Exaspérée par les pressions exercées sur les femmes célibataires dans son pays, où le mariage confine à l'obsession, une jeune Égyptienne a décidé de voler au secours des «vieilles filles».

Pour changer le regard «injuste» porté sur les célibataires, et témoigner de la difficulté d'être une femme dans une société patriarcale, Yomna Mokhtar a créé il y a près de six mois «Vieilles filles pour le changement».

C'est sur l'incontournable Facebook, devenu une plateforme pour la contestation sociale en Égypte, que la journaliste de 27 ans a lancé le groupe, dont plus de 550 personnes sont membres.

«La société a un point de vue très négatif sur les célibataires. Elle fait lourdement pression sur eux (pour qu'ils se marient) et les marginalise» s'ils ne le font pas, affirme à l'AFP Mlle Mokhtar, le visage soigneusement encadré par un voile.

Dans un pays conservateur où la religion est omniprésente, se marier est une obligation, chez les chrétiens comme chez les musulmans.

Et des associations islamiques organisent régulièrement des mariages collectifs pour les plus défavorisés, dans le but avoué d'éviter les comportements «déviants», à savoir les relations sexuelles hors mariage ou l'homosexualité.

Qu'elles étudient ou qu'elles travaillent, les femmes non mariées sont perçues comme étant «incomplètes», dit Yomna Mokhtar, en soulignant les «souffrances psychologiques» de certaines amies pas encore «casées».

L'âge à partir duquel une femme est considérée comme une vieille fille varie selon les milieux, mais dès que la trentaine approche, les remarques désobligeantes --et parfois les quolibets-- se multiplient.

En Egypte, «on inculque à la femme dès sa naissance que son but suprême est de se marier et d'avoir des enfants», déclare Mlle Mokhtar.

La sociologue Madiha el-Safty confirme que traditionnellement, la femme est avant tout épouse et mère.

«Toute famille déteste avoir une vieille fille dans ses rangs», ajoute-t-elle. «Une femme seule est très mal vue par la société. On se demande si elle n'a pas un problème».

Yomna Mokhtar veut voir dans l'engouement médiatique envers son initiative, mais aussi dans le fait que des couples mariés et des hommes ont rejoint le groupe, le signe d'une timide évolution.

«Ce qui se passe n'est pas normal, il fallait que quelqu'un le dise!», s'exclame Mohammed Abdel Ati, 25 ans, membre du groupe.

«Presque tous mes amis sont mariés et ont des enfants. À chaque fois que je les vois, c'est la même rengaine: vivement que tu te maries, Mohammed! Et leurs femmes me proposent: "tu ne veux pas qu'on te trouve quelqu'un?"», poursuit-il.

Le groupe, qui prévoit d'organiser des réunions animées par un psychologue où les «vieilles filles» exprimeront leur mal-être, est loin cependant de militer pour le célibat, et ne franchit aucune des lignes rouges imposées par la société.

«Nous ne sommes pas contre le mariage, ou contre les hommes. Nous voulons que les ménages aient des bases saines, solides», explique Mlle Mokhtar.

«Certaines se marient trop vite pour ne plus être décrites comme des vieilles filles. Or en épousant le premier venu, elles risquent de troquer ce qualificatif contre celui de divorcées, ce qui est tout aussi mal vu», ajoute-t-elle.

Changer les mentalités «sera très difficile», reconnaît-elle. «Mais cela ne nous empêchera pas d'essayer. Nous y allons tout doucement».

Bien que l'idée du groupe ait été globalement bien accueillie, il est encore trop tôt, selon Mme Safty, pour qu'elle soit intégrée par la frange la plus conservatrice de la société, toujours majoritaire.

Et l'obsession du mariage reste tenace.

«Il est possible que beaucoup de jeunes femmes aient des ambitions dans leurs études ou dans leur travail», écrit Ghada Abdel Al, une pharmacienne célibataire de 29 ans, dans un petit livre plein d'humour intitulé «Je veux me marier».

«Mais je les mets au défi de dire que leur ambition première n'est pas de devenir des épouses».