Le procès Ghomeshi, l'affaire Bill Cosby et le mouvement #AgressionNonDénoncée ont relancé le vaste et complexe débat de la définition du consentement. Quand on consent à une relation sexuelle, on consent à quoi, et surtout, pour quoi, au juste ?

Si l'on sait ce que dit la loi, entre le Code criminel et la chambre à coucher, il se passe bien des choses. La communication est rarement explicite, les décisions pas nécessairement rationnelles, souvent impulsives, émotives et, surtout, personnelles. Pour faire le point sur la question du consentement, non pas au sens juridique, mais plutôt psychologique du terme, nous avons posé quelques questions à la psychologue clinicienne Julie Roussin.

Le Code criminel est très clair. Pour qu'il y ait consentement, il faut que ce soit « volontaire », que le consentement soit énoncé au moment de l'acte sexuel, à chaque étape de l'activité, et qu'il puisse être retiré en tout temps. Mais dans la vraie vie, un consentement, disons « éclairé », c'est quoi, au juste ?

Un consentement est « éclairé », répond la psychologue, quand on connaît non pas tous les détails de ce qui va se passer (« ce n'est pas réaliste ni très excitant ! »), mais plutôt si « on est informé de TOUT ce qui pourrait nous faire douter ou remettre en question notre consentement ». À noter que le consentement dépend donc beaucoup de l'autre. « C'est à l'autre de juger si ce qu'il souhaite avoir comme rapports sexuels pourrait provoquer une remise en question du consentement de son partenaire et, dans ce cas, c'est à lui qu'incombe l'obligation de décrire ce qu'il souhaite. » 

Oui, des problèmes de communications de « bonne foi » peuvent survenir, nuance la psychologue. Notamment « lorsque ce que l'un considère comme " acceptable " ne correspond pas à ce que l'autre considère comme " normal " ». On pense ici à la sodomie, au fait de filmer l'acte sexuel, de bander les yeux, de faire intervenir une troisième personne par « surprise », à l'asphyxie érotique, etc. Mais attention, dit la psychologue. « Parfois, il est clair que certaines pratiques ne sont pas appréciées par la très grande majorité des gens. Se faire étrangler en est un exemple selon moi. Un partenaire qui invoquerait qu'il croyait que c'était une pratique souhaitée sans l'avoir demandé explicitement avec des détails ferait preuve de mauvaise foi, à mon sens. »

Dans la vraie vie, est-ce qu'on peut consentir par amour ? Par « devoir conjugal » ?

« On peut très bien consentir à faire quelque chose que l'on n'aime pas, que l'on ne désire pas, répond Mme Roussin. On ne parle pas ici d'absence de consentement. Justement, il est très, très commun de consentir à des actes sexuels non désirés pour être aimé, pour plaire, pour ne pas avoir l'air " plate " sexuellement, frigide, pour ne pas décevoir l'autre. » En outre, beaucoup de sexologues et psychologues encouragent les couples à avoir des relations sexuelles régulières et, « en ce sens, il peut être sain (dans une certaine mesure et selon le contexte) d'avoir des rapports sexuels alors que son désir, sa libido ne sont pas au rendez-vous. C'est le fameux " devoir conjugal " ».

Si on cède parce que l'autre insiste lourdement, est-ce qu'on consent quand même ? En gros, est-ce qu'on peut se sentir « obligé » de consentir ?

C'est ici que la notion de consentement doit être « nuancée », répond-elle. « On conçoit le consentement comme une décision éclairée qui ne doit pas être prise sous l'effet de la contrainte ou de la menace. La question à se poser est : est-ce que l'insistance m'a fait changer d'idée (O.K., maintenant ça me tente !) ou est-ce que j'ai manqué de capacité d'affirmation puisque la situation requérait beaucoup de " capacité d'affirmation " ? »

Qu'est-ce qui amène quelqu'un à consentir à des gestes par ailleurs non désirés ?

« La désirabilité sociale, répond Mme Roussin. En psychologie sociale, on sait que le désir de se conformer à ce que l'on croit être la norme sociale acceptable est très fort. [...] Par exemple, plusieurs études soulignent que la pratique de la pénétration anale est plus fréquente chez les jeunes que par le passé. Est-ce que plus de femmes y consentent parce qu'à travers ce qui est représenté dans la pornographie, notamment, elles en viennent à penser que c'est maintenant la norme ? Probablement. » 

On peut aussi consentir parce qu'on a du mal à s'affirmer, par faible estime de soi, peur de l'abandon, sous le coup de la menace, ou encore pour ne pas frustrer un partenaire alors que la relation sexuelle est déjà entamée. Les psychologues parlent ici du phénomène « du pied dans la porte ».

La féministe Meghan Murphy (feministcurrent.com) vient de publier un article sur la question du non-consentement à répétition : « Toutes les femmes qui ont été abusées comprennent à quel point il est facile de retomber dans le panneau », y écrit-elle. Pourquoi, justement, les victimes continuent-elles de fréquenter des partenaires toxiques ?

« Les raisons seront différentes si l'on parle d'une relation sexuelle non consentante dans le cadre d'une relation amoureuse, d'une aventure d'un soir ou d'une relation débutante, répond la psychologue. Si on pense aux femmes qui accusent Ghomeshi, leur comportement consistant à garder des contacts, voire à continuer à le courtiser ne me surprend pas du tout. Il est très commun de faire preuve de déni à la suite d'une relation sexuelle non consentie. Maintenir des contacts avec cet homme, faire " comme si de rien n'était " permet de se convaincre que " ce n'était pas si grave ", " je n'ai pas été agressée " ». Il s'agit ici d'un « mécanisme de défense couramment utilisé pour éloigner de la conscience l'humiliation qui vient avec le constat d'un abus ».

Pour résumer, un consentement au sens le plus éthique du terme, c'est quoi, alors ?

« Quand on sait ce à quoi on consent et quand on a l'impression d'être traité de façon respectueuse, conclut la psychologue. Quand il y a humiliation ou menace, on ne peut pas parler de consentement. »

PHOTO FOURNIE PAR JULIE ROUSSIN

« Quand on sait ce à quoi on consent et quand on a l'impression d'être traité de façon respectueuse, conclut la psychologue Julie Roussin. Quand il y a humiliation ou menace, on ne peut pas parler de consentement. »