour la physiothérapie. Jusque-là, j'avais eu des séances de groupe, avec beaucoup de personnes âgées. Là, les traitements étaient personnalisés, adaptés à mon état».

Une sportive à l'entraînement

Les séances se sont multipliées, Chloée y a mis toute la gomme. Comme une sportive à l'entraînement. «Du fauteuil roulant, je suis passée à deux béquilles, à une béquille, puis à plus de béquille du tout. Quand j'ai revu mon médecin, il n'en revenait pas!»

Ce n'est qu'à une semaine de son bal qu'elle s'est mise à marcher normalement. Et qui l'accompagnera? Samuel, celui qui l'a portée sur son dos pendant une partie du voyage au Costa Rica.

Les médecins ne savent toujours pas ce qui lui est arrivé. «C'est la seule ombre au tableau, dit Chloée, parce que j'ai peur que ça revienne. Les trois semaines complètes à l'hôpital ont quand même été les trois semaines les plus longues de ma vie.»

Au bal avec les parents

La veille du jour J, quand nous l'avons rencontrée, Chloée n'avait pas fini la robe qu'elle a cousue elle-même de matières recyclées en bonne écolo. Pas grave. Les chaussures? Pas choisies non plus.

«La blague, c'est que c'est moi qui me suis acheté une nouvelle robe!» lance sa mère, qui est invitée au bal à l'instar des autres parents du collège.

«Il y a plein de jeunes qui trouvent cela ridicule que les parents soient invités au bal. Moi, j'ai des frissons quand je pense au moment où je ferai mon entrée, où mes parents me verront, en pleine forme, à côté de mes amis qui n'en reviennent pas de me voir debout!»

Puis, juste au moment où on n'était plus très sûre d'avoir affaire à une ado normale, elle ajoute que tout de même, elle a pris un rendez-vous au salon de coiffure. «Mes cheveux, c'est moi! Mes cheveux, c'est toute ma vie! Au bal, mes cheveux, il faut qu'ils soient parfaits!»