Histoire de nous offrir les bons mots pour le dire, de parler sans fausse honte d'un sujet bizarrement tabou, mais finalement d'une très grande importance, Louis Émond et Caroline Allard nous arrivent avec un Abécédaire du plaisir solitaire, écrit paradoxalement en duo. Un texte jouissif, à lire et partager sans modération.

Le concept vient d'un défi lancé en boutade à Louis Émond. Contre-emploi ? Il faut dire que l'auteur est un habitué des livres jeunesse. Mais pourquoi pas ?

« Si c'est pour faire rire ! », s'est-il dit. Impossible, par contre, d'écrire un tel ouvrage à une seule main. Il fallait un angle féminin. D'où l'idée de faire appel à l'auteure de Pour en finir avec le sexe.

« Parce que j'ai cette aura de fille sulfureuse pas gênée de parler de sexe ! », pouffe Caroline Allard, en avouant avoir embarqué sur-le-champ. « Je trouvais ça drôle, c'est une idée hilarante. »

Pour en finir avec le tabou

Ici, tous les jeux de mots sont permis. « Faites ce que doigt(s) », écrivent d'ailleurs les deux auteurs, en guise d'introduction, avant de se lancer dans des définitions à la fois loufoques, hilarantes, mais au final toujours très justes, de tous les termes qui décrivent de près (astiquer) ou de loin (Farley, Margaret) l'art de se « lustrer l'asperge », de « s'étrangler le chinois » pour ces messieurs, ou encore de se caresser le « bijou », le « petit caniche » ou le « pot de miel », pour ces dames.

Paradoxe ? Tant de mots pour décrire un plaisir auquel tout le monde s'adonne, mais dont pourtant personne ne parle.

« On n'en parle jamais », s'étonne Caroline Allard. « Si on en parle, souvent, c'est pour rire de quelqu'un. Mais tout le monde se masturbe. Ce n'est pas risible. » D'où l'idée de cet abécédaire, donc, non pas pour « rire de », mais plutôt pour « rire avec ». Pour en finir, dans la bonne humeur, avec le tabou, finalement.

Dédramatiser

Vous l'aurez deviné, les auteurs s'en donnent à coeur joie, multipliant les métaphores coquines, les images lubriques et autres allusions phalliques. Parce qu'avec un sujet comme celui-là, il faut évidemment appeler une chatte, une chatte.

De Abricot à Zéro (regret, « parce qu'on n'est jamais si bien servi que par soi-même »), en passant par Fellation, G (point) ou Q, toutes les lettres sont autant de prétextes pour honorer cette « noble pratique », la démystifier et carrément la réhabiliter.

Pourquoi ? Cédant la parole à une foule de grands penseurs, l'Abécédaire est parsemé de citations célèbres : de Woody Allen (« Ne te moque pas de la masturbation, c'est faire l'amour avec quelqu'un qu'on aime ») à Nelly Arcand (« La société de consommation exige qu'on ne se prive de rien, pas davantage de l'orgasme que du reste »), en passant par Serge Gainsbourg (« Faut savoir s'étendre sans se répandre ») et surtout Anatole France (« Sainte mère de Dieu, vous qui avez conçu sans pécher, accordez-moi la grâce de pécher sans concevoir ! »).

En plus de proposer une profusion de termes associés à la fameuse « besogne », ce cocasse Abécédaire est truffé de faits inusités, mais non moins fascinants, qui vous laisseront sans doute bouche bée. Le saviez-vous ? Les éléphantes se masturbent sur des troncs d'arbre, quatre femmes sur dix préfèrent la masturbation à une véritable relation sexuelle, et le vagin est doté de deux fois plus de terminaisons nerveuses (8000) que le membre de ces messieurs.

L'Abécédaire du plaisir solitaire, de Caroline Allard et Louis Émond, illustrations de Jimmy Beaulieu, Québec Amérique, 66 pages.

PHOTO FOURNIE PAR QUÉBEC AMÉRIQUE

Des définitions

MAIN, n. f. - Amante parfaite qui sait quand serrer, quand accélérer, quand relâcher, quand ralentir, quand tout arrêter, quand reprendre, quand changer de position, quand revenir à l'originale, quand appeler sa jumelle en renfort, quand laisser l'initiative à cette dernière et quand la reprendre, elle n'attend ni félicitations ni qu'on la rappelle le lendemain. Parfaite, qu'on vous dit !

G (point), n. m. - Il est aux relations sexuelles ce que le four à raclette est aux repas. On s'en sert quand on a de la visite, mais jamais quand on mange toute seule.