Qui l'aurait cru? Dans l'univers des magazines pro petits pots, drague 101 et régimes sans fin, qui aurait pu croire qu'un nouveau-né subversif, avant-gardiste, féministe et féminin à la fois, photocopié de nuit et agrafé à la main, ferait tout ce chemin?

Et quel bout de chemin! Souvenez-vous. C'était en 1993. Une bande de copines oeuvrant dans le monde de la télé, fatiguées de lire des recettes miracle pour perdre leurs kilos en trop, décident de se lancer dans un projet fou: réaliser un magazine pour les filles, toutes les filles. Pas seulement les poupounes en dentelles ou les mères en cols roulés. Mais aussi pour les poupounes en cols roulés et les mères en dentelles.

«Nous avons voulu jouer avec tous les stéréotypes qui entourent les femmes», résume Debbie Stoller, l'éditrice en chef de Bust, qui vient de fêter en grande pompe ses 15 années de vie.

Pour leur premier numéro, les filles ont demandé aux plumes de leur entourage de leur écrire quelque lignes sur un aspect de leur vie qu'elles ne voyaient jamais reflété dans les magazines du moment. Elles ont reçu des récits allant dans toutes les directions: des strip-teaseuses, des femmes victimes de racisme, mais aussi des marchandes d'art. Parce qu'être une femme, cela peut être tout cela. Bien au-delà de chercher à conquérir son voisin ou recevoir la belle-famille à la Toussaint.

Avec tout ce matériel, elles ont photocopié quelques centaines de copies, les ont agrafé à la main, et les ont distribué aux vendeurs du coin.

L'enthousiasme des lecteurs a été immédiat. Les revendeurs, par contre, ont demandé quelque chose d'un peu plus sérieux dans le contenant (bien qu'aussi cool dans le contenu). C'est donc à partir du deuxième numéro que Bust est imprimé, en bonne et due forme. D'abord sur du papier journal, puis tranquillement pas vite, il deviendra le beau magazine sur papier glacé que l'on connaît aujourd'hui, tiré à quelque 467 500 exemplaires.

Moins politisé que Ms. et un poil plus axé sur la culture populaire que Bitch, Bust traite depuis toujours de tout ce qui peut toucher les femmes, sans censure: l'histoire du droit de vote chez les femmes aux États-Unis, un portrait d'une collectionneuse compulsive de poupées, ou encore un banc d'essai de vibrateurs bon marché, tous les sujets féminins sont ici traités.

Cette audacieuse et rafraîchissante publication a pourtant failli disparaître. C'était au début des années 2000. Bust appartient à l'époque à un fournisseur de contenu internet, Razorfish. Tout va pour le mieux quand, du jour au lendemain, tout bascule.

«Les marchés se sont effondrés, la compagnie a fait faillite, on n'avait plus d'argent, puis il y a eu le 11 septembre. C'était une époque inquiétante. Un magazine, ça ne nous semblait plus aussi important.»

Gr�¢ce aux lecteurs

Mais grâce aux demandes répétées des lecteurs, la petite équipe se ressaisit, rachète le magazine qui demeure à ce jour indépendant.

Ce dont elles sont les plus fières? Tous les sujets sur l'artisanat (notamment le tricot), renouvelés à la sauce féministe (Bust a contribué à la renaissance du mouvement «Do it Yourself»). Et puis ce reportage sur les femmes terroristes, publié à la suite du 11 septembre, histoire de démontrer que non, le terrorisme n'a pas de sexe.

Et les moins bons coups? «Amy Winehouse. On l'avait interviewée au début de sa carrière. Et on aurait dû la mettre en couverture. C'est la seule erreur qu'on ait faite!» répond Debbie Stoller. Un peu sûre d'elle, limite insolente, l'éditrice en chef a néanmoins toujours le sourire aux lèvres. Exactement comme son magazine.

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Le prochain numéro sera en kiosques à la fin du mois.