Parler de sexe n'est jamais banal. Surtout si on ajoute un ingrédient qui le rend à la fois magique et tragique : l'amour. Quelle place occupe la vie sexuelle dans un couple? Et la fidélité? Doit-on établir un « contrat » avec notre partenaire? Des hommes et des femmes de 24 à 50 ans réunis par La Presse apportent des réponses sans détour, autour d'un verre de vin.

Notre méthodologie

Nos journalistes ont mené deux discussions, l'une avec cinq femmes et l'autre avec quatre hommes sélectionnés dans le but de représenter des manières différentes de vivre sa sexualité. Ce portrait ne prétend pas représenter la majorité ni toutes les possibilités. Il s'agit plutôt d'un Polaroïd de la réalité.

LE CIMENT DU COUPLE?

On dit que les gars peuvent se passer de longs préliminaires. Charles, Éric, Maxime et Rémi* ont à peine plus d'un verre dans le nez que la discussion est déjà bien lancée. On dit aussi que les grands parleurs sont de petits faiseurs. Qu'en est-il de ces hommes-là? La vérité? Aucune idée. On ne leur a pas demandé de révéler le nombre de leurs conquêtes, seulement de nous en parler.

Et ils en parlent. Charles venait de raconter avec enthousiasme l'utilisation qu'il a faite de l'application Hornet - qui facilite les rencontres sexuelles furtives entre homosexuels - quand la première vraie question de la soirée a été soulevée. Quelle place occupe le sexe dans un couple? Est-ce qu'un couple qui baise est un couple fort, ou est-ce qu'un couple fort à la base a une vie sexuelle plus épanouie?

Banal? On ne dirait pas. « Je pense que c'est LA question, juge Maxime, 27 ans, en couple depuis un peu plus de deux ans. Pour que tu te sentes prêt à t'engager, je pense qu'il faut que tu sentes que ça vaut la peine sexuellement, que le plaisir soit là. Et que tu penses qu'il est renouvelable. » Éric, 45 ans, qui a été en couple et fidèle pendant près de 20 ans, acquiesce : « Tout commence par le cul. »

« Ça prend une complicité pour avoir une vie sexuelle intéressante, juge toutefois Rémi, 31 ans. Ça fait deux ans que je suis avec ma blonde et le sexe qu'on a est meilleur aujourd'hui que quand on était moins à l'aise. »

En dehors du lit, il y a aussi les valeurs. « Mon chum n'est pas la personne que je désire le plus sur la planète. Il n'a pas tout ce qu'il faut pour me satisfaire à 100 % sexuellement et il le sait. Mais je l'aime, insiste Charles. C'est avec lui que je peux être moi à 100 %. On fait une bonne équipe. » La nuance compte. Or, le jeune homme précise aussi ceci : « À la base, le sexe est bon. »

Maxime se montre finalement le plus catégorique : « Ce n'est pas vrai qu'un couple sans vie sexuelle peut avoir une pérennité. Je n'y crois pas. » Or, cinq femmes rencontrées deux semaines plus tôt ont des avis plus partagés sur la question. « Un couple fort peut baiser ou non, juge d'ailleurs Marianne, 28 ans. J'ai été dans une relation où la sexualité était presque inexistante vers la fin et je considère qu'on était un couple fort. »

Marianne aussi estime que la sexualité doit être pétillante au départ. « Mais après... », laisse-t-elle tomber. « S'il n'y avait pas de sexualité, ce serait un problème », convient Anne, 43 ans, en couple depuis 17 ans. Il faut toutefois apprendre à gérer les inévitables fluctuations qui viennent avec la durée. « On fait parfois l'amour parce qu'il faut bien, dit-elle. Puis, on se rappelle que c'est bon, ça peut repartir la machine. »

« C'est le défi de la vie de couple, juge aussi Éric, qui a été en couple pendant 20 ans. Les passages à vide sont normaux. Pendant ce temps-là, il y a une personne à côté de toi et que tu respectes. Est-ce que c'est de l'amour? J'ai traversé des périodes de sept ou huit mois sans sexualité, mais cette femme-là, je la trouvais quand même belle. »

« Dans ma relation précédente, quand on passait une semaine sans faire l'amour, il fallait avoir une discussion, raconte Rémi, dont le ton dit combien il trouvait ça lourd. Là, si on passe une semaine, on ne se pose pas la question et ça revient tout seul. »

La sexualité, ce n'est pas tout, selon Mimi, 50 ans, principalement homosexuelle, mais aussi attirée par les hommes. « Je n'ai pas de vie sexuelle avec ma blonde, mais il y a le projet de vie, le vécu. Elle est plus une partenaire, dit-elle. Le couple n'est pas une fin en soi. Il va falloir se mettre ça dans la tête : la conjugalité pourrait être un partenariat pouvant inclure la sexualité, mais pas obligatoirement. »

Pour Mimi, demander à une seule personne d'être à la fois la sécurité et l'aventure, l'amour et le désir, ça fait beaucoup. Charles n'est absolument pas d'accord pour se contenter « du condo, de la plante verte et du chat », comme il dit. Le sexe est capital dans un couple, selon lui, et ne pas y faire de place constitue « un déni de ce que tu es et de ce qu'est l'autre ».

