Oubliez Tinder, OK Cupid ou Happn. D'après un épisode récent de la populaire série Black Mirror de Netflix, l'avenir en matière de rencontres en ligne nous réserve des coachs virtuels, en mesure de prévoir la date de péremption de nos relations, et surtout notre seul et unique match parfait, à 99,8 % de succès près. Fiction ou réalité? Le point sur la question en six temps.

L'épisode

Rappelons d'abord que Black Mirror est une série britannique qui dépeint un avenir plutôt noir, technologiquement parlant. Dans l'épisode «Hang the DJ» de la quatrième saison, on découvre que les relations amoureuses sont désormais soumises à un Système (avec un grand S), lequel, par l'entremise d'un outil rond (baptisé Coach, une sorte de Siri des rencontres amoureuses), régit nos rencontres, que ce soit la date, l'heure, le resto (même le plat consommé), et surtout la date de péremption desdites rencontres. C'est parfois long (10 ans), parfois très court (une nuit). Chaque fois, les participants se soumettent au jeu, dans le but ultime d'être jumelés à leur match parfait, auquel on associe un taux de succès de 99,8 %. On ne vous en dira pas plus pour ne pas gâcher votre plaisir.

L'application

Surfant sur le succès de la série, une application similaire à Coach a vu le jour à la Saint-Valentin: Coach Dating qui, visuellement, ressemble en tous points à l'outil de l'épisode. Il suffit d'envoyer le lien à votre partenaire, puis, si le coeur vous en dit, de cliquer en même temps pour voir combien de temps il vous reste ensemble. On devine qu'il s'agit d'un simple jeu. On ne vous dira pas tout (toujours pour ne pas gâcher votre plaisir), mais sachez que si vous cliquez, mais que votre partenaire décide autrement, exactement comme dans l'émission, votre durée de vie se réduira à vue d'oeil. On a fait le test: de 10 ans, Coach a «recalculé» notre date de péremption à 23 mois, puis à 39 jours, 5 jours, 23 heures et carrément 2 heures. Ouch. Fait à noter: on peut contourner cette mort annoncée. À nouveau: à vous de trouver comment, et surtout d'en tirer vos propres conclusions...

L'avis des experts

Les experts consultés sont unanimes: «c'est inimaginable», résume Jessica Carbino, sociologue pour Bumble (sorte de Tinder pour femmes, mais ce sont les femmes qui font ici les premiers pas). «Je ne peux pas croire à une application qui aurait la technologie capable de faire ce genre de prédictions», tranche-t-elle, en entrevue de Los Angeles. Le raisonnement est le suivant: aucun chercheur n'a à ce jour été en mesure de prévoir ce qui fait que deux personnes sont compatibles ou non, encore moins si la relation va marcher ou pas, tant les facteurs sont multiples, variables, circonstanciels, et surtout personnels. À savoir: «Il est beaucoup plus facile de prévoir si une relation va avorter que si elle va marcher», ajoute Jeffrey Hall, professeur de communications à l'Université du Kansas et expert en matière de drague en ligne, soulignant les questions de dépendances, une pauvreté extrême ou la difficulté à gérer le conflit. «Mais ce qui fait qu'en 30 secondes, on se plaît, ça, ça dépasse les compétences des ordinateurs!»

La fin du mensonge?

Tous les célibataires vous le diront: le plus grand problème avec les applications de rencontre, c'est le mensonge. Soit les gens mentent délibérément (sur leur âge, leur poids, leur taille), soit ils se connaissent affreusement mal. L'avenir pourrait toutefois mettre fin à bien des déceptions annoncées, en permettant de proposer des «profils en trois dimensions». Ou pourquoi pas des premiers rendez-vous virtuels? avance Dale Markowitz, ingénieure et anciennement analyste de données chez OK Cupid, que l'on peut lire aujourd'hui dans The Atlantic ou le New York Magazine. Certains se sont déjà engagés dans cette voie, dit-elle, notamment Match.com et Hinge, avec de nouvelles options vidéo. Aussi, au lieu de nous faire remplir des questionnaires (où l'on ment), bien des sites ou applications pourraient finir par mieux nous connaître en analysant nos comportements (qui, eux, ne mentent pas), choix et préférences, inconscients ou pas. «Peut-être que je suis attirée par les avocats sans le savoir. Par mes préférences et mes choix, l'application pourrait noter certains patterns», croit l'observatrice. Bref, suggérer des profils en conséquence.

Photo fournie par Netflix

L'application Coach dans l'épisode Hang the DJ de la série Black Mirror

Un coach virtuel?

Il n'est pas impossible que des coachs virtuels nous assistent aussi un jour dans nos quêtes amoureuses. Un ingénieur canadien a inventé une application qui, après avoir observé les préférences et comportements d'utilisateurs sur Tinder, pouvait faire le travail à leur place, même commencer une conversation une fois un «match» trouvé. Baptisée Bernie, l'application a toutefois été fermée par Tinder, qui n'a pas apprécié d'être ici exploitée par un algorithme. N'empêche que, de plus en plus, les applications se surpassent, et vont jusqu'à suggérer des photos de profils (les plus «aimées» sur Dine), partager nos préférences musicales via Spotify (sur Coffee Meets Bagel) ou rechercher, pourquoi pas, des ADN compatibles (sur Pheramor). «Oui, tout cela commence, à un certain degré, confirme Jessica Carbino. Parce que les gens veulent avoir le plus grand nombre d'informations, les plus précises possible.» Ce qui n'est pas sans soulever un enjeu éthique évident: «La question de la vie privée, le prochain grand sujet», souligne Arnaud Granata, éditeur d'Infopresse.

Et après?

Certes, les applications de rencontre sont en plein essor. Chaque jour, il en apparaît de nouvelles, que ce soit pour les fans de Kanye West (lancée le mois dernier) ou les célibataires en quête d'une relation stable (goSeeYou, une application toute québécoise lancée en février). Chaque jour avec de nouvelles fonctionnalités. Et même si, un jour, comme l'imaginait le grand patron de Tinder, Sean Rad, l'an dernier, votre téléphone (de plus en plus intelligent) pourra vous pointer, en direct, les célibataires qui vous entourent, tout en vous suggérant des restaurants que vous appréciez tous les deux, avant carrément de vous proposer une réservation, rien ne garantit ici le succès de cette rencontre. Aussi géolocalisée et virtuellement assistée soit-elle. «Il n'existe pas de match parfait, martèle la sociologue Jessica Carbino. Certains couples seront de bons couples. Mais il faut travailler à être ce bon couple, conclut-elle. C'est comme si les gens oubliaient que pour être en relation, il faut aussi faire des efforts. Mais qui veut penser à cela? Qui veut penser au travail? Le travail ne fait malheureusement pas partie de notre mythologie de l'amour...»

Photo fournie par Jessica Carbino

Jessica Carbino, sociologue pour Bumble