Rossia (Russie), Kosmos (Cosmos) ou Vyborina (dérivé du mot «élection»): emportés par une vague de patriotisme, les Russes donnent des prénoms inédits à leurs bébés, remettant au goût du jour la mode des années 1920 avec ses Elem (Lénine-Marx) ou Mirtrouda (Paix-Travail).

«Il y a sûrement quelque chose dans l'air, même si ce ne sont encore que des cas isolés, mais des prénoms dits "politisés" apparaissent peu à peu sur nos registres», raconte à l'AFP Evguenia Smirnova, la porte-parole du Bureau central d'enregistrement de la ville de Moscou.

En Khakassie (Sibérie) une petite fille née le jour des élections législatives, le 2 décembre 2007 a été baptisée Vyborina.

À Nijni Taguil, en Oural, un bébé fille a reçu le doux prénom de Rossia, et un autre celui de Privatizatsia.

Les Russes commencent peu à peu à «sacraliser le pouvoir», explique la psychologue Olga Makhovskaïa. «L'État est perçu par eux comme un symbole et ils veulent s'associer à lui, voire en faire partie», dit-elle.

«Le choix de prénoms d'actualité montre que les Russes ont une vision positive de la vie (sous le régime actuel, ndlr), même si celle-ci va bientôt changer avec la crise» économique, renchérit l'analyste Alexeï Makarkine du Centre de technologies politiques.

Après l'éclatement de l'URSS, l'effondrement économique et idéologique de la nouvelle Russie et les humiliations subies dans les années 1990, «le pays a commencé à se redresser, ce qui a provoqué une vague de patriotisme», dit-il à l'AFP.

L'an dernier, une véritable euphorie a gagné la Russie après une série de victoires très médiatisées: elle a remporté coup sur coup le championnat du monde de hockey sur glace, le concours de l'Eurovision, atteint la demi-finale du championnat d'Europe de football, et pour finir emporté la couronne de Miss Monde.

Après les années grises de l'URSS, pendant lesquelles 1000 personnes devaient se contenter d'à peine 70 prénoms en moyenne, les Russes apprécient aussi l'originalité.

L'année dernière dans la seule ville de Moscou et sa région sont venus au monde deux petits Sever (Nord), un Veter (Vent), une Louna (Lune) et même une Viagra, dont les parents, Nikolaï et Anastasia, ont avoué vouloir rendre ainsi hommage au médicament miraculeux qui a permis sa conception.

La crise actuelle pousse également les Russes inquiets pour l'avenir vers l'exotisme, estime le psychologue Sergueï Stepanov.

«Ils s'imaginent que si Piotr ou Ivan n'ont pas de chances de réussir dans la vie, peut-être que Kosmos ou Privatizatsia y arriveront», selon lui.

Mais ces appellations insolites sont souvent lourdes à porter pour leurs détenteurs, qui se sentent contraints à l'originalité. «Les scientifiques ont déjà prouvé que les porteurs de prénoms bizarres vivent en moyenne cinq ans de moins que les autres», indique à l'AFP Alexandra Souperanskaïa, auteur du recueil Les prénoms russes.

Les premières «victimes» de cette tendance sont apparues dès les années 1920-30 en URSS.

Le jeune régime soviétique athée avait remplacé la cérémonie religieuse par un «baptême rouge» sous les drapeaux avec faucille et marteau, en présence d'un commissaire bolchevique à la place du pope.

«Les enfants nommés Traktor (Tracteur) ou Oktiabrina (Révolution bolchevique d'Octobre) ont ensuite tout fait pour se faire réenregistrer comme Timofeï et Irina», rappelle-t-elle.

Mais des prénoms comme Ninel (Lénine à l'envers), Stalina, Barricada, Dazdraperma (Vive le 1er Mai), Dimat (Matérialisme dialectique) ou Dognatiï (en référence au slogan des premiers plans quinquennaux «Rejoindre et dépasser les États-Unis») sont toujours portés comme une croix par ces enfants de la révolution.