Céline, polyamoureuse de 40 ans, en couple depuis 20 ans, est encore plus catégorique : « La sexualité fait partie intégrante de notre couple. Si on n'avait pas ça, je ne sais pas de quoi on parlerait! »

L'AVIS DES SEXOLOGUES

Communiquer avec le sexe

« La sexualité, c'est un langage. Et c'est pour cela que c'est si important pour les hommes. C'est un vecteur d'émotions, d'amour. Souvent - ce sont des généralisations -, les hommes sont moins bons que les femmes avec la communication verbale et les petites attentions. Du coup, la sexualité est leur vecteur d'intimité. »

- Catherine Solano, médecin et sexologue

Le sexe, symptomatique du reste?

« Pour beaucoup de gens, la différence entre une amitié et une relation de couple, c'est la sexualité. Elle joue un rôle important dans le couple, mais le partage des valeurs aussi et le fait d'avoir des projets de vie similaires. Il y a beaucoup d'autres choses, mais un couple qui a des difficultés sexuelles en a souvent ailleurs. »

- Geneviève Parent, sexologue clinicienne

Le sexe, pas une nécessité 

« Je ne pense pas qu'on soit obligé d'avoir une vie sexuelle quand on est en couple. Ça dépend comment les partenaires se sentent. Quand ils viennent consulter, c'est parce qu'il y a un déséquilibre entre la libido de l'un et l'autre et que ça crée de la souffrance. »

- Geneviève Parent, sexologue clinicienne

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JE SUIS FIDÈLE, MOI NON PLUS

Tout le monde a un avis sur la notion de fidélité. Parce que tout le monde a une histoire. Un passé. Un vécu. Et bien évidemment, personne n'a le même.

La soirée avance. Et l'alcool coule à flots. Les anecdotes aussi. Dans les fous rires et la bonne humeur, faut-il le préciser? Les invités n'ont plus grand-chose à se cacher, et ne se font du coup plus du tout prier pour se raconter.

Prenez Marianne. Elle a été en couple pendant six ans. Et elle filait le parfait amour, à un détail (de taille) près : ils ne baisaient pas.

Zéro. Nada.

Alors, après une thérapie et ô combien de discussions, elle a fait ce qu'elle avait à faire : elle a pris « des amants ».

« Je n'ai rien dit. Pourquoi? Parce que, parce que... la crise », laisse-t-elle tomber.

Ainsi est morte sa relation. N'empêche. La jeune femme s'interroge : si sa passion, c'est le théâtre, et que son chum préfère le hockey, elle va se trouver d'autres partenaires pour y aller. Personne ne va sourciller.

« Mais pourquoi est-ce que ça n'est pas politiquement correct d'aller chercher ses orgasmes ailleurs, merde? », lance Marianne, 28 ans.

Tout le monde éclate de rire. Mimi, complice, est profondément d'accord. En couple depuis sept ans avec une femme avec qui elle n'a pratiquement plus de relations sexuelles, elle affirme : « Dans le fond, on peut aimer sans avoir de sexualité. Notre sexualité, on peut la vivre ailleurs. [...] Quand on aime quelqu'un, est-ce qu'il faut absolument coucher avec? »

FIDÈLE SANS ÊTRE MONOGAME

En un mot : est-ce que notre sexualité doit absolument se vivre dans l'exclusivité du couple? Ah, la grande question...

« Moi, je pense qu'on néglige le fait que notre sexualité nous appartient, enchaîne Céline, 40 ans, mariée depuis 20 ans. Ce n'est pas un rejet de l'autre, mais il y a une part de notre sexualité qui est très individuelle. » Céline n'aime pas le mot, mais elle a quelque chose qui ressemble à un couple « ouvert » depuis 10 ans. « Je suis fidèle, mais pas monogame, nuance-t-elle. Pour moi, la fidélité, ça n'est pas l'exclusivité sexuelle. »

« À un moment donné, j'ai dit à mon mari : "C'est sûr que je vais avoir envie d'embrasser d'autres hommes dans ma vie. Ce qui ne veut pas dire que tu n'es pas l'homme de ma vie". Alors nous sommes entrés dans un mode de vie de libertinage, de jeux de couples », raconte Céline.

