Des Égyptiennes du Caire se réunissent pour apprendre à lire, à réciter le Coran ou encore préparer des repas pour les pauvres. Rien d'extraordinaire semble-t-il, sauf que ces activités se déroulent dans un lieu considéré traditionnellement comme un bastion masculin en Égypte mais qui tend à s'ouvrir de plus en plus aux femmes: une mosquée.

Amira Khairy est assaillie par des femmes qui lui font la bise à son arrivée à la mosquée Al-Sedeeq, dans la banlieue du Caire, où elle enseigne la récitation du Coran. Les «élèves» installent des chaises et de multiples voix féminines résonnent bientôt dans l'une des plus grandes salles de l'édifice.

Les cours dispensés sur le Coran ou sur l'islam à la mosquée peuvent attirer jusqu'à 1000 femmes. Chaque jour, plusieurs centaines d'Égyptiennes sont présentes dans le bâtiment, organisant des collectes de vêtements, cuisinant des repas pour les pauvres ou apprenant à lire à des femmes. Al-Sedeeq dispose également d'une clinique et même d'une crèche réservée aux enfants de celles qui viennent travailler bénévolement à la mosquée.

L'ensemble de ces activités sont organisées par des femmes. Il y a peu d'hommes visibles: des fidèles venus faire l'une des cinq prières rituelles, voire des ouvriers procédant à des travaux de rénovation.

En Égypte, les mosquées sont traditionnellement considérées comme un bastion masculin. Peu de femmes s'y aventuraient auparavant, et quand elles le faisaient c'était pour prier, habituellement dans des salles séparées, ou dans l'espoir de voir exaucer leurs voeux de mariage, grossesse, ou encore de bonnes notes pour les enfants.

Les Égyptiennes sont traditionnellement encouragées à pratiquer leur foi dans leur foyer, où elles peuvent s'occuper de leurs enfants et de leur mari. «Quand j'était jeune, nous n'allions même pas prier à la mosquée», raconte Mme Khairy.

Désormais la religion gagne du terrain dans la société égyptienne et de plus en plus de femmes veulent pratiquer la prière en public, améliorer leur connaissance de l'islam et faire du bénévolat.

Ces femmes ne sont pas des féministes à l'occidentale cherchant à changer les préceptes de l'islam sur la femme. Mais elles remettent en question des stéréotypes sur le rôle des femmes dans la société et transforment certaines mosquées en lieux de réunion où les femmes peuvent se sentir à l'aise.

S'il n'existe aucune statistique sur l'augmentation du nombre des Égyptiennes priant hors de leur foyer, plusieurs théologiens du Caire estiment qu'elles sont clairement plus nombreuses aujourd'hui à fréquenter la mosquée et qu'elles jouent un plus grand rôle religieux.

Mme Khairy est très représentative de ces nouvelles fidèles. La cinquantaine, elle a étudié l'ingénierie à l'université, mais plutôt que de travailler, elle s'est mariée et est restée au foyer pour s'occuper des enfants. Il y a une dizaine d'années, elle a voulu approfondir sa foi et, elles et d'autres femmes ont commencé à se réunir dans des domiciles privés pour apprendre le Coran.

Plusieurs années après, leur cercle d'étude s'est élargi, et elles ont commencé à se rassembler à la mosquée Al-Sedeeq, construite de fraîche date près de l'aéroport international du Caire. Elles ont trouvé une femme diplômée en études islamiques pour donner bénévolement des cours sur la prière et d'autres rituels ou encore sur la raison pour laquelle les femmes devraient porter le «hijab» (voile islamique).

L'Égypte est l'un des pays du Moyen-Orient les plus progressistes sur la question de la présence des femmes dans les mosquées. Dans le golfe Arabo-persique, il n'y a souvent pas d'espace qui leur sont réservés dans les mosquées, et on peut voir plus de femmes assister aux prières en Egypte que dans beaucoup d'autres pays arabes.

Reste que les Égyptiennes sont souvent invitées, y compris par des intellectuelles musulmanes, à rester chez elles. «Le meilleur endroit où une femme peut prier reste sa maison», estime ainsi Souad Saleh, qui enseigne à la prestigieuse université Al-Azhar du Caire. «Les femmes n'ont pas besoin d'aller à la mosquée.»

Mais Abdel-Moeti Bayoumi, professeur de théologie à Al-Azhar, estime de son côté que les hommes doivent prendre conscience que les temps changent. «Je dis toujours aux hommes qu'exclure les femmes de la société et d'un travail utile ou des études est arriéré et dangereux», explique-t-il. «L'islam ne permet pas d'empêcher une femme de prier à la mosquée.»