« Je suis d'accord avec vous de manière idéologique, mais dans la vie? Dans mon couple? Je ne pourrais jamais. Ce n'est pas dans mes valeurs. D'abord, je suis jalouse. Et penser que mon chum pourrait être au lit avec quelqu'un d'autre? Ça me tuerait », réagit Anne.

FIDÈLE PAR PRINCIPE

Anne est en couple depuis 17 ans. Et 17 ans où elle a été fidèle. « Ç'a été très clair dès le début. On voulait être monogames. » A-t-elle l'impression de se priver? « Un peu, oui, avoue-t-elle quand même. Les étincelles du début... c'est sûr que maintenant, le regard est différent. Sauf que je l'accepte parce que je sais que si j'allais là [si je le trompais], je serais fondamentalement mal. Mon surmoi m'empêche complètement d'aller là. »

Un avis partagé par les hommes rencontrés. Que ce soit parce qu'ils ont « fondamentalement toujours cherché à être en couple », comme Rémi, 31 ans, ou parce qu'ils sentent qu'une infidélité risquerait de détruire leur relation. « J'essaie de ne pas me mettre dans des situations où je pourrais tromper », confirme Charles, 24 ans.

Éric, 45 ans, a été en couple pendant 20 ans. Vingt ans où il a été fidèle. Sauf le dernier mois. Et quand il a sauté la clôture, il a compris que son histoire était bel et bien finie. « Ce n'est pas vrai qu'on est des petits robots et qu'on n'y pense plus après. Je ne m'imaginais pas coucher avec une fille, puis rentrer à la maison auprès de ma femme. Le jour où j'ai franchi cette ligne-là, je savais qu'il y avait une raison. »

À noter : il ne voit toutefois pas la drague ni même le flirt comme un obstacle à une vie de couple saine. « Si ma femme se fait allumer par un autre et que c'est avec moi qu'elle vient s'amuser après, je n'ai pas de problèmes avec ça. [...] Tu peux t'arranger pour que ta femme ait envie de rentrer à la maison. Tu peux être le mâle alpha. C'est ça, l'objectif. » Est-ce que, finalement, la fidélité, ça se mérite?

L'AVIS DES SEXOLOGUES 

C'est quoi, au juste, être fidèle?

Personne ne s'entend, confirme la sexologue Sophie Brousseau. « Pour certains, juste penser à quelqu'un d'autre, envoyer un courriel, on se sent mis à l'écart et trompé. Pour d'autres, embrasser, c'est tromper, alors que coucher pour coucher, c'est OK. » Bref, « c'est très personnel à chacun ».

« Nous, les sexologues, on n'utilise jamais le mot "tromper". On dit : "relation extraconjugale". Parce que dans le mot tromper, il y a un jugement. On préfère être plus factuel », ajoute Catherine Solano, sexologue et auteure du livre Les trois cerveaux sexuels. Du coup, fantasmer, « ça n'est pas une relation extraconjugale », dit-elle. Embrasser? « Il y a déjà un début de passage à l'acte. Mais après? Tout le monde est persuadé d'avoir raison dans sa définition... »

Faut-il le dire?

Personne ne s'entend. Pour Sophie Brousseau, « si tu as fait une gaffe, il faut vivre avec les conséquences. Tout se sait, à un moment donné ». Même si l'aventure n'était qu'une histoire d'un soir? « Oui, il faut le dire, dit-elle. Dans un couple, on est censé être respectueux. »

Catherine Solano n'est pas de cet avis. « Mon principe, c'est qu'il vaut mieux ne jamais rien dire! » Trop souvent, les gens se confient, surtout pour se soulager, et font ainsi beaucoup de mal à l'autre. « On n'a pas forcément envie de le savoir. » « L'engagement, dit-elle, c'est tout faire pour que notre couple dure. Et pour qu'un couple dure, il n'est pas nécessaire de tout dire. L'idéal, ce n'est pas de ne jamais tomber. Mais de toujours se relever. »

La sexualité dans l'exclusivité du couple?

« À un moment donné, c'est qu'il y a un problème de couple », tranche Sophie Brousseau. « On peut avoir envie de baiser ailleurs, et que ce soit sans conséquence pour soi, mais ce n'est pas nécessairement sans conséquence pour l'autre », renchérit Catherine Solano. Bien sûr, certains couples se disent mutuellement ouverts. « Pourquoi pas? Mais moi, je n'y crois pas tellement. Souvent, il y a beaucoup de mal quand ça se produit. Ou l'un des deux accepte à contrecoeur. Peut-être qu'il y a des exemples où les gens sont très heureux, mais alors ils ne viennent pas nous consulter! », conclut la sexologue.

SE METTRE SOUS CONTRAT?

Céline et son mari l'ont fait un peu en blague : ils ont établi un contrat de vie sexuelle. Pas sur papier ni rien, mais ils ont parlé de ce qu'ils voulaient ou pas. Il faut dire que leur cas n'est pas ordinaire : son mari et elle vivent une relation plutôt ouverte de type polyamoureuse, c'est-à-dire qu'ils se donnent la permission d'aller voir ailleurs et même d'entretenir des liaisons.

« Ce que j'aime, c'est d'avoir de la liberté et de la confiance », explique Céline. Leur « contrat » n'est pas un énoncé de contrainte. La seule obligation, c'est le port du condom. Ce mode de vie libertin amène une tension parfois essoufflante, certes, mais qui contribue à maintenir leur couple vivant.

Pour la majorité des gens, les choses ne se passent pas comme ça. Ni sur papier ni sous les draps. « On présume de la fidélité par défaut, à moins de se dire le contraire », croit Rémi, 31 ans. « Le contrat est plus culturel qu'autre chose », estime Maxime, 27 ans. Le modèle le plus courant est en effet celui qui lie implicitement l'amour à l'exclusivité sur le plan sexuel.

Anne a une entente avec son conjoint et juge que celle-ci doit être formelle pour qu'aucun des deux ne se sente floué. « Au départ, l'entente de fidélité était plutôt tacite, mais rapidement, il a été clair. Il a dit qu'il était jaloux. » Ça lui va, car elle aussi. Expliciter ses attentes était important pour lui, car il avait été trompé par son amoureuse précédente.

« Ce qui a été clair dès le début, c'est que je ne suis pas monogame », dit Mimi. Curieusement, elle s'est empêchée d'aller voir ailleurs jusqu'à ce que sa compagne lui donne sa bénédiction formelle. Une situation que Rémi connaît trop bien...

Avec son ancienne compagne, le jeune homme avait exprimé son envie d'exclusivité. Son ex a respecté son point de vue, alors qu'elle aurait bien voulu pouvoir s'amuser de son bord. Avec des femmes. « Elle y est finalement allée, avec mon accord. Je me suis senti comme de la marde toute la soirée. Je ne voudrais pas revivre ça. »

En ce qui a trait à la fidélité, peut-être faut-il surtout rester fidèle à soi-même. Maxime croit qu'il aurait trop à se justifier à lui-même s'il brisait l'entente qu'il a avec sa compagne. Éric acquiesce : « Je pense que le contrat, on ne le passe pas tant avec l'autre qu'avec soi-même. »

L'AVIS DES SEXOLOGUES

Trop de règles implicites?

« Je pense que ça fait partie des règles implicites dans une vie de couple. Souvent, les gens vont expérimenter des difficultés parce qu'il y a plus d'implicite que d'explicite. Tout ce qu'on s'est dit, ça va. Mais un jour, l'autre peut transgresser ma règle implicite que je trouvais tellement évidente que je ne pensais pas avoir besoin de le dire. Et là, ça crée de la chicane. »

- Geneviève Parent, sexologue clinicienne

Savoir ce qu'on veut

« Je pense qu'il faut réfléchir au type de relation qu'on veut d'abord, et ensuite aller chercher un partenaire qui va dans le sens de ce qu'on recherche, plutôt que de s'enticher de quelqu'un et se demander si ça peut fonctionner. Quand les sentiments entrent en ligne de compte, on peut faire bien des affaires, mais ça ne veut pas dire qu'au bout du compte, on est heureux. »

- Geneviève Parent, sexologue clinicienne

QUI SONT-ILS?

Peu de gens oseraient parler aussi librement de leur vie intime sans la garantie que leur anonymat sera préservé. Les noms sont (presque) tous fictifs, mais les descriptions que les participants ont faites d'eux-mêmes sont authentiques.

Sophie, 28 ans, célibataire et hétéro. A cumulé les fuck friends et les relations de « schnoutte ».

Mimi, 50 ans, en couple avec une femme depuis sept ans. « Je préfère les femmes, mais j'adore les hommes! »

Marianne, 28 ans, célibataire. « Je suis monogame quand je suis en couple. »

Anne, 43 ans, a des enfants, et est en couple depuis 17 ans. « Je suis fidèle et monogame. »

Céline, 40 ans, a des enfants, et est mariée depuis 20 ans. « Je ne suis pas monogame, mais fidèle. Pour moi, la fidélité n'est pas l'exclusivité sexuelle. »

Charles, la vingtaine, en couple avec un homme depuis environ deux ans. Exclusif sur les plans sentimental et sexuel.

Éric, 45 ans, a été en couple - et fidèle - pendant 20 ans avec la même femme. Sauf le dernier mois...

Maxime, 27 ans, hétéro, en couple depuis deux ans. « Je suis fidèle. Enfin, j'essaie! »

Rémi, 31 ans, hétéro en couple depuis deux ans, fidèle, même en voyage d'affaires. « J'ai toujours cherché à être en couple. »